« On demande depuis une semaine des référents. Les occupants n’ont pas de revendications. Il est difficile pour nous de soutenir ce qui se passe » déclarait Dimitri Boutleux ce mardi à Rue89 Bordeaux. Le président de l’Opéra et adjoint au maire de Bordeaux annonçait déjà que « les choses peuvent bouger dans les 24 heures ».
C’est fait. Le lendemain, ce mercredi 24 mars, l’évacuation des lieux a été demandée par la Ville et la direction de l’opéra.
« On a été pris de court »
Cerbère se souviendra de sa première et seule nuit sur place. Il revient sur cette évacuation au petit matin, les yeux encore rougis de sommeil.
« Vers 7h, on a été réveillé par un branle-bas de combat. Les portes, les fenêtres étaient ouvertes. […] On s’est retrouvé face à plusieurs élus de la Ville et responsables du lieu qui nous ont dit : on va fermer l’opéra. »
La police municipale était mobilisée sur place ainsi qu’aux abords de la place de la Comédie. Les toilettes du Grand Théâtre ont été fermées. L’accès à la cuisine interdit. Très vite, toute négociation semblait impossible.
« On a reçu une invitation cordiale à quitter les lieux, sans violence et dans le calme. On a été pris de court », confie Cerbère.
Pour Léa, intermittente et présente depuis le début de l’occupation, les lignes auraient bougé dans les rangs de la municipalité « en raison d’une pression de la part de l’opposition bordelaise et de la préfète ».
Mardi, sur Twitter, Nicolas Florian avait appelé Pierre Hurmic « à prendre ses responsabilités pour prévenir d’éventuels débordements ». De son côté, Fabienne Buccio avait estimé que c’était au maire d’activer la procédure en vue d’une évacuation du Grand-Théâtre. Condamnant au passage cette occupation « avec la plus grande fermeté ».
Conditions sanitaires et sécurité
Ce mercredi matin, la Ville de Bordeaux a voulu accélérer les choses en « informant les occupants de quitter les lieux, le plus tôt possible », explique le maire.
« Force est de constater aujourd’hui que cette occupation ne s’inscrit plus dans la revendication nationale des acteurs culturels et que les occupants ne sont pas en mesure de garantir les conditions sanitaires et de sécurité initiales qui avaient été convenues avec la direction de l’Opéra », indique la municipalité, dans un communiqué de presse.
Dimitri Boutleux abonde :
« La pression est devenue trop forte, c’est une question de sécurité. Nous portons le poids de la responsabilité si les choses se passent mal. Ce matin, on a discuté de manière très pacifique avec les occupants durant une heure et demi, en leur expliquant pourquoi ils devaient partir. On s’attendait toutefois à une forme d’incompréhension. »
En parallèle et « par mesure de protection », souligne l’édile, la direction de l’opéra a déposé « une requête aux fins d’expulsions » auprès du tribunal administratif de Bordeaux.
Surpris par cette opération – « on nous a envoyé aucun signe » estime Cerbère –, la quarantaine d’occupants présents cette nuit n’ont pas eu le temps de se concerter. Une partie est directement sortie en début de matinée. Des agents se sont postés devant les portes et ont empêché la moindre personne de rentrer. « Les portes sont fermées, toute sortie est définitive », informe l’adjoint chargé de la création et des expressions culturelles
À l’intérieur, le reste de la troupe s’est retrouvé face une difficile équation durant la matinée : que faire et quoi faire en présence d’un si faible nombre de personnes (une trentaine environ) coupé de l’extérieur ? Attendre (simplement) la décision de justice ordonnant l’évacuation ?
Aucun blessé lors de l’évacuation
À la mi-journée, alors que le maire de Bordeaux convoquait la presse à l’Hôtel de Ville, une assemblée générale des occupants du Grand-Théâtre s’est déroulée place de la Comédie, sur les lignes du tram, interrompant la circulation entre Quinconces et Musée d’Aquitaine.
La température est légèrement montée au moment où plusieurs personnes ont tenté de s’introduire dans l’opéra. La police municipale a notamment fait usage de gaz lacrymogène. Alors que la police nationale a poussé les derniers occupants vers l’extérieur. Tout s’est passé très rapidement.
Selon un communiqué de la Ville, « l’évacuation s’est déroulée sans heurts majeurs ni blessé ». Surtout, la municipalité n’a pas eu besoin de mettre en exécution la décision de justice ordonnant la libération du Grand Théâtre « qui aurait été rendue dans les prochains jours », informe Pierre Hurmic.
Ce mercredi après-midi, un dispositif de sécurité a toutefois été maintenu afin d’interdire toute nouvelle entrée dans le bâtiment.
« Désobéissance civile »
Le maire s’est félicité que « les premières constatations des lieux, actuellement en cours, montrent que ce joyau patrimonial n’a pas été dégradé ». Si sa décision a reçu le satisfecit de son opposition de droite, celle à sa gauche a tiré à boulet rouge, « scandalisée par les raisons invoquées car il est évident que ce n’est ni à la mairie, ni à la préfecture de décider de l’orientation de luttes qui visent précisément à abattre un système mortifère mis en place par l’Etat et à réduire notre liberté d’expression ».
Dans un communiqué publié en fin de journée, la réaction du groupe Bordeaux en Luttes est corrosive. Celui-ci « apporte tout son soutien à toutes les personnes qui ont vu leur élan émancipateur freiné par cette évacuation que nous condamnons avec fermeté ». Il ajoute :
« Face à un système néo-libéral violent, méprisant, la désobéissance civile est une des réponses dont nous devons nous saisir pour renverser la table et retrouver la dignité dont on prétend nous priver définitivement. »
Une déclaration qui ne va pas manquer de regonfler Cerbère, « dégoûté parce que l’art vivait dans l’opéra depuis trois-quatre jours (deux concerts et une lecture de contes avaient été organisés) ». Le jeune homme espère que cette évacuation ne sonne pas comme la fin.
« On a perdu l’occupation d’un lieu assez emblématique et symbolique. C’est dommage. Maintenant, on a besoin de se remettre de nos esprits avant de décider de la suite tout ensemble. »
Nouvelle occupation
Depuis ce mardi 23 mars, une nouvelle occupation se déroule à la Rock School Barbey. Elle est chapeautée par la Coordination des intermittents et précaires de la Gironde (CIP 33) qui s’était désolidarisée de l’occupation de l’Opéra. Les occupants ont fait savoir qu’ils continuent la lutte initiée par le Théâtre de l’Odéon et partagent le communiqué des occupants du Théâtre Graslin à Nantes « qui traduit parfaitement tant par la forme que par le fond nos revendications ».
« Dans cette lutte, c’est bien d’un choix de société qu’il s’agit. L’écho des occupations est énorme sans que soit encore bien compris le terreau de cette lutte et ses ambitions », écrivent-ils.
Les sept revendications exposées insistent sur une occupation partagée avec « l’ensemble des professionnel.le.s de la culture : artistes et technicien.ne.s du spectacle, autrices et auteurs, salarié.e.s d’associations culturelles, étudiant.e.s en formation culturelle (Conservatoire, Université…)… ».
Ils demandent non seulement « la réouverture des espaces de rencontres artistiques avec le public », mais également « des mesures d’urgence pour soutenir les caisses sociales spécifiques du spectacle », « l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage », et « des moyens et des mesures pour la jeunesse qui se retrouve aujourd’hui dans une grande précarité ».
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