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Incendies actuels, incendies à venir : le baptême du feu

Installés depuis peu à Origne, un des villages touchés en juillet par l’incendie de Landiras, Grégory Poinsenet et sa famille ont dû, comme des milliers d’autres Girondins, quitter leur maison, sauvée du feu par les pompiers. Ce n’est peut-être qu’un sursis, prévient le cofondateur de Sorry Children, et coauteur du livre éponyme. Mais dans cette tribune témoignage, il estime que la nécessité d’anticiper la multitude des crises à venir et l’effondrement peuvent se « transformer en opportunité » : celle d’évoluer, « de changer de regard sur l’Autre, l’autre humain, l’autre animal, celui qui subit déjà en premier lieu les effets du monde prédateur hérité de nos ancêtres ».

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Incendies actuels, incendies à venir : le baptême du feu

Nous sommes des « néo-ruraux » avec ma compagne et mon fils. Après plus de 10 ans de vie citadine, nous avons emménagé en début d’année à Origne, un des villages touchés par l’incendie que l’on nomme désormais Landiras 1. Bilan : 70% de la forêt du village a brûlé, en grande majorité des pins de parcelles privées avec les végétaux et animaux qui les peuplaient, aucun humain mort ou blessé, toutes les habitations, hormis deux garages, sauvées des flammes par les pompiers.

Je n’étais pas à Origne au moment du feu mais ma compagne a été évacuée, je l’ai retrouvée et nous avons été, pendant quelques jours, des « migrants climatiques ». Je mets des guillemets parce que ce sort n’est rien comparé à ce que vivent déjà et vont vivre des millions de personnes, obligées à réellement et définitivement quitter leurs lieux de vie pour se donner une chance de survivre dans un monde que notre appétit insatiable est en train de dérégler à en crever.

Je ne développerai pas ici les causes de ces incendies et ne m’épancherai pas sur mon sentiment quant aux responsabilités de chacun dans la propagation du feu et la destruction qui en résulte.

Néanmoins, il nous est impossible d’ignorer le fait que le dérèglement climatique dû à nos modes de vie est un facteur aggravant. Et ça n’est que le début, quels que soient nos efforts, ce type d’événement climatique extrême étant, au même titre que les pluies torrentielles, sécheresses, j’en passe et pas des meilleures, appelé à devenir la norme.

Le soin et l’entraide qui émergent

Je me pencherai plus volontiers sur la manière dont nous, habitants d’Origne, avons réagi à cet événement. Encore une fois, nous sommes nouveaux ici mais avons rencontrés nombres de nos voisins, certains vivant ici depuis longtemps, d’autres moins.

La qualité des relations tissées pendant ces huit mois s’est révélée être l’indicateur principal de nos réactions. Et globalement, c’est bien-sûr l’entraide qui a émergé. Accueil, prises de nouvelles, proposition d’aide… avec des surprises, toujours : peu ou pas de nouvelles de certains voisins que l’on pensait proches, d’autres qui se manifestent au moment de regagner nos maisons afin de nous apprendre comment éteindre les fumerons… près de chez eux, et finalement ceux, présents, solides, proposant une vraie générosité.

Bref, une palette de comportements humains, tout autant prévisibles que surprenants. Et au final, des liens renforcés.

Je tiens à souligner l’engagement de l’équipe municipale et de son maire, Vincent Dedieu et à remercier le travail des pompiers qui ont lutté contre le feu et sauvé nos maisons. Pompiers volontaires et bénévoles, ils ont fait leur travail, celui qu’ils aiment et pour lequel ils ont été formés et sont payés, parfois à leur risques et périls.

Un peu d’introspection

Pourquoi tant d’émoi et de gratitude de notre part ? Car ils ont sauvé NOS maisons, NOTRE maison, au sens littéral, pas au sens de la tristement célèbre formule de Jacques Chirac. Tristement car, tout comme l’enchainement des COP (conférence des nations sur le dérèglement climatique), cela n’aura donné aucun résultat, les émissions de CO2, hormis pendant la crise financière de 2008 et la COVID-19, ayant augmenté tous les ans depuis la première COP en 1995.

De gré ou de force, nous allons vers « la fin de l’abondance »

Bref, on s’émeut moins et on trouve moins remarquable le travail des pompiers ayant éteint les feux en Californie, en Australie, en Afrique centrale ou plus récemment (et plus inquiétant) en Sibérie où 15 millions d’hectares ont brûlé l’année dernière (soit 750 fois la surface de l’incendie de Landiras). Ceci s’explique par le biais cognitif que l’on qualifie de « distanciation » : ce qui se passe loin, dans le temps ou l’espace, nous touche beaucoup moins que ce qui NOUS arrive, ici et maintenant. Une caractéristique héritée de l’évolution et apportant probablement un avantage de survie immédiate. Mais en aucun cas dans le temps.

