Tout est prêt pour ce mercredi 19 juillet. Les panneaux interdiction de stationner jalonnent la petite voie qui relie le quai de Brazza à la promenade Michel-Corajoud, en face de la Fabrique Pola. Celle-ci sépare les deux terrains sur lesquels se sont installés deux grands bidonvilles. Des camions de CRS, des bus, et des camions de déménagements, viendront y stationner à l’aube comme à chaque évacuation massive.
Combien de personnes vivent dans ces cabanes précaires faites de bric et de broc ? Difficile d’avoir un chiffre précis. Nayden, un occupant du bidonville, parle de 150 à 200 personnes. Thierry Marrot, membre du collectif Brazza, en compte 250 à 300, « avec en plus des grands-parents qui venaient parfois de Bulgarie rendre visite à la famille et passer quelques semaines ».
Thierry Marrot, enseignant à la retraite, est intervenu à plusieurs reprises auprès des occupants pour l’apprentissage de la langue française.
« Il y avait ici une soixantaine d’enfants tous scolarisés, certains à Barbey, d’autres au collège Jacques-Ellul, et une adolescente était au lycée d’enseignement professionnel Trégey. »
Neuf familles relogées
Ce mardi fin d’après-midi, seule une trentaine de personnes restent sur place, des femmes, des hommes et des enfants.
« Elles ont eu la promesse d’avoir des places d’hébergement d’urgence en hôtel ou dans des foyers, mais ce ne sont pas des solutions durables, précise Thierry Marrot. Neuf familles, c’est-à-dire une cinquantaine de personnes, ont été logées dans des Espaces temporaires d’insertion (ETI) à la Jallère mis à disposition par Bordeaux Métropole. »
Harmonie Lecerf-Meunier, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits, des solidarités et des seniors ajoute :
« Nous avons mobilisé l’ensemble des moyens déployés par la ville et la métropole pour la résorption des bidonvilles. Ce sont des moyens par lesquels les collectivités participent à l’effort de l’État, qui a la compétence. Il y a encore deux places mobilisables. Mais s’il reste demain des personnes sans solution, l’État sera présent et sollicité pour les mettre à l’abri dans le cadre de l’hébergement d’urgence. »
D’autres familles ont été relogées dans des Logements temporaires d’insertion (LTI) gérés par le Diaconat et par le Comité des œuvres sociales (COS).
Un soulagement
L’annonce de l’évacuation des terrains sur lesquels est prévu l’aménagement de la continuité du parc des Angéliques, a été faite « mercredi dernier, par des médiateurs qui sont venus annoncer la nouvelle en allant voir chaque caravane », poursuit l’ancien enseignant.
« Paradoxalement, j’ai senti qu’il y avait un soulagement. Ils savent enfin la date ! Ils vivaient tous dans l’incertitude d’une expulsion surprise. On peut dire que cette fois, ça a été moins brutal. »
De nombreux logements précaires ont été vidés et certains démontés ou mis à terre. Du salon de coiffure, il reste un grand miroir, du « bistrot » quelques tables branlantes. Les portes sont défoncées, les fenêtres laissées au vent. Des frigos, fours et matelas sont abandonnés entre boue et poussières de terre. Des carcasses de voitures surchauffent sous le soleil et des flaques d’eau stagnante diffusent une odeur âcre.
On pourrait imaginer que tout attend qu’un bulldozer vienne tout emporter, quand une femme surgit de derrière un rideau avec un enfant dans une poussette. Dans un coin, allongé sur un lit, Ivanov, un Géorgien d’une trentaine d’années sonné par la chaleur :
« Je ne sais pas où aller, dit-il dans un français poussif. Depuis 7 ans en France, je n’ai vécu que dans des squats. J’étais à la Zone libre de Cenon avant d’arriver ici. »
« On m’a dit d’attendre, alors j’attends »
Sur le terrain d’en face, ils sont une vingtaine comme Ivanov. Nayden, 22 ans parlant un français presque parfait, espère lui aussi une proposition de logement pour lui et sa compagne :
« J’ai un CDI dans le bâtiment et mon patron est prêt à me soutenir, et je n’arrive pas à avoir un logement. J’ai perdu mes enfants à cause de ça, ils ont été placés en famille d’accueil. »
Arrivé de Bulgarie en France en 2012, il s’est installé à Brazza en 2018 après un passage à Bègles. C’est ici que sont nés son fils, 4 ans, et sa fille, 1 an « et un mois aujourd’hui ». « Il me faut un logement pour les retrouver », insiste-t-il.
« Je ne suis pas allé au travail aujourd’hui et je n’irai pas demain. On va se réveiller de bonne heure et attendre qu’ils arrivent. Je n’ai jamais raté un rendez-vous, ni avec les médiateurs ni avec les juges. J’espère que j’aurai une solution demain. »
Et les autres ? « Ils sont partis parce qu’ils ne comprennent pas le français ou n’avaient pas confiance », répond Nayden :
« Mais attention, il faut dire les choses, il y en a qui ont fait des bêtises et qui ont peur de la police. Il y a un type qui est arrivé ici et il ramenait des voitures pour les démonter. On savait ce qu’il faisait, mais il n’écoutait personne. Ils sont partis les premiers. »
Où ? Il ne sait pas. Il sait une chose : « Moi, on m’a dit d’attendre, alors j’attends. J’espère que j’aurai une solution demain. »
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