La loi « confortant le respect des principes de la République », dite loi « séparatisme » est non seulement un texte stigmatisant les musulmans, mais c’est aussi un véritable fourre-tout qui a servi notamment à restreindre les libertés associatives au profit d’un plus grand contrôle des pouvoirs publics. Face à une menace aussi importante, le mouvement associatif a difficilement tenté de se mobiliser, notamment contre le « contrat d’engagement républicain ». La majorité n’a toutefois rien entendu de ses inquiétudes et a adopté toutes les dispositions liberticides.
Le texte étend la possibilité de dissoudre les associations. Auparavant, les hypothèses de dissolution étaient cantonnées aux cas très graves notamment de provocations à des manifestations armées, d’atteinte à l’intégrité du territoire et de la forme républicaine du gouvernement, d’opposition au rétablissement de la légalité, de discrimination et de haine, de terrorisme ou encore les groupes de combats et milices privées. Ces hypothèses, déjà nombreuses, permettaient déjà de couvrir un champ large d’atteintes graves à l’ordre public.
Non satisfaite de ne pouvoir dissoudre à tout va, la majorité a adopté deux extensions qui, combinées, mettent gravement en danger la liberté associative. Face à ces reculs sans précédent des libertés associatives, le Conseil constitutionnel n’a pas trouvé les mesures disproportionnées…
Boîte de Pandore
S’agissant du nouveau cas de dissolution visant les violences faites aux personnes et aux biens, le Conseil constitutionnel a estimé que les garanties étaient suffisantes, le texte de loi prévoyant que la dissolution administrative intervienne en cas de graves troubles à l’ordre public débouchant sur des « violences » aux personnes et aux biens. Or l’appréciation du caractère « grave » de l’ordre public est soumise aux interprétations des juges et peut varier grandement. Croire que le qualificatif serait suffisamment protecteur est une illusion.
Pire, le texte de loi ne se limite pas à opposer les dissolutions aux cas de violences faites aux personnes, ce qui pourrait s’entendre, mais également aux violences faites « aux biens ». S’il est facile d’identifier une violence faite à une personne, il en va autrement des violences faites aux « biens », et ce d’autant plus que, contrairement au droit pénal qui ne sanctionne que les destructions des biens d’une certaine importance, la loi séparatisme n’indique rien ni quant aux biens concernés ni quant aux types de « violences ».
C’est l’ouverture de la boîte de Pandore. Faut-il considérer comme une violence faites aux biens un tag ? l’intrusion dans les centrales nucléaires par les associations de défense de l’environnement ? les actions anti-publicités ou encore celles contre l’éclairage nocturne ?
Les biens et la propriété sont l’objet d’un véritable culte, au point qu’on s’interroge parfois sur la hiérarchisation des valeurs d’une société qui les place au-dessus de la protection des personnes. Quand on voit l’émoi généralisé lorsque des vitrines sont détruites en manifestation en comparaison de celui, beaucoup plus faible, suscité par les victimes des gestions calamiteuses du maintien de l’ordre, il y a de quoi s’inquiéter. Les associations pratiquant la désobéissance civile sont ainsi particulièrement menacées (Act Up, Greenpeace, ANV COP, L214, ATTAC…).
Police des adhérents
L’ouverture de la dissolution des associations en raison des agissements d’un de leurs membres est elle-aussi particulièrement grave. Jusqu’à présent, une association n’était responsable que de ses propres agissements, effectués par ses représentants ou par les personnes ayant expressément reçu mandat d’agir en son nom. Désormais la dissolution pourrait intervenir lorsque l’acte aura été commis par un·e simple adhérent·e.
Là encore, le Conseil constitutionnel n’y a rien trouvé à redire, estimant que les garanties étaient suffisantes dès lors qu’il fallait, pour justifier la dissolution, que le dirigeant ait eu connaissance des agissements du membre en lien avec l’objet de l’association et qu’il n’ait rien fait pour l’en empêcher. Les dirigeants d’association vont donc devoir effectuer une police de leurs adhérents.
Comment ? Le texte est particulièrement flou – il leur faudra réussir à prouver qu’ils n’ont pas eu connaissance d’un agissement d’un de leur membre ou qu’ils auront bien agi pour l’en empêcher. Le législateur n’a prévu aucune garantie procédurale en matière de charge de la preuve.
Combinées, les conséquences de ces deux élargissements des cas de dissolutions des associations sont vertigineuses.
S’emparer de l’idée de « libertés publiques »
Le Conseil constitutionnel n’a censuré qu’une seule disposition sur ce sujet : la suspension pendant six mois des associations sur simples demandes du ministre de l’intérieur, le temps de la procédure « contradictoire ». Une disposition dont on se demande comment elle a pu être votée par un Parlement bien incapable de voir les dangers gigantesques que représente un tel pouvoir entre les mains d’un ministre…
Le quitus global donné par le Conseil constitutionnel a de quoi inquiéter et nous oblige. Il est impératif que les citoyen·ne·s s’emparent à nouveau de l’idée de « libertés publiques », ces libertés qui ne sont pas que de simples libertés individuelles, ou, comme on l’entend parfois « LA liberté », concept vague dans lequel chacun met ce qu’il veut pour lui-même. La liberté associative est une liberté politique, et donc un pilier de la démocratie. Condition des autres libertés, les libertés publiques méritent à ce titre qu’on les défende.
Pierre-Antoine Cazau
Président de la section de Bordeaux de la Ligue des Droits de l’Homme
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