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Clash en haut lieu contre le crash de la navette Paris-Bordeaux

« L’impératif écologique » ne justifie pas la suppression de la navette Air France vers Orly, estiment les responsables des collectivités locales et de la CCI Bordeaux Gironde, relayant les préoccupations d’industriels, dont Dassault. Dans une lettre au Premier ministre, ils s’inquiètent du projet d’arrêter des lignes aériennes lorsqu’il existe des alternatives en train de moins de 2h30. Les réactions des écologistes ont fusé.

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Clash en haut lieu contre le crash de la navette Paris-Bordeaux

« L’impératif écologique doit-il conduire à la mise en cause de la totalité des liaisons quotidiennes entre Bordeaux-Mérignac et Paris-OrIy ? Nous ne le pensons pas », écrivent les grands élus de la région dans un courrier daté de ce lundi 18 mai, et adressé au Premier ministre Édouard Philippe. Ils lui demandent de « revoir la position » du gouvernement.

Les ministres de l’économie, Bruno Le Maire, et de l’écologie Elisabeth Borne, ont en effet confirmé la semaine dernière que le plan d’aide de 7 milliards d’euros accordé à Air France serait conditionné à des critères écologiques, dont « la fermeture de lignes aériennes intérieures », sauf pour les liaisons vers des hub, et à condition qu’existe une « alternative en train durant moins de 2h30 ».

Une telle décision viserait en fait les vols Air France entre Orly d’un côté, et Nantes, Lyon et Bordeaux de l’autre – même si, relève Air France joint ce jour par Rue89 Bordeaux, Orly pourrait être considéré comme un hub, puisqu’il dessert la Guyane, La Réunion ou les Antilles, mais aussi New-York et plusieurs destinations européennes.

Et Hop !, Bordeaux se fait voler la navette (Eric Salard/Flickr/CC)

Actionnaires en colère

Si la feuille de route sur les vols domestiques sera présentée cet été par la compagnie, les élus locaux s’activent en coulisses. La « suppression de la navette » d’Air France serait « une mauvaise réponse à une bonne question », estime ainsi Alain Anziani.

Le maire de Mérignac, premier monté au créneau, a reçu le soutien des autres représentants locaux (département de la Gironde excepté) au conseil de surveillance de l’aéroport : le maire de Bordeaux Nicolas Florian, le président de la métropole Patrick Bobet, d’Alain Rousset, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, et le président de la CCI Bordeaux Gironde, Patrick Seguin, actionnaire principal de l’aéroport après l’Etat (respectivement 25% et 60% des parts).

« Si la suppression de la navette est confirmée, je suis très inquiet de la pérennité de l’aéroport. Cette liaison rapide avec Paris facilite ses liaisons européennes ou transcontinentales », a souligné ce dernier dans un communiqué. « Plusieurs industriels ont également fait part de leurs incompréhensions devant une telle suppression de nature à remettre en question leurs projets de développement dans la région bordelaise ».

Il s’agit clairement de Dassault : l’avionneur, qui a ces dernières années agrandi son usine de Mérignac, transfère en effet en Gironde des emplois depuis ses sites d’Ile-de-France. Et ses salariés effectuent chaque année des milliers de vols entre Mérignac et Orly, avant notamment de rallier Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, un site jugé plus accessible par la navette que par le train.

Dassault compte délocaliser des centaines d’emplois dans son usine de Mérignac (SB/Rue89 Bordeaux)

Notre « plane » quotidien

Aussi, poursuit la missive des élus locaux, l’essentiel des 550000 passagers annuels de la navette Bordeaux-Paris (sur 7,7 millions de voyages via Mérignac, et 1,2 million depuis ou vers les deux aéroports parisiens) « est constitué de salariés notamment de la filière aéronautique de la Métropole ».

Celle-ci, poursuivent-ils, « emploie près de 35 000 salariés sur Bordeaux Mérignac avec 300 entreprises dont Dassault, Thalès, Sabena Technics, Safran, Ariane Group ou Airbus Defence & Space ». Or ces salariés, qui « travaillent à quelques minutes de l’aéroport (…) sont éloignés de plus d’une heure de la gare Saint-Jean où un train les conduirait au cœur de Paris qui est rarement le lieu de leurs activités ».

