100000 vols et 10 millions de passagers sont attendus aux portes de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac (ADBM) en 2023, soit 25% de plus qu’aujourd’hui. Combien parmi eux atterriront ou décolleront de nuit ? La plateforme connaît en effet une envolée fulgurante de ses mouvements nocturnes (entre 22h et 6h) selon des chiffres révélés ce vendredi en conseil de Bordeaux Métropole par Christine Bost.
Entre 2015 et 2018, ces vols de nuit sont en effet passés de 1200 à 4300 par an, expose la maire d’Eysines, qui a croisé des statistiques de la direction générale de l’aviation civile et de l’aéroport. A la tribune du conseil, elle prévient :
« Des points de rupture ne sont pas loin vu la croissance vertigineuse du trafic aérien à l’ADBM (le nombre de passagers a doublé en 10 ans, à 6,8 millions en 2018, NDLR). Nous allons devoir travailler rapidement sur des garde-fous pour protéger la population des conséquences avérées du bruit – perte de sommeil, stress, AVC et infarctus ».
Mérignac, village gaulois
Vice-présidente du conseil départemental de la Gironde, et représentante de cette collectivité au conseil de surveillance de l’aéroport de Bordeaux (dont l’Etat est actionnaire majoritaire), Christine Bost observe que ce dernier est « le seul de France à ne pas avoir de règlement restrictif » sur les mouvements nocturnes.
Bordeaux-Mérignac est en effet loin d’être exemplaire. Le dernier rapport de l’Acnusa (autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires) relève ainsi que sur les 11 principales plateformes (celles dotées d’un plan de gêne sonore), trois (Paris-Roissy, Lyon et Marseille) imposent des restrictions de vols nocturnes aux aéronefs les plus bruyants, quatre (Nice, Nantes, Toulouse, Cannes) imposent des limites plus strictes encore en termes de volume sonore, et trois autres (Bâle-Mulhouse, Paris-Orly et Beauvais) appliquent des couvre-feu (mouvements interdits sur certains créneaux horaires entre 23h et 6h30).
L’élue d’Eysines déplore donc « un manque de pugnacité de l’ADBM sur la question du bruit », alors que selon l’Acnusa, « les vols de nuit représentent une préoccupation majeure des riverains et doivent être encadrés », du fait notamment des effets néfastes sur le sommeil relevés par l’OMS (organisation mondiale de la santé).
Le sujet est sur la table
Mardi dernier, au dernier conseil de surveillance de l’aéroport, Christine Bost est la seule à s’être abstenue lors de l’adoption du plan d’orientation stratégique 2019-2023. Dans le communiqué envoyé dans la foulée, la direction de l’ADBM affirme mettre l’ »écoresponsabilité », dont la lutte contre les nuisances aéroportuaires, au cœur de sa stratégie. Comment ?
« A ce stade nous souhaitons contenir les vols nocturnes, indique son directeur Pascal Personne à Rue89 Bordeaux. Nous ne voulons pas une interdiction pure et simple, sachant notamment que le plus gros des vols a lieu dans la tranche 22h-minuit, même si cela apporte aussi des nuisances. C’est un sujet clé, et nous allons y travailler avec nos gestionnaires, mais l’organe compétent et en mesure d’en discuter c’est la commission consultative de l’environnement (CCE), qui réunit toutes les parties prenantes (collectivités concernées, organisation de riverains, direction de l’aviation civile…). Elle va y travailler dés le début de l’année 2020. »
C’est là une première satisfaction pour les élus :
« Nous avons obtenu que la CCE de l’aéroport puisse plancher sur ce sujet du bruit des vols nocturnes, confirme Christine Bost. Les communes riveraines et les associations y ont voix au chapitre, contrairement au conseil de surveillance de l’aéroport. »
1,2 vol toutes les 5 minutes
Le retard de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac en la matière s’explique aussi par le fait que ses environs sont moins peuplés que la plupart des autres aéroports français. Fin 2018, 3 476 personnes habitaient dans le périmètre de son plan de gestion sonore (PGS), contre 42 193 dans celui de Toulouse-Blagnac ou 4 206 près de Nantes-Atlantique. 55% des 1250 logements concernés ont bénéficié d’une prise en charge de travaux d’insonorisation.
Mais les logements se construisent en nombre tout près de ce périmètre, et la pression des riverains augmente, selon les maires de Mérignac et d’Eysines, qui témoignent des plaintes récurrentes des habitants.
