En cette journée de décembre, Tristan (prénom d’emprunt) sert ses derniers hamburgers du midi. « Aujourd’hui j’ai fait 12 clients, cela ne m’est jamais arrivé. » D’ordinaire, Tristan sert une trentaine de personnes midi et soir.
À la suite du déconfinement, ce jeune entrepreneur a servi entre 50 et 70 clients tous les vendredis soirs, dans la petite commune du Libournais où il gare son camion. Mais depuis la mise en place du couvre-feu à 20 heures, Tristan ne peut plus travailler le soir et son chiffre d’affaires a chuté :
« Ça m’a fait perdre au moins 600 euros par mois », soit le tiers de ses rentrées financières.
De retour chez lui – dans une caravane de 8m² située au cœur d’un garage où il vit depuis un an et demi – Tristan enfile une chemise propre. Le local appartient à son beau-père spécialisé dans l’aménagement des camions destinés au food truck. Quelques-uns sont dissimulés derrière une grande porte.
« Je n’ose pas augmenter le prix de mes hamburgers »
L’homme à l’allure d’adolescent s’estime chanceux de pouvoir travailler. Mais il déplore la hausse des prix généralisées causée par la pandémie :
« Mon boucher a augmenté le prix du steak haché mais je n’ose pas augmenter le prix de mes hamburgers. Je préfère perdre de l’argent. Le sandwich avec la boisson, je le fais à 7 euros et le hamburger à 8 euros. J’essaie de faire au même prix que tout le monde, mais de meilleure qualité. Quand ça monte à 9 euros, pour un jeune, c’est déjà cher. »
Depuis 6 ans, le restaurateur a une place fixe dans une commune, située entre la Dordogne et la Garonne. Le vendredi soir, il installe son camion :
« Pendant le premier confinement, les responsables de la mairie m’ont dit que je n’arriverai pas à gérer le monde car certains clients viennent prendre une barquette de frites et un sandwich juste pour discuter. Ils se confient car ils sont seuls. »
Pendant le deuxième confinement, Tristan a pu reprendre son service. En temps normal, il sert principalement des routiers. Mais avec la crise, la plupart se retrouvent au chômage partiel.
Tristan est un grand stressé. Heureusement, dans son food truck, deux vendeuses se relaient. Il confie avec embarras :
« Mes vendeuses travaillent au noir. Je ne peux pas me permettre de les déclarer sinon je perds trop d’argent. Pendant le confinement, je leur faisais une déclaration unique d’embauche. »
Psychotique
Avec la pandémie, Tristan est aussi préoccupé par sa santé. Il a développé une leucémie à 7 ans, a fait une rechute à 14 ans et a enchainé les soins expérimentaux :
« Les soins m’ont abîmé une partie de la mémoire. C’est très rare de retomber malade quand on a une leucémie enfant. Maintenant, j’ai toujours peur d’attraper un truc. Une fois, je me suis même drogué au Doliprane pour un simple mal de crâne. »
Il poursuit, avec un sourire gêné :
« Je suis légèrement psychotique. Mais je me rappelle quand même des commandes des clients. »
Malgré un optimisme tenace, Tristan se sent seul. Depuis sa rupture amoureuse il y a un an et demi, à l’issue d’une relation de 17 ans, il vit dans ce garage :
« Dans un an, j’espère partir. Mais c’est compliqué d’avoir un appartement car personne ne veut le louer à un auto-entrepreneur. C’est trop risqué. »
Coup dur
Seul dans sa caravane, il fait le bilan :
« Le stress du travail a empiété sur ma relation. Mes conversations tournaient uniquement autour du camion. Avec ce confinement, ça me pèse de ne pas avoir quelqu’un à qui parler tous les jours. J’ai essayé les sites de rencontres mais ce n’est pas pour moi. Je pensais trouver l’amour grâce à mon camion, en rencontrant une cliente, par exemple. »
La veille du réveillon, nouveau coup de massue pour le restaurateur : son camion est tombé en panne. Il faut changer le moteur. Tristan et ses vendeuses se retrouvent désormais sans revenus.
En attendant, il pioche dans ses économies et demande de l’aide à son entourage. Cet auto-entrepreneur affirme n’avoir pas non plus accès au fond de solidarité de l’État.
« Avec tout ça, je ne sais pas quand je vais pouvoir déménager de mon camping-car ! », sourit néanmoins Tristan, qui relativise sur sa situation :
« Quand je vois à mon petit niveau le mal que ça me fait, je ne sais pas comment font les autres restaurateurs pour s’en sortir. »
Clémentine Rivière
Le porte-monnaie de Tristan
Revenus fixes : 1800€ net par mois
« Je ne déclare que 1200 euros à la Sécurité sociale des indépendants. Si je déclare tout, c’est simple je ferme ! Ce n’était pas mon but de tricher mais gagner 1100 euros non plus. Autant rester au RSA dans ce cas et ne pas travailler. »
Dépenses fixes : 625 euros par mois
- Loyer et charges : 200€
« Je donne un peu à mon beau-père, j’estime que c’est normal avec ce que je consomme dans son hangar en eau et électricité. » - Impôt sur le revenu : 0€
- Mutuelle : 65 €
- Internet et téléphone portable : 50€
- Assurances camion et professionnelle : 150€
- Frais du camion : 160€
« C’est pour rembourser du matériel et l’entretien du camion, que j’ai depuis 12 ans. Mon crédit se termine en mai 2021. » - Loisirs : 0€
« Je regarde principalement des films en streaming. Je prends aussi des cours de guitare avec un ami qui est chômeur. Vu qu’on s’apprécie, je lui offre les burgers et en échange, il me donne des cours. Et comme moi et les papiers c’est compliqué, il lui arrive de m’aider à faire mes comptes. » - Frais bancaires : 12€
Dépenses aléatoires : 680€
- Alimentation : 260€ en moyenne
« Il m’arrive de récupérer des restes du camion aussi. » - Frais déplacements camion food truck : 300€ en moyenne
- Sorties : 0€
« J’aimerais faire du sport mais je n’arrive pas à m’y mettre ! Mais je fais beaucoup de repas en famille, au moins une fois par semaine. » - Vêtements : 70 euros par mois
« Quand j’étais en couple, je restais focalisé sur le travail et je ne faisais pas attention à moi. Mais maintenant, j’aimerais bien prendre soin de moi. Après une séparation, on se remet en question. » - Cadeaux : 50€
« Pour le repas familial hebdomadaire, j’amène régulièrement une bouteille. » - Vacances : 0 €
« Être auto-entrepreneur, ça n’a pas que des avantages. Cela fait 11 ans que je n’ai pas pris de vacances, je cotise mal pour la retraite, le droit au chômage je ne pense pas l’avoir. Si je prends des vacances, je n’ai personne pour me remplacer. »
Epargne : entre 500 et 550 euros par mois
« Cela fait beaucoup d’argent, je pourrais aller en prison après vous avoir dit ça ? »
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