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Myriam Eckert, militante chevronnée et nouvelle élue municipale d’une autre gauche radicale à Bordeaux

Myriam Eckert siègera ce mardi pour la première fois au conseil municipal de Bordeaux, dont elle devient élue suite à la démission d’Antoine Boudinet, et une scission qui a ébranlé la gauche radicale bordelaise. Dépourvue de groupe, la Gilet jaune native du Médoc se revendique seule représentante du collectif Bordeaux en Luttes après le départ des deux élus Philippe Poutou et Evelyne Cervantes-Descubes. Portrait d’une femme engagée depuis trente ans, notamment pour le droit au logement et contre les violences policières, et artiste animée du « goût de servir les gens ».

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Myriam Eckert, militante chevronnée et nouvelle élue municipale d’une autre gauche radicale à Bordeaux
Myriam Eckert, toujours avec keffieh palestinien et le gilet jaune (WS/Rue89 Bordeaux)

« J’étais sur cette liste pour être élue ! » Voici donc Myriam Eckert conseillère municipale à Bordeaux. Arrivée après la démission d’Antoine Boudinet et une scission au sein de la gauche radicale, l’ancienne collaboratrice du groupe Bordeaux en Luttes se retrouve esseulée sur le banc de la gauche radicale, voisine de ses ex-camarades Philippe Poutou et Evelyne Cervantes-Descubes.

La situation ne semble pas la perturber pour autant. Myriam Eckert affiche des ambitions pour défendre « ce qui est légitime, même si illégal » et ne cache pas son assurance, ni sa fierté.

« Le 7 janvier, jour de mes 50 ans, j’ouvre ma boîte mail et je vois un message de Pierre Hurmic qui commence par “Madame la conseillère municipale”… J’aurais tellement aimé que mon père voit ça », chuchote-t-elle »

« Le goût du service des gens »

Fille d’un instituteur français originaire d’Alsace et d’une mère originaire du Cameroun, elle a grandi à Saint-Laurent-du-Médoc. Un petit village, « construit autour de l’école qui était un lieu centrale d’enseignement et de développement… » Elle raconte un père impliqué, « qui quittait l’école pour continuer à s’occuper des gamins avec des activités sportives ».

« Dans un village, quelque chose se pose en terme de liens pour faire ensemble », résume Myriam Eckert qui dit avoir reçu parallèlement de son père « le goût du service, mais aussi de faire ».

« Il a toujours mis au cœur de son projet de vie, le fait d’être au service des gens. Pour lui, il ne fallait pas se contenter simplement d’être heureux, il fallait aussi voir si les autres le sont » raconte-t-elle.

Etrangeté

L’engagement social et politique marque ainsi son enfance et son adolescence : la mémoire de son grand-père paternel qui a fui son Alsace natale et l’enrôlement dans l’armée allemande pour s’engager dans la Résistance en Dordogne, l’influence de son père « militant de terrain et communiste à fond », et la transmission par sa mère camerounaise de la mémoire des indépendantistes Bamilékés, massacrés par l’occupant français.

« J’ai beau être métisse, je me sens 100% française, insiste-t-elle. Je suis née ici et ma culture est française. C’est souvent le regard des autres qui me rappelle que je suis étrangère. La première chose qu’on voit chez moi c’est ma couleur. Et les gens qu’ils soient racistes ou pas, ou bien qu’ils ne savent pas qu’ils le sont, me demandent toujours d’où je viens. Ils me renvoient à mon étrangeté… »

« Je n’ai jamais vécu de racisme dans le Médoc »

Ce n’est toutefois pas dans le Médoc des années 70 que Myriam Eckert a découvert le racisme. Elle a « mis un pied » dedans à la mort de Malik Oussekine : « J’ai découvert un problème avec la police, mais aussi le racisme que je n’avais jamais vécu ».

Fin 1986, années des contestations étudiante et lycéenne contre le projet de loi Devaquet qui prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités, fut l’année où l’adolescente de 14 ans prend « conscience de l’envie de faire de la politique ».

