Une étude exploratoire pour un tram-train reliant Bordeaux Métropole à Lacanau a été présentée ce mardi. Soutenu entre autres par les maires de Lacanau, Saint-Médard et Saint-Aubin, ce projet à 220 millions d’euros doit pallier l’offre en transports en commun insuffisante vers le littoral. Les élus écologistes de la métropole jugent eux qu’un tram « ne répond pas aux besoins à venir ».
« Le littoral est sous pression », estime la mairie de Lacanau, relevant que la population de la zone concernée, le Sud Médoc, pourrait passer de 20000 habitants aujourd’hui à 44500 en 2050. Une étude exploratoire réalisée pour cette commune par le cabinet bordelais DVDH estime que le nombre de déplacements quotidiens pourrait lui aussi doubler.
Or une infime partie des 80000 déplacements effectués chaque jour dans la zone analysée par ce document, est actuellement faite en transports en commun. Les cars TransGironde – le 702 (Bordeaux-Lacanau), le 701 (Bordeaux-Le Porge) et le 710 (Sainte-Hélène-Carcans), totalisent 4000 déplacements quotidiens.
Et leurs temps de parcours sont peu concurrentiels, estime la mairie de Lacanau : il faut entre 70 et 80 minutes pour rallier la gare Saint-Jean depuis l’océan, contre 95 minutes à 2 heures en bus. Aussi, la part modale de la voiture s’élève à 82%.
Une facture à plus de 200 millions d’euros
Le maire de Lacanau, soutenu par ceux de Saint-Médard-en-Jalles, Saint-Aubin-de-Médoc, Saint-Hélène et Castelnau-de-Médoc, veulent depuis longtemps y remédier en créant un tram-train reliant l’océan à la métropole. Ce mode permettrait aux rames de rouler jusqu’à 90 km/h en section rurale, sur des voies ferrées traditionnelles, puis emprunterait le réseau tram en ville.
L’étude préliminaire de DVDH avance trois tracés possible, dont un longeant la piste cyclable, ou par la D6. La longueur totale varierait entre 39,5 km et 47,39 km, pour un temps de trajet estimé à 94 minutes entre la gare Saint-Jean et Lacanau. Le coût du projet s’élèverait selon les tracés entre 204 et près de 221 millions d’euros.
Pour combien de passagers ? Les calculs de l’étude, confondant usagers possibles (dont 2813 utilisateurs actuels de la route et le report des usagers du TransGironde) et voyages, sont assez hasardeux. Ils concluent à 1,3 million de voyages annuels. Si l’on se fie à ce chiffre, cela équivaudrait à 3561 voyages par jour… soit moins que les déplacements quotidiens actuels en TransGironde !
Détail amusant : la mairie de Lacanau illustre son projet par une photo du tram-train Nantes-Chateaubriant, pourtant jugé comme un échec en termes de fréquentation, selon nos confrères de Médiacités.
« Proposition électoraliste »
L’analyse établit néanmoins un prix du billet possible à 6,50 euros pour rentabiliser l’infrastructure, contre 2,60 euros un ticket de TransGironde, et 11,50 euros un billet de TER Bordeaux-Arcachon.
« Il faut que ces gens là qui travaillent sur la métropole et habitent dans les villes voisines puissent continuer à habiter dans les villes voisines, martèle Jacques Mangon, maire de Saint-Médard au micro de TV7. Si les temps de transport d’un temps de transport exclusivement automobile, s’allongent pour aller vers 1h30 – 2h, ces gens là ne resteront pas dans leurs communes d’accueil, viendront sur la métropole et encombreront un peu plus la métropole. »
Dénonçant un projet de tram-train qui « ne répond pas aux besoins à venir d’ici les prochaines années », et est selon eux « une proposition purement électoraliste »Dans un communiqué, les élus écologistes de Bordeaux Métropole manifestent une inquiétude radicalement inverse dans un communiqué, ce mercredi :
« Cette liaison va contribuer à l’étalement urbain et donc augmenter le trafic automobile dans des villes éloignées de la métropole et sur les axes reliant la métropole (…). Et ce tram aura une fréquence très peu élevée (1 par heure) et une vitesse égale à l’automobile sur ce parcours (94 min pour aller de la gare). Il y a donc fort à parier que le report modal de la voiture vers le tram ne soit pas conséquent. »
Un bus express comme alternative ?