Et « les grands sièges sociaux nationaux (Cultura, Axa Wealth Services, lxxi Techside…), de très nombreuses directions régionales (EDF, Carrefour, Colas, Dalkia …) et des PME, qui ont choisi cette implantation (à l’ouest de l’agglomération bordelaise) pour la qualité de sa liaison avec Paris », plaident élus et entreprises. Bref, un RER à ciel ouvert :

« Nous sommes donc en présence d’un transport aérien dont la vocation première n’est pas de satisfaire des aspirations touristiques, mais de permettre à des salariés d’effectuer des allers-retours dans la journée », justifient-ils.

« Errements du vieux monde »

Précisément ce que dénoncent les écologistes. Candidat à la mairie de Bordeaux, Pierre Hurmic estime ainsi que « le redressement économique de nos entreprises ne peut s’exonérer de contreparties écologiques et climatiques ». Or, déplore-t-il,

« le courrier commun CCI, Région et Métropole s’aligne sur la position des industriels sans chercher avec eux des solutions nouvelles permettant de limiter davantage le déplacement de leurs cadres via des outils numériques collaboratifs, tels que le télétravail, les vidéoconférences… (…) Le rôle des pouvoirs publics n’est-il pas d’accompagner les entreprises de l’Aéroparc vers une mutation inévitable au lieu de persister à les ancrer dans les errements du vieux monde ? »

La navette d’Air France entre Bordeaux et Paris (Dylan Agbagni/flickr/CC)

Pour beaucoup, la réduction du trafic aérien, fortement émetteur de gaz à effet de serre (l’avion émet 45 fois plus de CO2 par kilomètre et par voyageur que le TGV, et son impact est probablement sous évalué) est un impératif dans la lutte contre le réchauffement planétaire. Une proposition de loi suggérait déjà de supprimer des lignes intérieures pour cette raison. Au niveau local, l’aéroport de Bordeaux-Mérignac pèse 28% des émissions de gaz à effet de serre liés aux déplacements dans la métropole.

Les collectivités et la CCI rappellent certes que « l’aéroport s’est doté d’un plan d’orientation stratégique volontariste en termes de lutte contre les nuisances sonores et visant à la neutralité carbone et devenir ainsi un équipement éco-responsable »… (après quelques décennies d’insouciance).

Avion vert et Palombe bleue

Ils font aussi valoir que la filière aéronautique « travaille constamment à la fabrication d’avions moins polluants dans le cadre du programme européen « Clean Sky » » et que le Conseil Régional de la Nouvelle-Aquitaine « est engagé dans la mise en oeuvre d’une feuille de route stratégique aéronautique prévoyant le recours accru aux carburants alternatifs (…) et le soutien à la filière hybride électrique ».

Mais les spécialistes pointent que ni les biocarburants, ni les batteries électriques ni d’autres alternatives au kérosène ne seront prêts à temps pour faire face au défi climatique posé par l’envol du trafic.

« Le secteur aérien et sa folle croissance qui voit doubler le nombre de passagers tous les 10 ans doit déjà se réinventer et renoncer aux avantages dont il bénéficie à ce jour, comme la détaxation du kérosène, souligne Pierre Hurmic. La Norvège taxe déjà le kérosène de ses vols intérieurs, et hors d’Europe, les Etats-Unis, le Japon et le Brésil le font aussi.« 

La Sepanso, une des principales associations environnementales de la région, s’est également indignée dans un communiqué du courrier des collectivités, ainsi que des déclarations de François Bayrou pour plus de navettes aériennes entre Pau et Paris.

« Avez-vous oublié que l’aéronautique a été à l’origine même de la propagation de la pandémie ? » interroge l’ONG qui milite « pour le rétablissement des trains de nuits, alternative à l’avion, qui satisfaisait tant de passagers, par exemple ceux de Tarbes, Pau, Irun… »

Verra-t-on dans le « monde d’après » des cadres de Dassault descendre de la Palombe Bleue à la gare d’Austerlitz, les yeux ensablés ? Le chantage à l’emploi promet d’être un argument d’un tout autre poids.


#aéroport de Bordeaux-Mérignac

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