« J’étais sensible à cette mobilisation, dans le Médoc, dans un cadre très isolé mais très politisé. Je me suis dit, c’est l’âge de te réveiller. J’allais à Bordeaux tous les jours en stop pour participer à des réunions. J’ai découvert le travail collectif, l’émulation intellectuelle, réfléchir sur les textes, proposer des slogans, organiser des manifs. J’étais enfin dans du concret… Et le projet a été retiré. C’est une des rares victoires en trente ans de militantisme ! »

« Campagnarde diplômée »

« Campagnarde diplômée » d’un bac, Myriam Eckert s’installe à Bordeaux, « une grande ville qui [l’a] perturbée ».

« J’ai eu 16 en philo au bac, la meilleure note de l’académie. C’était une matière que j’adorais et j’ai voulu la poursuivre à la fac. Mais je ne l’ai pas vraiment retrouvée. Ça a été un échec. La fac ne correspondait pas trop à mon tempérament. J’ai abandonné pour des études en art du spectacle. Je suis allée jusqu’en maitrise Théâtre. »

Et pour finir, le RSA. Avec « beaucoup d’activités artistiques et politiques à la marge » : « Je ne voulais pas conditionner mon travail artistique au statut d’intermittent. »

Myriam Eckert s’implique dans de nombreux collectifs qu’elle a fondé ou rejoint. Pour n’en citer que quelques-uns parmi une vingtaine : Le Droit Au Logement, Le collectif Contre Les Abus Policiers, Collectif de soutien à Georges Ibrahim Abdallah, Collectif B.D.S Bordeaux, Collectif des mutilés pour l’exemple… auxquels s’ajoute son travail artistique avec L’Orchestre Poétique d’Avant-guerre – O.P.A., groupe dont la proposition a été écartée lors de l’inauguration de la salle des Fêtes du Grand-Parc en juin 2018, « parce non consensuel, parce que keffieh palestinien… ».

Victoire contre l’État

Le 19 mars 2009, alors militante du Droit au logement, Myriam Eckert manifestait son soutien à des squatteurs installés dans un immeuble appartenant à la mairie de Bordeaux et en cours d’évacuation. Elle a été victime de violences policières qui ont provoqué de multiples hématomes sur le crâne, plaies sur le nez et la lèvre supérieure. Elle a porté plainte.

Suite à une enquête de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), le Procureur de la République a conclu que les violences étaient à imputer à un groupe de quatre membres de la CRS 24 sans pouvoir identifier l’auteur du coup. Deux non-lieu ont été prononcé, mais la militante n’a pas lâché l’affaire et a attaqué l’État. En février 2017 elle déclarait à Rue89 Bordeaux :

« Je suis prête à passer 10 ans encore devant les tribunaux pour que l’État soit condamné. »

« Engagée » depuis ses 14 ans Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Faute lourde

En avril 2017, Myriam Eckert obtenait gain de cause. La cour estimait que « les certificats médicaux corroboraient le caractère excessif et disproportionné de la violence employée ». Pour le tribunal, le matraquage et l’interpellation de la victime, alors évanouie et en sang, rendaient l’Etat responsable d’une faute lourde. Des dommages et intérêts à hauteur de 7000 euros lui avaient été versés.

« C’est une date que je n’oublierai jamais. Le Clap a été créé suite à cet événement et il a été bien utile ensuite pour la suite », ajoute-t-elle.

La suite ? « C’est les Gilets jaunes. » Pourquoi ?

« Quand on descend dans la rue et qu’on voit des milliers de personnes, comment ne pas participer ? Je ne me suis pas posé la question. Dès l’acte II, moi qui n’avait pas un parti politique ni un drapeau, je me suis retrouvé dans les Gilets jaunes. Dès qu’ils sont arrivés, je me suis mise à leur service. C’est vraiment ça, à leur service. D’abord parce qu’il y a eu des violences policières tout de suite. Avec le Clap, on a écumé les manifestations et c’était assez important qu’on soit actif, puisqu’on avait des avocats et on connaissait tout le processus. »

« Connue comme le loup blanc »

Parmi les Gilets jaunes, Myriam Eckert ne passait pas inaperçue. Elle était « connue comme le loup blanc ». Quand on évoque les premières imprécisions du mouvement et ses tendances politiques allant jusqu’à l’extrême-droite, Myriam Eckert balaye la question d’un revers de la main :

« Je suis pour la liberté d’expression. Il m’appartient ensuite de débattre et de convaincre. J’évoque souvent la question avec mes camarades, et j’insiste : quitter le terrain, c’est laisser le terrain. Il y a des gens qui sont égarés dans leur pensée politique. Ils sont martelés par des idées de l’extrême droite voire par la droite extrême, à moi de leur faire changer d’idées. […] Il ne faut pas interdire les meetings de Zemmour, il faut faire en sorte que plus personne n’y aille. »

Elle évoque aujourd’hui les Gilets jaunes comme « des braises d’un mouvement social qui n’a obtenu aucune satisfaction ».

