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La Gironde rejette l’expérimentation du RSA conditionné à 15h ou 20h d’activité

Annoncée lors de la campagne de l’élection présidentielle par le candidat Emmanuel Macron, le chantier de la réforme du revenu de solidarité active (RSA) sera initié cet automne selon un article du journal Les Echos. Vice-présidente du Département de la Gironde en charge de l’Urgence sociale et aux politiques de l’insertion, Sophie Piquemal analyse dans cette tribune un projet de réforme auquel elle s’oppose, sur le fond comme sur la forme. 

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La Gironde rejette l’expérimentation du RSA conditionné à 15h ou 20h d’activité

Entré en vigueur le 1er juin 2009, le RSA a remplacé le revenu minimum d’insertion (RMI) avec pour objectif de garantir à toute personne, qu’elle soit ou non en capacité de travailler, de disposer d’un revenu minimum et de voir ses ressources augmenter quand les revenus qu’elle tire de son travail s’accroissent. Il a été pensé pour les personnes actives, mais à qui la société n’arrive pas à garantir un emploi. 

Sur le fondement des difficultés croissantes de recrutement dans certains secteurs d’activités, le gouvernement entend conditionner le versement de la prestation à 15 à 20 heures de formation ou d’activité par semaine, avec pour objectif atteindre le plein-emploi d’ici à 2027. Pour y parvenir, l’exécutif souhaite lancer à l’automne une expérimentation dans une dizaine de départements, pour, selon ses termes, mettre fin aux carences en matière d’insertion professionnelle des allocataires du RSA.

Je ne suis pas favorable à une candidature du Département de la Gironde à une telle expérimentation et en voici les raisons. 

« Travailleurs pauvres »

Cette réforme n’est en réalité qu’un moyen pour contraindre coûte que coûte les allocataires du RSA à accepter les emplois disponibles. Or, en conditionnant leur droit de cette manière, ce n’est pas une incitation que l’on crée mais un véritable chantage à l’allocation qui risque d’accentuer les situations de pauvreté et le non-recours aux droits. 30% des personnes qui pourraient y avoir droit ne demandent déjà pas le RSA.

C’est aussi mal connaître leur situation : en Gironde, un quart des allocataires du RSA occupent déjà une activité professionnelle à faible rémunération. Nous rencontrons depuis quelques années une augmentation significative de ceux qui sont tristement appelés « travailleurs pauvres » ! 

Cette réforme risque d’accentuer le passage d’une société du salariat à une société des travailleurs précaires.

La voie choisie par le gouvernement pour développer l’emploi est un pas supplémentaire vers une société où une partie de la population est condamnée à enchaîner les petits boulots, périphériques et peu qualifiés au gré de la conjoncture économique. Pour rendre cette politique acceptable, la stigmatisation des allocataires va bon train dans le cadre des débats sur le RSA, où l’on entend qu’elles et ils sont des « profiteurs de la solidarité nationale », « des assistés » et « des fainéants ».

Je ne commenterai pas ces considérations infamantes qui dégradent le débat public tout en pointant injustement du doigt celles et ceux déjà exclus du marché du travail. Je retiens néanmoins que cette réforme risque d’accentuer le passage d’une société du salariat à une société des travailleurs précaires. 

Depuis des années et surtout depuis les mesures de flexibilisation du travail prises depuis les gouvernements Sarkozy, le travail précaire, discontinu, à temps partiel, tend à devenir la règle. L’intérim, l’auto-entrepreneuriat et l’alternance sont en effet les domaines qui recrutent le plus, comme en attestent les chiffres de l’INSEE. 

Traverser la rue pour retrouver un emploi !?