« Mon sujet, c’est comment on contient ce phénomène si on se prend 25% de vols de plus au dessus de la tête, explique Christine Bost. Lors de la deuxième semaine de juillet, nous avions 1,2 vol toutes les 5 minutes. »
« Niveau d’ambition trop bas »
L’exigence s’accroit en retour envers l’aéroport. La CCI Bordeaux-Gironde et les collectivités locales qui y siègent (Région Nouvelle-Aquitaine, département de la Gironde, Bordeaux Métropole, communes de Bordeaux et de Mérignac) interpellent franchement la direction. Notamment depuis que plusieurs responsables ont dénoncé les effets de la croissance à tout crin de l’aéroport, ou demandé de mettre le holà à l’envol du trafic, pour des raisons écologiques.
Dans un courrier adressé à la direction de l’aéroport en amont de son dernier conseil de surveillance, les maires et présidents de collectivités critiquaient le « niveau d’ambition trop bas au regard des enjeux d’acceptabilité des aéroports et de la crise climatique que nous traversons » du plan stratégique proposé.
Doublons
Ils déploraient notamment qu’ »aucune instance de dialogue [ne soit] proposée autour des vols de nuit, à limiter au maximum », mais aussi « autour des ouvertures de lignes low cost, qui doivent être raisonnées ».
Andréa Kiss, maire du Haillan, une autre commune riveraine de l’aéroport, a ainsi réagi sur Facebook aux récentes annonces d’ouvertures de lignes par Easyjet :
« Plusieurs fois, les élus du Haillan et d’Eysines ont interpellé sur la pertinence de faire desservir la même destination par deux compagnies low-cost. A part multiplier les atterrissages et décollages et donc les nuisances pour les riverains, quelle est la valeur ajoutée d’une telle politique ? Or (…) Vienne, Budapest, Olbia, Fuerteventura et quelques autres villes voient leurs dessertes doublonnées par des compagnies concurrentes. (…) La direction de l’aéroport affirme que ce dernier veut devenir écoresponsable. Ces contradictions posent question sur la réelle volonté de l’aéroport de réduire les nuisances. »
Interrogé sur ce point par Rue89 Bordeaux, Pascal Personne dit « comprendre l’objection », mais ne pas « avoir le pouvoir et les moyens » de contraindre les compagnies.
« Nous sommes dans un espace libéralisé où les compagnies mènent une bagarre commerciale, et ce n’est pas à nous de dire qu’on ne veut pas de telle ou telle ligne. Notre objectif était d’élargir le réseau. C’est vrai qu’on peut avoir deux ou trois opérateurs sur une même destination mais on observe souvent une phase de concentration après quelques temps, et on ne reste pas longtemps à trois opérateurs. »
Pas question donc de réguler, ce qui serait davantage du ressort de l’Etat qui pilote l’aéroport de Bordeaux, et de son comité de développement économique. « C’est le marché qui décide, nous dit-on », soupire Chrisine Bost.
Petite révolution
Celle-ci salue cependant « un vrai changement de braquet » de la direction d’ADBM sur les questions environnementales. Alain Anziani, maire de Mérignac, va plus loin encore, estimant que cette dernière a « viré sa cuti » :
« On assiste à une vraie petite révolution de la culture de l’aéroport. Son axe prioritaire, c’était la croissance, maintenant d’est le développement durable. (…) On a été entendus notamment sur la place de la biodiversité, la prévention des pollutions de l’air et de l’eau, la fin du stationnement extensif horizontal avec la création de parkings silo… Et aussi sur la neutralité carbone (de la plateforme aéroportuaire, qui ne représente que 5% des émissions de CO2 du transport aérien, NDLR), que Bordeaux-Mérignac doit réaliser d’ici 2030. »
Dans leur courrier à la direction de l’aéroport, les collectivités locales exigeaient même qu’ADBM atteigne cet objectif ACA +3, le plus exigeant, dès 2024, alors que la plateforme girondine était avec Beauvais la seule des 11 suivies par l’Acnusa à ne pas être engagée dans cette démarche !
« Nice et Lyon l’ont fait en 8 ans », explique Alain Anziani pour justifier d’avoir laissé à ADBM davantage de temps.
« Les mots c’est bien, les faits c’est mieux, et on a fait mettre en place un comité de revoyure qui examinera deux fois par an les indicateurs afin d’aller véritablement vers un aéroport écoresponsable. »
Un chantier que Pascal Personne estime à 20 millions d’euros sur les années à venir. Mais ADBM a des marges : l’aéroport a réalisé l’an dernier un bénéfice de 12,4 millions.

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