Il est 8h30, le portable fait un ding reconnaissable. WhatsApp vient de se réveiller.
Un élève s’inquiète, demande son dû, sa nourriture quotidienne du cerveau. Il le fait pour lui ou poussé par sa famille, par ses routines intérieures et, aussi, par un impérieux besoin de communiquer, de se manifester, d’être là, présent, entendu par le groupe.
Parfois, c’est le prof qui appelle. La communauté s’anime alors, par messages successifs, fichiers joints, images d’exercices gribouillés. Questions, réponses, ça va à toute allure, on fait de l’humour aussi.
Se réveille chez le prof l’envie de sentir au plus près l’énergie qu’hier il trouvait éreintante. L’application impose un ping pong, qui se rapproche de la vraie vie, elle réclame à manger afin de maintenir le dialogue, la tension et la cohésion de l’ensemble.
Le prof s’inquiète, ils ne sont que quelques-uns à être là : les bons élèves qui ont enfin la sensation qu’on ne répond qu’à eux, les autres bons élèves qui aiment se fondre dans le paysage, et aussi celui qui en cours perturbe sans cesse avec les hors sujets dont il a la recette et qu’il applique ici à la lettre, ceux qui osent lui dire de se taire et ceux qui ne sont pas là : muets ou ailleurs et pour qui le prof s’inquiète, pense qu’ils n’ont pas de connexion, qu’ils décrochent, peut être définitivement.
Continuer avec l’obéissance du fonctionnaire, avec l’acharnement, l’imagination qu’il faut pour improviser des pratiques plus nouvelles que celles de la veille mais avec les doutes aussi. À quel jeu de massacre se livre-t-on ?
Je me réveille depuis presque une semaine sur ces tonalités. Plus d’espace matériel entre mon intimité et le travail. Plus de porte à passer, plus de trajet pour voir le monde. Difficile de se conditionner, de se connecter, de dialoguer avec tous et avec chacun.
Le « ce ne sont pas des vacances » a été martelé par la haute autorité mais ce n’est pas non plus le travail, enfin celui d’habitude, fait de contacts, de liens, de connivences, des cent trente cinq « Bonjour », des cinquante « Taisez-vous ! », des documents distribués, des copies ramassées, des nettoyages, balayages, agacements, grandes joies, projets, appels divers, le quotidien des pleurs, des plaintes, des objets insolites montrés au détour d’un couloir : « Hé, madame, j’ai fait une boîte à fantômes. »
Difficile de baliser, de séparer l’espace virtuel du travail de celui du monde en déroute. Inquiète pour la santé des corps, des économies, inquiète pour le présent et bien autant pour l’avenir. Envie de grogner, de gueuler avec ceux qui gueulent, partager un article au milieu de ce fatras, choisir l’évasion ou la poésie, ne pas vouloir se laisser berner, ni avaler par le désarroi. Préserver dans tout ça la sphère privée. Difficile de prendre soin de son propre corps, de penser à ceux que l’on chérit et qu’on ne peut guère approcher, impossible de ne pas regarder consternée le désastre.
Pour l’instant, la solidité, c’est les bourgeons qui explosent, le temps qui au milieu de cette déroute se montre clément, la conscience qu’il est primordial de maintenir le lien avec nos élèves.
Une prof confinée
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