En outre, les conseillers métropolitains verts soulignent que la congestion sur cet axe Saint-Médard – Lacanau se concentre particulièrement pendant les week-ends de printemps et des vacances d’été.
« C’est-à-dire une trentaine de jours par an. Est-il souhaitable de dépenser 200 millions d’euros pour un laps de temps si mesuré ? »
D’autant, poursuivent les élus, que le conseil régional auquel doit être soumis ce projet – c’est la Région qui est compétente pour les services de transports inter-urbain – « n’est lui-même pas exempt de difficultés budgétaires et peine également à entretenir ces lignes ferroviaires« .
Le groupe des Verts estime que plutôt que le littoral, « de nombreux territoires nécessitent aujourd’hui des réponses rapides afin de faire face aux difficultés de mobilités », dont la zone Aéroparc ou la rive droite. Pour desservir Lacanau, il soutient plutôt un projet de ligne de bus express qui pourrait s’intégrer dans le réseau du futur RER métropolitain.
Des questions de confort et de fréquence, bref de moyens, pourraient bien en faire partie. Dans une agglo où l’on a renoncé à faire une quatrième ligne de tram en utilisant l’ersatz du bus à « haut niveau de service » ça semble plausible :
les élus nantais ont dû très vite faire face à la saturation et imaginer, ou plutôt réinventer le vieux « mégabus » bordelais à trois caisses... !
Et ils ont pu proposer une nouvelle traduction de l’acronyme BHNS : bus à « haut niveau de saturation » ; gardons l’espoir : quand il s’agira d’envisager d’adjoindre une quatrième caisse au bus, peut-être se résoudront-ils à opter pour une ligne de tram supplémentaire... ? Le contexte des transports urbains éclaire celui des LTT nantaises.
Ce n’est pas parce que les prévisions de fréquentation des LTT sont décevantes ailleurs qu’il faut s’interdire d’investir ou de réinvestir dans une offre de transports publics capacitaires. La technique des LTT le permet et son matériel léger autorise une bonne vitesse commerciale, relativement à celui d’un TER classique, quand il s’agit de desservir un semis fourni de stations. Lesquelles peuvent l’être aussi à la demande, pour améliorer encore les temps de parcours.
Mais il serait bien plus intéressant de faire emprunter la rocade ferroviaire de la Médoquine à la future LTT de Lacanau, en se raccordant à la ligne du Médoc au nord de la station Bruges, en rognant un peu sur la zone dépotoir d’un professionnel de l’automobile...
https://www.google.fr/maps/@44.8917052,-0.61231,142m/data=!3m1!1e3
Deux informations déjà devraient nous faire douter de la solidité comparative, et peut-être nous éviter de conclure trop vite.
D’une part on peut observer littéralement une explosion de la fréquentation des TER en Gironde, sur la période connue la plus récente, 2016-2017. Sur 27 stations du département (hors centre d’agglo bordelaise) une seule voit sa fréquentation baisser, pendant que onze autres progressent de 22.2 à 62.7% sur la période. Et il reste de la marge : la moitié de ces communes ayant une station ont une part modale transports en commune de plus de 5% chez les habitants travaillant en dehors.
Concernant maintenant les craintes d’un report modal décevant pour la future LTT de Lacanau. Peut-on affirmer que l’offre de transport alternatif à l’automobile, surtout quand il s’agit de ferroviaire, que l’on améliore ou que l’on créé, risque de ne pas garantir un retour sur investissement ?
Eh bien il existe, pour les seules communes girondines citées, une corrélation entre la baisse de l’usage automobile pour aller travailler en dehors de sa commune et l’existence d’une offre ferroviaire sur son territoire... :
https://www.fichier-pdf.fr/2019/06/27/correlations-offre-ter-et-pm/
On notera également une autre corrélation, entre le niveau de vie et le taux de motorisation des ménages résidant sur la commune.