« Je ne la connaissais pas avant le mouvement contre la réforme des retraites en 2019, avance Patrick Youf, Gilet jaune (et par la suite sur la liste de BEL). Au départ, on était un peu surpris. Mais quand on a commencé à la connaître, au fur et à mesure des samedi, on a réalisé que ce qu’elle disait était pertinent. »

C’est par les Gilets jaunes, au sein du collectif Mutilés pour l’exemple, que Myriam Eckert rencontre Antoine Boudinet (sollicité, ce dernier n’a pas souhaité répondre).

« Elle a la lutte en elle »

« C’est une personnalité du milieu associatif militant et culturel » s’accorde à dire sous couvert de l’anonymat un Insoumis de BEL, « sur le départ » du collectif.

« Elle a contribué à une dynamique, même si à la base celle-ci a été nourrie par le NPA et Philippe [Poutou]. Avec Evelyne [Cervantes-Descubes], Antoine [Boudinet], et elle, l’attelage était intéressant pour notre mouvement. »

Le militant « regrette cette scission ». Patrick Youf dit aussi l’avoir « vécu très mal ». Ce dernier espère cependant que « la nouvelle formule du mouvement sera plus claire »., quand pour notre témoin de la France insoumise, « une telle bataille autour d’un appareil annonce généralement la phase terminale ».

C’est pour cette raison qu’une nouvelle assemblée générale s’est tenue lundi dernier. Si le collectif Bordeaux en Luttes, formé initialement des colistiers non-élus de la liste, a été annoncé comme « brisé » par le tandem Poutou-Cervantes-Descubes, un noyau s’organise derrière Myriam Eckert :

« Nous sommes une bonne vingtaine derrière elle, soutient Patrick Youf. On veut continuer ce qu’on a commencé. Bien sûr elle est toute seule au conseil municipal, et ça va la limiter. Mais c’est une battante, elle a la lutte en elle. Mais on va reconstruire, remobiliser et repartir plus fort. Rien n’a changé dans notre combat contre les inégalités, et pour le logement, l’éducation et la santé. »

Elue porte-parole du collectif

L’élue sans groupe aura tout de même du mal à s’exprimer au conseil municipal bien qu’elle veuille être l’ « élue porte-parole du collectif ».

« Je ferai ce que le collectif me dira de faire, explique-t-elle. On a encore la possibilité de poser des questions, si le collectif ou les associations avec qui on est en lien ont des questions, je le ferai. Même si je suis tributaire des interventions des autres pour prendre la parole. »

Mais la militante rappelle :

« La genèse des Gilets jaunes, cela reste les manifs. Ce qu’on pourra plus faire au conseil, on le fera dans la rue. Ce que je peux faire en dehors est tout aussi intéressant. Je vais pouvoir être présente sur des lieux en tant qu’élue et peut-être que je serai mieux entendue. Peut-être aussi que ce sera plus facile de faire venir la presse… »

Elle ajoute par ailleurs :

« Je cherche surtout à convaincre ceux autour de moi qui n’ont aucun pouvoir d’organiser leur vie à la prendre en main. […] Notre collectif est un laboratoire où on peut inventer la politique autrement. Pas seulement pour faire de la politique, mais aussi des maraudes, des actions contre la lumière des vitrines allumées la nuit… Si au bout de 5 ans, on a des Bordelais qui se disent que grâce à nous ils ont envie de s’y mettre, ben c’est qu’on aura réussi. »

Myriam Eckert promet par ailleurs de « faire tourner le poste » d’élu municipal et « laisser la place pour que des camarades apprennent à prendre la parole en public ou à s’impliquer en politique ». « Je n’ai jamais rien fait toute seul, j’ai toujours été en collectif », conclut-elle. Le banc de l’extrême-gauche au conseil municipal risque alors de bien tourner.


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