Pourtant, une autre voie est possible. Au lendemain de la crise sanitaire, certains Etats ont emprunté d’autres chemins pour relancer le marché de l’emploi. C’est le cas de l’Espagne, où les chiffres du chômage n’ont jamais été aussi bas, et le nombre de contrats à durée indéterminée (CDI) n’a jamais été aussi élevé. Outre la réforme du travail portée par la Ministre du travail Yolanda Diaz, visant à favoriser les CDI, la crise sanitaire a incité les secteurs ayant pâti des mesures restrictives à embaucher plus d’employés en contrat longue durée. 

Le RSA est certes imparfait, comme le démontrent les différents rapports nationaux régulièrement publiés dont celui de la Cour des comptes, paru le 13 janvier 2022. Ce dernier dénonce notamment des résultats faibles sur le retour à l’emploi ainsi qu’un accompagnement insuffisant des allocataires : une majorité d’entre eux ne disposeraient pas de contrat d’accompagnement (le fameux CER). Mais à qui la faute ? Une réforme du RSA devrait justement servir à corriger ces imperfections, d’autant plus en période de reprise économique, pas à les accroître. Il ne suffit pas de demander à un allocataire du RSA de traverser la rue pour retrouver le chemin de l’emploi. 

Renforcer l’attractivité de l’emploi

La réalité, c’est que les difficultés d’accès à l’emploi des allocataires du RSA sont moins liées à leur propre volonté qu’à d’autres causes, liées aux conditions du marché du travail ou à la société elle-même. Au niveau individuel, l’éloignement domicile-travail, souvent causé par un urbanisme dépassé, est accentué par l’augmentation du prix du carburant. Les problématiques de garde d’enfant ou de santé entrent aussi en ligne de compte. Or on ne peut non plus décorréler les questions d’accidents du travail ou le développement de pathologies psychologiques, de la précarité des travailleurs.

Nous devrions faire de notre priorité la juste répartition du travail et la protection de chacune et chacun face aux aléas de la vie.

On observe une aussi l’inadéquation entre les capacités et la formation des allocataires et les emplois proposés. Les conditions de travail – rémunération, horaires – ainsi que la nature de ces emplois ont un rôle à ne pas négliger dans les difficultés d’insertion rencontrées. L’une des illustrations les plus fortes de cette tension est celle rencontrée au sein des métiers du travail social, qui connaît une forte crise de son attractivité en lien avec la dévalorisation des pratiques et des conditions de travail qui se dégradent. 

Les moyens dédiés à l’accompagnement des allocataires sont à cet effet insuffisants. Les départements dénoncent d’ailleurs régulièrement l’absence de compensation de la part de l’État des dépenses liées aux politiques de l’insertion. Il est donc facile de pointer du doigt la responsabilité des Départements, qui interviennent en bout de chaîne, bien après l’action de l’Etat. C’est l’ensemble de ce système défaillant qu’il faut repenser. 

Recul historique des droits humains

Quoiqu’il en soit, atteindre le plein-emploi en fragilisant les droits des allocataires du RSA n’est ni souhaité ni souhaitable et ne peut pas constituer une politique sérieuse d’insertion. Michel Rocard rappelait justement que l’instauration du RMI avait été permise par un consensus partagé au sein de la classe politique d’un chômage massif permanent pour 10 % de notre population.

La cause ? L’efficacité croissante des moyens de production depuis la révolution industrielle et les innombrables innovations techniques, technologiques et informatiques acquises depuis lors. Face à l’émergence de ce chômage structurel et de cette nouvelle pauvreté de masse en pays riches, le RMI fut instauré. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut replacer la revendication d’un revenu de base, telle qu’elle est portée par le Président du Département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze. 

Bientôt trente-cinq ans après l’instauration du RMI, le gouvernement a rouvert là un débat qu’un large consensus républicain avait pourtant écarté. Alors que nous risquons d’assister à un historique recul des droits humains, nous devrions faire de notre priorité la juste répartition du travail et la protection de chacune et chacun face aux aléas de la vie. 

Sophie Piquemal, Vice-présidente du Département de la Gironde en charge de l’Urgence sociale (Habitat, Insertion, ESS)


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