Pierre Miglioretti, docteur en Science Politique, est l’auteur d’une thèse portant sur « Les Politiques culturelles au cœur du développement métropolitain ». Il est actuellement responsable au sein d’Emergences-Sud, bureau d’étude girondin spécialisé dans la mise en œuvre des politiques culturelles.
Il est l’invité de la deuxième édition de La Papote, rendez-vous mensuel organisé par Rue89 Bordeaux à la Fabrique Pola, qui se tiendra ce mercredi 19 février à 19h et qui aura pour thème : « La culture, maillon faible des municipales ? »
Pouvez-vous nous définir d’abord ce qu’est une politique culturelle ?
Pierre Miglioretti : La politique culturelle est une politique définie par le ministère de la culture par un décret datant des années 1950. Il avait pour objectif la diffusion et le partage des grandes œuvres de l’humanité avec une logique de démocratisation culturelle. Cette directive a imprégné les politiques culturelles développées dans le villes quand elles se sont structurées sur ces questions là.
La politique culturelle nationale et la politique culturelle locale sont à prendre en compte de manière séparée. Les villes ont le choix de promouvoir des structures et des cultures locales. La politique culturelle locale peut s’inspirer d’une logique descendante du ministère de la culture avec une visée permettant de valoriser ce que créent les territoires eux mêmes. Elles se sont structurées avec des Directions générales des affaires culturelles créées au fur et à mesure dans les années 1960, 1970, et ensuite 1980.
Les villes et les communes ont ainsi obtenu un champ de compétences très large. Il y a une clause qui permet aux mairies d’intervenir sur tous les domaines que ce soit le patrimoine, les arts vivants, les arts visuels, etc. Et aussi les registres d’éducation artistique, de sensibilisation, création et diffusion.
Comment se situe la ville de Bordeaux dans la mise en place de ces objectifs et dans l’évolution de la politique culturelle vers l’échelle métropolitaine ?
Pour répondre à cette question, je vais devoir faire un peu d’histoire sur les enjeux culturels à Bordeaux, il y a donc plusieurs éléments à prendre en compte.
A Bordeaux, il y a une historicité de l’action culturelle du fait de ses traditions. Forcément, c’est une ville culturelle qui s’est développée assez tôt au XXe siècle et qui a ensuite bénéficié d’une configuration politique assez particulière au sortir de la deuxième guerre mondiale avec comme maire Jacques Chaban-Delmas. Il a imprégné la ville et sa vie culturelle avec un projet politique personnel – la Nouvelle Société – et certaines innovations correspondant pourtant peu à son électorat local. Il a mis en place un événement comme Sigma, un festival qui a décoiffé son électorat traditionnel bourgeois.
On a donc une politique ambitieuse mais cantonnée à un cercle restreint d’acteurs, une politique qui repose sur ce que certains ont appelé le chabanisme culturel : le mai musical, Sigma, le Capc et les acteurs qui ont gravité autour. Ce qui correspondait finalement aux ambitions nationales de Chaban et à la visibilité qu’il voulait donner à Bordeaux. C’est un développement très autonome finalement.
C’était l’époque de la décentralisation et les villes en étaient les moteurs…
Oui mais en parallèle il y a un phénomène d’étalement urbain et du développement de tout le territoire autour de Bordeaux. On a quand même des communes qui se structurent elles aussi et qui se dotent de politiques culturelles assez prononcées. A partir du moment où on a des communes de 10 ou 20, 30 000 habitants, on a besoin de penser des services par rapport à ça. Une politique culturelle propre a commencé à se développer avec ses propres infrastructures : Pessac, Mérignac, Gradignan, etc. On a toute cette dynamique qui se crée en même temps.
La communauté urbaine de Bordeaux, qui, rappelons-le, a été une des premières sur le territoire français, émerge. Mais à l’époque, il y a beaucoup d’ententes entre les élus et Chaban (la cogestion, NDLR) et la politique d’agglo s’est très peu développée. On se retrouve dans un système d’échanges entre amis où on ne va pas trop marcher sur les platebandes des uns et des autres. Comme ça tout le monde peut s’y retrouver.
Cette situation sert très bien Chaban qui peut développer sa politique d’ambition nationale et sert aussi les communes qui vont pouvoir développer leur propres programmes culturels proches des habitants.
Quand Alain Juppé arrive en 1995, il veut s’implanter sur le territoire et trouver une nouvelle ligne, notamment au niveau culturel. Toute une série de choses vont être mises en place à partir des années 95 concernant les institutions de Chaban, avec la fin de Sigma, les difficultés qui commencent pour le Capc…
Juppé veut trouver autre chose. Il met en place un grand projet urbain adossé à une politique patrimoniale forte, de revalorisation et de redécouverte du patrimoine qui aboutira au label de l’Unesco.Dans une vraie rupture avec ce qu’a fait Chaban, s’ensuit le développement de grands projets culturels comme la fête du fleuve, la fête du vin… On retrouve une autre forme d’appartenance à la ville qui a permis à Alain Juppé de trouver son style. Il s’est adossé sur des choses simples. Le patrimoine ça marche à tous les coup, j’ai envie de dire.
A partir de là, une réflexion s’engage pour retrouver un événement majeur redonnant une visibilité à Bordeaux. Cela aboutit à la création de Novart, d’Evento, d’Agora… Parfois, et même très souvent, dans une logique d’attractivité qui a fait que souvent les événements n’ont pas pu se mettre en place.
C’est cette notion de Bordeaux d’abord qui a empêché d’amorcer une métropolisation de la politique culturelle ?
La dynamique historique de la culture à Bordeaux et son agglo a produit cette logique de ne pas faire les choses ensemble. La mutualisation est évidemment plus facile dans un milieu rural où il y a tout à faire. Or sur la métropole bordelaise, il y a une richesse et un nombre important de structures qui font que chaque maire a envie de conserver son action. La culture a quelque chose de symbolique dans la politique dont on a du mal à se dessaisir.
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