Quelles ont été les difficultés pour relancer une nouvelle saison après la crise sanitaire ?
Pour nous, la grosse difficulté est d’être un opérateur privé à l’économie fragile. On est toujours sur un fil même dix ans après notre lancement. Notre mode de fonctionnement consiste à investir toujours dans le projet. On avance donc sans réserves et sans filet. Nos investissements vont soit dans des projets de diffusion soit, comme depuis quelques années, dans de nouveaux outils. Nous avons lancé un nouveau lieu au mois d’octobre, Blonde Venus, et nous allons lancer une serre/jardin au printemps 2022.
Donc, à chaque fois qu’il y a un coup d’arrêt violent, comme la mise du bateau en cale sèche en 2019 ou la pandémie en 2020, c’est difficile pour nous de supporter la fermeture. On peut reconnaitre que, pour la crise sanitaire, on a été aidé et on a pu trouver des solutions économiques. Mais ce qui nous inquiétait le plus durant cette crise, c’était de fermer et d’être en incapacité de rouvrir rapidement.
La machine de la scène émergente se grippe vite. C’est une filière assez fragile avec des projets totalement indépendants. On est le premier maillon de la chaine avec notre jauge moyenne pour ces artistes peu identifiés et qui passent souvent sous les radars des smacs (scènes musiques actuelles, comme le Krakatoa ou la Rock School Barbey, NDLR) et des salles institutionnelles.
Aujourd’hui, il y a une partie de la production artistique qui a disparu ou qui est invisible. Je prends l’exemple d’un circuit classique : un jeune musicien qui veut se faire connaître investit de sa poche pour la sortie d’un petit disque et faire la promo de son travail. Ceux qui sont tombés pendant la crise, ils n’ont eu aucun retour sur investissement, et sont aujourd’hui démunis. Avec de nombreux cas similaires, l’écosystème a été largement perturbé.
Pour les projets à l’international, c’est tout aussi difficile. Les artistes ont besoin de tournées sur une quinzaine de dates à travers plusieurs pays. La législation de chaque pays, les consignes sanitaires et la traversée des frontières, les obligent à anticiper et la tournée devient plus risquée et plus chère.
J’appréhende par ailleurs la reprise de l’activité nuit. Le nouveau public qui va se remettre à sortir aura perdu ses repères et ses habitudes. Nous allons retomber dans les excès et les incivilités, alors qu’on avait mis en place un système assez rodé de médiation. Cette machine aussi, il faut la relancer, avec tous les acteurs de la nuit et les institutions. On a finalement le sentiment de repartir à zéro, malgré nos dix ans !
Quelles sont les précautions prises en cas de nouvelle crise ?
On peut difficilement anticiper ce genre de choses. Tous les professionnels de la filière savent mieux qu’avant comment arrêter une tournée en plein vol. Mais techniquement et technologiquement, nous n’avons aucune consigne.
C’est aussi pour faire face à une nouvelle crise qui pourrait appeler à éviter des espaces confinés que nous avons créé Blonde Venus. Nous avons même accéléré sa réalisation en plein crise. C’est un chapiteau de bal, une tente qu’on peut ouvrir entièrement et qui permet de ventiler l’espace. On a aménagé nos terrasses en fonction aussi. On a compris comment développer nos activités à mi chemin entre le chapiteau et le plein air.
Le problème est bien sûr la densification du voisinage. Nous étions seul il y a 10 ans, sans voisin en dehors de quelques péniches, et aujourd’hui nous avons 10000 voisins ! Heureusement, on a complètement intégré la situation et eux aussi. On a pas mal échangé pour qu’ils nous connaissent. On a réussi à désamorcer des problèmes et mettre en place un calendrier où, sur certains périodes, on peut faire du bruit, et sur d’autres moins.
La pandémie nous a aussi amené à revoir certains projets. Nous avions celui de créer une balade étonnante sur les Bassins à flot, avec une piscine et une offre de loisir artistique. On a finalement décidé de se doter en priorité d’outils de production pour les artistes. On veut aussi mettre en place un espace de coworking dédié à la filière musicale, pour faire émerger des projets avec des outils adaptés. On va aussi développer un jardin-serre pédagogique et productif qui alimentera le restaurant du bateau.
Y a-t-il du « monde d’après » dans cette saison 2021-2022 ?
Honnêtement, je ne peux pas répondre à cette question. Je ne peux pas affirmer radicalement qu’on est plus engagé qu’avant sur certains points que soulève cette question. Je pense que cette histoire du monde d’après est un mélange de sentiments et de sensations. Il y a bien sûr une prise de conscience que certaines choses doivent changer, mais peut-être que la transformation se fera mois vite et moins rapidement qu’on a pu l’imaginer.
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