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Un projet de maison contre les esclavages pour « réconcilier l’Histoire et la mémoire » à Bordeaux

À la veille de la journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage, l’association Mémoires et Partages a organisé la première réunion d’une mission de préfiguration visant à implanter un centre de ressources contre les esclavages et pour l’égalité à Bordeaux. Pendant un an, un comité scientifique et technique travaillera sur le sujet et devra émettre un rapport.

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Un projet de maison contre les esclavages pour « réconcilier l’Histoire et la mémoire » à Bordeaux

« Un centre des mémoires apaisées et réconciliées » : c’est la perspective donnée lors de la première réunion d’une mission de préfiguration pour un centre de ressources contre les esclavages et pour l’égalité qui s’est tenue à la mairie de Bordeaux. Initiée par l’association Mémoires et Partages, en lien avec le travail de mémoire engagé par la Ville de Bordeaux, cette mission de préfiguration est présidée par son fondateur, Karfa Diallo, également conseiller régional et membre de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage.

En juin 2016, la précédente mandature avait réuni une commission sur la mémoire de l’esclavage. Dix propositions avaient émergé, dont la construction d’une statue mémorielle à l’effigie de Modeste Testas. À l’époque, la commission, qui comptait six membres, était composée en majorité de chercheurs et d’universitaires. Karfa Diallo, lui, avait été évincé de cette commission suite à des désaccords internes. Il avait justement présenté le projet d’un Mémorial dédié à la traite négrière et à la mémoire de l’esclavage, tel que celui créé à Nantes.

Au XVIIIe siècle, après Nantes, Bordeaux a été le plus grand port négrier avec plus de 500 expéditions, aux Antilles notamment. Entre 1672 et 1837, ce sont 120 000 à 150 000 Noirs qui ont été déportés vers l’Amérique par près de 180 armateurs bordelais. L’essentiel du commerce bordelais s’est fait avec Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti et la République Dominicaine), dont la plupart des planteurs étaient originaires de la région bordelaise.

Volonté politique

Après des décennies de silence sur le sujet, Bordeaux instaure donc une nouvelle commission de réflexion. Cette année, parmi les 27 membres de la mission de préfiguration, on compte notamment Clément Rossignol Puech, maire de Bègles, Norbert Fradin, fondateur du Musée Mer Marine, Julie Duprat, historienne, Philippe Barre, fondateur de Darwin, Naïma Charaï, ancienne présidente ACSE, Hugues Martin, ancien maire de Bordeaux, les députés de Gironde Alain David et Loïc Prud’homme, Olivier Escots, adjoint au maire de Bordeaux, et conseiller municipal délégué en charge du sujet mémoriel, les poètes et écrivains Gabriel Okoundji et Donatien Garnier.

Olivier Escots, qui a remplacé le maire de Bordeaux Pierre Hurmic, a tenu le préambule de cette première réunion. Ce travail de mémoire s’inscrit dans la « volonté de la mairie de mettre en avant ceux et celles qui ont lutté contre l’esclavage et pour les luttes abolitionnistes », selon l’élu.

Il a évoqué la nécessité de la « poursuite du travail engagé sur les noms de rue« . Ce vendredi 13 mai, une plaque pédagogique sera apposée rue Colbert, pour expliquer le rôle du ministre de Louis XIV dans la rédaction du Code noir, encadrant l’esclavage dans les colonies françaises.

Dans sa feuille de route culture, présentée en février 2022, la Ville prévoit en outre de « valoriser l’identité multiculturelle de Bordeaux et les apports du métissage ». Un engagement pris « au nom d’un devoir de mémoire essentiel », qui s’est notamment traduit par la généralisation de plaques explicatives dans les rues de Bordeaux portant le nom de personnes impliquées dans le commerce triangulaire ou la volonté de renommer des rues avec des personnalités ayant « joué un rôle dans la pensée et l’histoire anticolonialiste et antiraciste ».

« Pas de visibilité dans l’espace public »

Lors de cette première réunion de la mission de préfiguration, une introduction a été livrée par l’un de ses membres, Daniel Flaharty, médecin généraliste à La Brède :

« C’est la possibilité de réconcilier l’histoire et la mémoire. 400 ans de commerce triangulaire, c’est aussi 400 ans de traite des Noirs, 400 ans de crimes contre l’humanité, 400 ans de trahison, de mensonges, de schizophrénie intellectuelle et spirituelles. Une histoire très présente à Bordeaux, où l’espace public ne donne pas de visibilité à ce passé. »

Face à une « amnésie voulue » et un « silence coupable », une telle maison devrait « contribuer à apaiser les mémoires » :

« Un centre de ressources contre les esclavages et pour l’égalité devrait contribuer à apaiser des tensions grandissantes dans nos sociétés, en permettant à chacun de se rendre compte de sa place et de sa contribution dans l’histoire commune. Regarder le passé pour mieux vivre le présent. […] Pour un ultra marin afro-descendant, se reconnaître dans l’espace public girondin est quasi impossible en dehors des musées, avec une place réduite et discutable, ou du travail des associations. Il y a peu d’expression de volonté de cette réconciliation. »

Première réunion de la mission de préfiguration, dans les salons de la mairie Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Au-delà du passé, le travail de la mission de préfiguration porte également sur les esclavages issus de notre contemporanéité, qu’ils soient « intra-africains, arabo-musulmans et occidentaux ».

Éducation populaire

La mission de préfiguration aura pour principaux objectifs de trouver un lieu, d’élaborer un contenu programmatique et de trouver des financements. Dans un premier temps, cette première réunion devait dessiner les contours de la philosophie et des ambitions du futur centre de ressources. Patrick Serres est président de l’association Mémoires et Partages :

« Depuis 24 ans, avec l’association, nous avons un pilier essentiel : l’éducation populaire. Si on ne relie pas l’histoire et la mémoire de manière pragmatique en faisant de l’éducation populaire, on loupe souvent des rendez-vous. […] Nous avons une responsabilité historique, les jeunes générations attendent beaucoup de notre mission. »

Laurent Védrine, directeur du musée d’Aquitaine, a détaillé l’importance de « déconstruire et de donner des clés de lecture » :

« Depuis 2009, le musée d’Aquitaine a ouvert près de 700 m2 dédiés à l’histoire et à la mémoire de l’esclavage. 12 ans après, ce sont 1,5 million de personnes qui ont vu ces salles. En 2022, nous avons tous à travailler ensemble sur ces questions-là, d’un point de vue associatif ou institutionnel. Nous pouvons avoir des points de vue différents, mais il s’agit d’une histoire commune. »

Le directeur du musée d’Aquitaine est membre de cette mission aux côtés de l’écrivaine Anne-Marie Garat. En juin 2019, avec d’autres écrivains à l’instar d’Annie Ernaux, elle avait signé une tribune dans Le Monde, face à la « réécriture douteuse » d’un texte présent dans l’une des salles du musée d’Aquitaine, consacrée à la traite négrière. Laurent Védrine avait alors répondu au collectif par une autre tribune, également publiée dans Le Monde, arguant la suppression et la modification du texte incriminé.

La prochaine réunion de la mission de préfiguration devrait se tenir au courant du mois de juin prochain. Le rapport, lui, doit être déposé le 10 mai 2023.

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