Rue89 Bordeaux : Avez-vous une définition pour la liberté de la presse ?
Jean Berthelot : La liberté de la presse, c’est évidemment de ne s’interdire de traiter aucun sujet dès lors que l’on respecte les règles déontologiques, quelles que soient les personnes mises en cause. On doit respecter son sujet, publié ou non.
Vous êtes-vous déjà posé cette question de la liberté en tant que journaliste ?
Il m’est déjà arrivé de ne pas sortir certaines affaires faute de preuves, ou de ne pas parler de certaines choses faute d’éléments de la partie adverse par exemple. Mais je ne me suis jamais interdit de traiter un sujet.
J’ai la chance d’être journaliste indépendant, donc quand je ne peux pas traiter d’un sujet dans un média, je le propose à un autre. Il y en a forcément un qui va être intéressé.
Pensez-vous qu’en tant que journaliste indépendant vous avez plus de libertés qu’un journaliste salarié ?
Pour moi, c’est une certitude. Par exemple, si demain je devais sortir une enquête sur un grand personnage de Bordeaux très puissant, certains médias locaux pourraient refuser de la publier car ça gênerai leurs intérêts, notamment financiers. Mais je pourrai sortir l’enquête ailleurs, dans un autre média. Le ou la salarié permanent d’un journal ne pourra jamais proposer cette enquête.
Donnez-vous raison à Emmanuel Macron lorsqu’il déclare « La presse ne recherche plus la vérité » ?
Evidemment non. Les décideurs politiques – et j’ai l’impression en particulier ceux du nouveau monde – s’accommodent assez facilement des fake news et d’une autre vision de la réalité.
Il y a une partie de la presse qui ne cherche pas la vérité, c’est une certitude, mais je pense qu’une grosse partie de la presse fait de l’investigation très sérieusement, et en profonde recherche de vérité et de justice dans ce qu’elle avance, et ce qu’elle dit. Je crois que quand on est journaliste, on le fait par vocation, et la plupart du temps celle de rechercher la vérité.
Est-ce que vous pensez qu’il y a « un pouvoir médiatique » comme le prétend le président de la République ?
Je pense qu’il a raison. Je ne sais pas si c’est un pouvoir institutionnel comme on le dit parfois, en tout cas c’est une certitude que la presse a un pouvoir et doit être un pouvoir ou un contre-pouvoir. On le voit dans toutes les sociétés dictatoriales, il n’y a pas ce pouvoir-là et la démocratie ainsi que le peuple en souffrent.
Les convocations par la DGSI ces dernières semaines de neuf professionnels des médias inquiètent les journalistes. Est-ce que vous êtes vous-même inquiet ?
Ça doit inquiéter forcément tous les journalistes, car c’est une entrave à la loi sur la protection des sources. Même si, in fine, il ne leur arrive rien – ce que j’espère – c’est une tentative d’intimidation. Ceux qui l’ont enclenché souhaitent sans doute qu’elle fera réfléchir d’autres journalistes, et les faire éventuellement reculer. S’ils ne sont pas condamnés, ils auront quand même perdu un temps précieux, parfois même de l’argent.
Pensez-vous que Bordeaux possède suffisamment un pluralisme et une diversité de la presse ?
Je trouve qu’on est pas mal loti. Entre Rue89 Bordeaux, Far Ouest, Aqui, il y a une vraie richesse, peut-être que demain d’autres acteurs vont encore s’implanter. J’ai l’impression qu’il y a pas mal de sujets qui sortent, notamment via Rue89 Bordeaux qui fait un très beau boulot. Far Ouest fait également de jolies choses – en toute objectivité puisque j’y contribue !
Que pensez-vous de la saison culturelle « Liberté ! » ?
Le thème est intéressant, pourquoi ne pas l’explorer. Mais cela impliquerait dans l’idéal un examen de conscience plus approfondi, notamment sur les questions de l’esclavage. Tant qu’on n’est pas clair sur ces questions, il est difficile de parler de liberté.
Bordeaux a encore énormément de chemin à parcourir, à commencer par sortir la question de l’esclavage du musée d’Aquitaine pour en faire quelque chose de plus large peut-être comme à Nantes où il existe un mémorial à ciel ouvert ou chacun peut passer sans faire l’effort d’entrer dans un musée pour aborder cette question. Ou encore de mettre des plaques qui expliquent ce qui s’est passé pour les personnes qui ont donné leurs noms à des rues.
En tant que président du Club de la presse, avez-vous un rôle à jouer ?
On a organisé un forum des journalistes il y a quelques semaines, où on a invité les adhérents et tous ceux qui voulaient participer, à intervenir sur le rôle que doit tenir le Club de la presse. J’avais organisé ce forum car je trouve qu’on est certes pas un syndicat, mais qu’on a notre mot à dire, notamment pour faire respecter le travail des journalistes. On a décidé d’appuyer davantage les journalistes qui pourraient en avoir besoin, comme dans les manifestations.
Le premier exemple concret a été de soutenir publiquement le journaliste de Sud Ouest qui a demandé de faire arrêter les applaudissements lors d’une conférence de presse donnée par l’extrême droite à Bruxelles. C’est rien, mais ça montre qu’une profession localement a des valeurs, et se mobilise.
C’est votre engagement ?
Oui, pour moi c’est le rôle du Club de la presse. Ce n’était pas forcément le cas avant que j’arrive.
Je souhaite également accompagner les femmes journalistes, en particulier les plus précaires et notamment les pigistes, qui se retrouvent confrontées à tout un tas de situations difficiles à gérer seules. L’idée est que le Club les accompagne mieux, donc on a créé une commission pour réfléchir à des questions assez simples. Par exemple, comment faire face au harcèlement, qui est encore plus compliqué à gérer lorsqu’on est pigiste.
Nous allons essayer d’être plus présents sur ces questions. Dès la rentrée nous proposerons des ateliers, débats, prises de parole ou encore des échanges de témoignages, avec l’appui notamment d’une avocate qui répondra très clairement aux interrogations.
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