Devant les locaux du Secours populaire près du cours de la Somme, à Bordeaux, une tente a été dressée sur le trottoir en guise de salle d’attente. Covid-19 oblige, le nombre de personnes admises à l’intérieur est limité. Les bénévoles récupèrent leurs sacs pour les remplir de dons alimentaires – pâtes, riz, conserves, légumes…
Il y a là quelques habitués, comme Laurent, 52 ans, qui vient tous les mois remplir son cabas. SDF depuis 4 ans, il vit dans un squat de la rive droite avec 7 personnes. Son seul RSA – 560€ – ne lui permet pas de louer un appartement, et il a dû refuser des offres de logement social car sa chienne n’y était pas admise.
Nous croisons aussi Cassie, mère célibataire, quatre enfants à charge dont une petite de cinq ans, ce qui empêche cette coiffeuse-esthéticienne de retrouver du travail depuis des années. Ses allocations RSA et CAF partent en loyer et factures. Les colis du Secours populaire lui permettent de « tenir deux ou trois jours ».
25% de nouveaux bénéficiaires au Secours populaire
Il y a aussi quelques nouveaux venus, comme Jean-François, 49 ans. Palefrenier, il est au chômage depuis un mois, après avoir quitté un centre équestre où il a travaillé 10 ans.
« Quand j’ai payé mon loyer – 880€ par mois à Bordeaux -, il me reste 35 euros pour vivre. Et j’ai un mois de loyer retard… Alors la Sécurité sociale m’a aiguillé vers le Secours populaire. Je cherche du travail mais c’est compliqué dans ma branche car je n’ai pas de voiture. Et c’est difficile en ce moment de trouver des petits boulots. »
Coordinateur des trois sites de distribution du Secours populaire à Bordeaux, Lionel Estrade estime que le nombre de bénéficiaires a bondi de 25% depuis la crise sanitaire.
« Il y a un an, on était à 1600 personnes soutenues par mois, on est passés à 2000 avec un pic à 2400 pendant le confinement, dont 40% de nouveaux foyers. Ceux qui étaient précaires ont basculé complètement dans la pauvreté parce qu’ils n’ont plus de petites boulots déclarés ou pas, sources non négligeables de revenus. Alors pour une famille, le fait de dépenser 3€ au lieu de 30 pour un caddie, ce sont de vraies économies. »
Le retour de la faim
En Gironde, ce sont au total 18000 personnes qui étaient aidées par le Secours populaire en 2019. Si le calcul n’est pas encore évident pour 2020, son secrétaire général Denis Laulan considère que la hausse devrait s’élever entre 30 et 40%, soit plusieurs milliers de « nouveaux pauvres ».
« Il s’agit de catégories de populations qu’on ne voyait pas avant, souligne-t-il : personnes en CDD, saisonniers dans le Médoc, autoentrepreneurs… Un artisan pêcheur du Bassin d’Arcachon est même venu trouver le Secours populaire à la Teste. C’est saisissant qu’on doive à nouveau se préoccuper de la faim en France. »
Le constat est le même du côté de la Banque alimentaire de la Gironde. Elle fait face à un accroissement important de son activité, avec 20% de bénéficiaires supplémentaires, indique son président Gilles Dupuy.
« Nous alimentons désormais 20000 personnes par semaine via nos associations et CCAS partenaires, plus 2000 autres via une quinzaines de nouvelles associations qui sont demandeuses de denrées alimentaires pour des milieux très touchés par la crise de la Covid – SDF, immigrés, sans emploi. Nous observons un autre phénomène : la multiplication par cinq ou six du nombre d’étudiants bénéficiant d’aide alimentaire. »
Étudiants et indépendants en détresse
Avant la pandémie, 100 à 150 étudiants étaient concernés sur le campus de la métropole bordelaise. Ce chiffre, qui est allé jusqu’à 1000 par semaine pendant le confinement, s’élève désormais à 600 ou 700 personnes.
« On pensait que ça allait se tasser avec la rentrée universitaire, et c’est au contraire en train de repartir à la hausse, poursuit Gilles Dupuy. Car les jeunes ne trouvent pas de quoi financer leurs besoins et leurs études par des travaux saisonniers, des extras ou des petits boulots ».
L’augmentation de la pauvreté se mesure également dans les statistiques du RSA (revenu social d’activité) délivré par le département de la Gironde. Au 30 juin dernier, 42 818 foyers en ont bénéficié, contre 40 460 l’an dernier à même époque. Entre janvier et aout 2020, le conseil départemental constate une augmentation de 6,44 % du nombre d’allocataires, qui pourrait être de +10% à fin décembre.
« On voit des jeunes sortant d’études qui ont du mal à être embauchés, indique Denise Greslard-Nédélec, vice-présidente du département en charge de l’insertion. Les personnes un peu ric-rac qui se maintenaient avec des petits jobs et la prime d’activité se tournent vers le RSA. Et les travailleurs indépendants commencent à déferler (+20%), car ils ne peuvent pas tenir longtemps avec l’aide de 1500 euros de l’État. La reprise économique est très compliquée, et les annonces du président n’incitent pas à se lancer dans une activité nouvelle. »
Selon le département, il y aurait ainsi parmi les allocataires « un peu plus de personnes proches de l’emploi qui pouvaient entre autre avoir jusque à la crise des activités intermittentes, intérimaires et qui du fait de l’allongement des durées de temps de travail nécessaires à
l’ouverture de droits chômage (application de la réforme de novembre 2019 à juillet 2020 avant suspension de cette dernière au 1er août) combiné avec une raréfaction des emplois de ce type, ont basculé dans le RSA ».
2500 nouveaux foyers au RSA
Ils subissent ainsi les effets de la forte augmentation du chômage en Gironde, de 25,6% au deuxième trimestre 2020. Et 2500 foyers de plus au RSA, « ce n’est pas rien », estime l’élue (PS) selon laquelle « même avec les 9,7 millions d’euros supplémentaires votés par le conseil départemental pour le RSA (portant son budget prévisionnel à 252,6 millions d’euros), on arrivera difficilement au bout de l’année ».
« Et l’État n’est pas prêt du tout à prendre en charge le supplément de versement des allocations, sans parler du personnel nécessaire. »
Le Secours populaire se tourne aussi vers l’Etat pour exiger le maintien du fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), toujours pas actée dans le prochain budget de l’UE. Avec la Banque alimentaire, l’association s’inquiète d’ailleurs de toujours pas voir arriver les stocks promis pour 2020 par le FEAD, qui représente 40% des denrées écoulées par le Secours populaire.
Quadrature du cercle
Les deux ONG partagent aussi une inquiétude quant à la réduction de la ramasse – la collecte des invendus des grandes surfaces, aux dates limites de consommation sur le point d’être dépassées -, du fait d’un « gaspillage plus maîtrisé par les supermarchés », indique Gilles Dupuy.
« C’est la quadrature du cercle, estime ce dernier. Nous avons plus de bénéficiaires mais moins de denrées, liée aussi à une certaine désorganisation pendant la pandémie. Il faudra qu’on augmente les dons que nous recevrons lors de notre collecte nationale fin novembre, qui nous apporte 10% de nos besoins annuels. Mais cela va être compliqué compte tenu des règles sanitaires. Nous aurons besoin de plusieurs centaines de bénévoles (renseignements ici) pour compenser la probable non participation au tri des dons par les collégiens. »
Le Secours populaire invite les particuliers à donner dès ce week-end, à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère. Une grande collecte alimentaire a lieu dans 30 supermarchés de la Gironde, dont la liste est disponible ici.
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