Le moment dont nous sortons est, de mon point de vue, révélateur de beaucoup de symptômes du déclin de notre civilisation, voire annonciateur de son effondrement. Un très probable événement humain (un pyromane mettant le feu) se répandant vite et fort dans un environnement façonné par l’humain (les exploitations de pins subissant sécheresse et forte chaleur) débouche sur une catastrophe. Comment s’en étonner ?

Comme le développe Vincent Mignerot dans son dernier essai (L’Énergie du déni. Comment la transition énergétique va augmenter les émissions de CO2, Rue de l’échiquier, 2021) et comme l’analyse Pierre Charrier dans notre livre Sorry Children (Alternatives, Gallimard, 2021), les mécanismes à l’œuvre dans le fait d’occulter la réalité sont d’une redoutable efficacité.
Car ils nous permettent en partie de garder une stabilité psychologique dont nous avons besoin. A court terme.
A moyen et long terme, la note va être salée si nous ne commençons pas à payer de suite. Nous est un bien grand mot et il serait judicieux, voire indispensable, de payer en fonction de ce qu’on a mangé.

La fumée de l’incendie occultant le soleil entre Landiras et Hostens Photo : SB/Rue89 Bordeaux

Que faire alors ?

Peut-on envisager que rien ne vienne « d’en haut » ? De l’Etat, de l’Europe, des COP ? Nous devons l’envisager ! Attendre que les « élites » prennent les décisions qui s’imposent relèverait d’une crédulité qui nous mènerait dans le mur sans possibilité de se relever.

Il nous reste ainsi à faire de notre mieux à notre niveau, continuer à mettre la pression sur ces fameuses élites (ça ne mange pas de pain et qui sait…), enrayer la destruction du monde à grande échelle (avec notamment les actions de désobéissance civiles) et nous préparer au niveau local, avec les réseaux citoyens existants, de nouveaux, nos villes, départements et régions !

Dans cette approche qui va chercher ses racines dans les théories de l’évolution de Darwin, les concepts de résilience (capacité à se remettre des chocs et à retrouver une certaine stabilité) et d’adaptabilité (capacité à s’adapter à un changement soudain ou graduel de notre environnement), je vois deux faces d’une même pièce : d’un côté, continuer à faire tout ce qu’on peut pour limiter notre impact négatif sur le système Terre ; de l’autre, commencer à évoluer pour faire face aux chocs inéluctables et pouvoir se relever, à chaque fois.

Par évolution, j’entends ici une évolution « culturelle », profonde, de notre vision du monde, interconnecté, et de la manière de vivre ensemble, de plus en plus libres de dominations humaines mais dans certaines limites écologiques que l’on se fixerait nous-mêmes. Cela passera-t-il par une privation de libertés ? Probablement certaines oui car la liberté qui nous permet de manger de la viande et et de prendre l’avion tous les jours est-elle une liberté compatible avec une planète habitable ? De gré ou de force, nous allons vers « la fin de l’abondance », autant y aller de plein gré.

A nous de nous transformer individuellement et collectivement

A nous donc, habitants de la campagne, des banlieues, des villes, à Origne, en Gironde, en France et partout ailleurs, avec et sans les pouvoirs économiques et publics, de nous transformer individuellement et collectivement afin d’anticiper la multitude des crises à venir car cet incendie n’est qu’un amuse bouche et le plat qui arrive risque d’être méchamment épicé.

Assurément, la colère, le sentiment d’injustice, la peur même, peuvent être de très bon carburants, sublimons-les pour construire !

Cela va nous demander un gros effort, avant tout de changement de vision du monde, de sobriété puis d’organisation.

C’est une contrainte que l’on peut transformer en opportunité, la possibilité d’évoluer (comme toutes les espèces le font génétiquement, nous allons le faire culturellement – cf les mèmes de Richard Dawking), de changer de regard sur l’Autre, l’autre humain, l’autre animal, celui qui subit déjà en premier lieu les effets du monde prédateur hérité de nos ancêtres.

C’est in fine, un effort de non domination sur l’Autre qu’il nous faut fournir, presque contre nature tant notre cerveau nous pousse à nous positionner statutairement (cf Le Bug Humain de Sebastien Bohler). Mais des mouvements sont d’ores et déjà lancés (les ZAD, les eco-lieux, les territoires en transition), d’autres sont à inventer, notamment dans les villes afin de ne laisser personne derrière.

Cet effort collectif va demander de l’énergie, de l’envie, du désir même. D’où tirer cette énergie ? Assurément, la colère, le sentiment d’injustice, la peur même, peuvent être de très bon carburants, sublimons-les pour construire !
Et puis qu’on y arrive ou pas, essayer de toutes nos forces est bien le minimum qu’on doive à nos enfants non ?

Gregory Poinsenet
Cofondateur de Sorry Children – Président de MoOt Points


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