Pour le projet qui nous occupe restera bien sûr à surmonter quelques difficultés, davantage institutionnelles que purement techniques, en passant dans le domaine de la SNCF quand il s’agit d’emprunter son réseau :
faudrait-il encore que la loi d’orientation des mobilités, en discussion parlementaire, donne les coudées assez larges aux territoires qui se lancent dans les réseaux de RER : la future LTT de Lacanau venant ajouter une branche au réseau projeté.
Lequel pourrait très bien s’enrichir de lignes supplémentaires ou complémentaires, dont les axes Blaye-St-Yzan-de-Soudiac, Créon-Latresne-Floirac ou le pourtour NE du bassin d’Arcachon par exemple...
Outre que les Verts locaux n’ont jamais été favorables à la poursuite de l’expérience de la réinstallation du tram dans l’agglo bordelaise – jusqu’à se dispenser de protester, durant les précédentes élections locales, contre le discours du président d’interco sortant, enjoignant à geler désormais les investissements et à se contenter de bus à « haut niveau de service » – la culture d’aménagement est assez mal diffusée dans le landernau politique et les relais médiatiques.
On parle à tout va d’étalement urbain sans que quiconque ne vienne corriger les faux poncifs et les vraies bévues : utilisons déjà ce concept hors du périmètre de l’agglo, entendu comme « unité urbaine » dans le jargon, avec une intercommunalité incluse dans ce périmètre en dehors de deux pauvres communes au nord, qui pourraient bien en faire partie dès 2020, à l’occasion de la révision de sa limite par l’INSEE... !
Ensuite il faut bien distinguer les effets d’une offre routière/autoroutière en termes de dispersion des établissements humains sur un territoire urbain de ceux qu’induirait une ligne de TER ou une LTT :
le phénomène est en nappe pour la première tandis qu’on tend à concentrer le long de corridors pour l’autre.
Quitte à prendre sa bagnole on le fait de bout en bout dès lors que l’offre ferroviaire est assez éloignée ou demande un certain temps de parcours pour y accéder... Une carte de densité démographique girondine avec l’offre TER et sa fréquence actuelle peut rendre plus intuitive la réalité :
https://www.fichier-pdf.fr/2019/06/27/densite-2010-et-reseau-ter-2019/
Aller sur le littoral en toute saison, pour quelques euros, ça sort de la dépendance physique et financière à la bagnole, tout en réduisant fortement son impact socio-environnemental.
Ce projet est sans doute une réplique de plus grande ampleur encore de l’aventure entrepreneuriale des frères Pereire au XIXe s., avec la prolongation de la ligne de chemin de fer de Bordeaux à la Teste couplée à la création de la cité d’hiver d’Arcachon.
C’est plus Bordeaux-Océan, Bordeaux-Atlantique ou d’autres concepts de mercatique territoriale en devenir qu’une simple ligne ferroviaire renaissante que ce projet de LTT.
Donner au plus grand nombre l’accès au grand large, forger une nouvelle symbolique urbaine et peut-être donner l’occasion aux habitants de Lacanau de construire une nouvelle cité réellement tournée vers les préoccupations socio-environnementales du moment, tout ça nécessitera de voir assez grand pour garantir la réussite du projet, particulièrement en termes de qualité de l’offre comme de l’infrastructure...
Donc les porteurs de ce projet ne déraillent pas :
souhaitons leur bon vent et tant mieux, pour ceux qui ont besoin de vérifier leur légitimité, s'ils arrivent à remobiliser leur électorat...
Quant aux écolos du coin, il serait bon d'ouvrir le marché politique local à la concurrence, pour qu'une nouvelle liste, moins "vert pâlichon", puisse apporter un peu d'air frais et renouvelé aux prochaines élections municipales... !
Références :
*Un article récent de la littérature grise sur le sujet montrerait toutefois l’intérêt des lignes ferroviaires locales pour agréger la population de l’espace périurbain ; à condition toutefois de lancer des programmes d’urbanisation autour des stations, en ayant pris soin d’offrir tous les services urbains, dont les logements et les emplois de toute sorte, au-delà donc de la situation française du seul parking à navetteurs bi-modes, automobilistes usagers des TER... Référence : Joanna Ganning (2018): The effects of commuter rail establishment on commuting and deconcentration, Regional Studies, DOI: 10.1080/00343404.2018.1437898.