Média local avec zéro milliardaire dedans

Pauline Gobbini : « Dans nos métiers culturels, on se sent considérés comme irresponsables »

Active dans une association de musiques actuelles, Pauline Gobbini livre son témoignage et ses propositions à l’appel de Rue89 Bordeaux en vue du Forum des acteurs culturels à Bordeaux. Cette initiative indépendante vise à fournir une synthèse des contributions pour les débats et les réflexions sur la politique culturelle locale.

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Pauline Gobbini : « Dans nos métiers culturels, on se sent considérés comme irresponsables »

Je travaille pour KiéKi Musiques, une association installée à Talence. 
Nous sommes une petite équipe engagée dans le développement artistique en musiques actuelles. 

Pour résumer, notre travail consiste à faire en sorte que les musiciens créent des spectacles dans de bonnes conditions (humaines, techniques, financières) et jouent ensuite ces spectacles partout en France, voire à l’étranger. Nous produisons aussi leurs disques, nous travaillons avec eux leur image, faisons réaliser des clips… Tout le nécessaire pour que leur musique arrive aux oreilles des pros et du public !  Nous accompagnons ainsi entre 8 et 10 artistes/groupes de musique.

Depuis le confinement, la mécanique a bien été cassée. En bref, nous détricotons ce que nous avons mis parfois un an à penser ou mettre en œuvre : des résidences, des tournées, des projets. Les mois qui viennent de passer ont été essentiellement rythmés par les reports de concerts, les annulations, les demandes d’aides d’urgence, l’accompagnement des intermittents dans le chômage partiel… Peu de réjouissances à vrai dire. 

Il ne va rester que les « gros »

Depuis la rentrée nous essayons de remettre du cœur à l’ouvrage, mais la danse des reports et des annulations n’a pas encore dit son dernier mot. Il est très compliqué de nous projeter, de faire notre métier normalement et surtout de retrouver de l’élan dans ce flou total. 

On voit des organisateurs de concerts, de festivals autour de nous dont le travail est balayé d’une décision préfectorale tardive, alors qu’ils ont mis des mois a construire des événements, en suivant les protocoles, en redoublant de vigilance… On voit des lieux essentiels à nos villes et à la découverte musicale mettre la clef sous la porte. 

Nous avons conscience de la situation sanitaire, mais nous avons surtout beaucoup d’inquiétude pour la suite. On se sent stigmatisés, considérés comme irresponsables ou incapables de faire nos métiers en incorporant ces nouvelles contraintes… pourtant la contrainte ça nous connait ! Les conséquences professionnelles, économiques, sociales et artistiques vont être lourdes. Je me dis qu’il ne va rester que « les gros » (producteurs, entrepreneurs culturels…) et que Bolloré va finir de tout racheter (oui j’ai le scénario catastrophe facile en ce moment).

Abandonnés par le « sommet »

Non contents de subir cette crise inédite, nous avons affaire à un second séisme : une cour de justice européenne qui préfère défendre les intérêts américains à la création indépendante de son propre territoire.
Honnêtement ça a été le pompon. Je vois venir une espèce de lame de fond qui va finir de noyer nos modèles, le soutien à la création artistique à la française, notre exception culturelle, la défense de nos diversités… 

Comme pour beaucoup d’indépendants, notre modèle économique est hybride : nous avons évidemment un pied dans le « marché » avec la vente de concerts, mais nous nous revendiquons aussi d’intérêt général : nous faisons partie du paysage indé, celui des passionnés qui ne comptent pas leurs heures, qui font 5 métiers à la fois avec les moyens du bord, qui avons à cœur de nous améliorer chaque jour pour prendre à « bras-le-cœur » des sujets comme les droits culturels, la parité, l’état de la planète et tous ces défis qui dépassent clairement les objectifs économiques… 

Bref nous avons besoin aussi du soutien de la puissance publique, et on ne va pas se mentir, on se sent pas mal abandonnés par le « sommet »… 
La musique indé, la contre culture, les niches continueront d’exister mais avec sans doute moins de moyens, moins de visibilité. Retour aux caves pour les moins vendeurs ? Ah mais non elles sont fermées…

Coopération locale

Des solutions ? Je ne vois pas de solutions magiques. Mais ce dont je suis persuadée, c’est que nous allons devoir défendre collectivement notre diversité musicale, nos engagements. Il va falloir redevenir militant et plus solidaire. Je crois au rassemblement, au nombre, au réseau : trouver des espaces où ensemble nous pouvons peser sur un réel qui nous est parfois hostile (notre association appartient au RIM, le réseau régional des indépendants de la musique, mais aussi au réseau Zone Franche ou encore à la Félin).

Je crois aussi à plus de coopération en local : il est essentiel que les artistes circulent, que la musique n’ait pas de frontières géographiques mais je repense de plus en plus à l’idée de cultiver son jardin, créer des petites poches de micro-résistance et de micro-jouissance autour de soi…

Peut-être que désormais, réussir sa vie en tant qu’artiste ce n’est pas faire le tour des gros festivals détenus par de gros industriels, ou avoir des tournées internationales face à des publics immenses. Peut-être que c’est tisser autre chose… Je ne suis sûre de rien, mais disons que ça m’interroge… 


#crise sanitaire

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