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Conductrice de bus, elle écrit ce que le transport en commun a d’exceptionnel

Après une reconversion professionnelle en 2018, Muriel Sola-Ribeiro est fière d’exercer son actuel métier de conductrice de bus TBM, au point de raconter son quotidien dans un blog en ligne. Nouveau portrait de notre série « Idée en tête ».

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Conductrice de bus, elle écrit ce que le transport en commun a d’exceptionnel

Le rendez-vous est donné au café Le Terminus. Attablée, Muriel Sola-Ribeiro écrit soigneusement dans un petit carnet floqué TBM, dont les pages sont noircies de notes sur son métier de conductrice de bus chez Transport Bordeaux Métropole (TBM).

Depuis sa reconversion professionnelle en 2018, la Floiracaise de 46 ans est l’auteure du blog « Brèves de talanquère« , où elle publie chaque mois une anecdote de son quotidien. Fière de maîtriser ces « bolides de 12 mètres de long », elle veut partager son expérience et la réalité d’un métier « difficile » et peu connu. 

« Une arme entre les mains »

Devenir chauffeur de bus, « rien ne m’y prédestinait » confie-t-elle. Pourtant, à peine au volant, elle tombe amoureuse de cette profession, qu’elle parvient à conjuguer avec sa vie de mère de famille. 

« Les transports, c’est comme une chorégraphie. Des bus passent, reviennent. Ils tortillent comme des serpents », lâche Muriel Sola-Ribeiro en observant les véhicules par la fenêtre du café. 

Avant TBM, elle a fait « mille métiers ». Prof, agent d’accueil à l’opéra, animatrice : une véritable « reine de la débrouille ». En 2016, après avoir quitté l’association de vélo où elle travaillait, elle se retrouve « sans rien ». À 40 ans, enceinte, avec un enfant à charge et un emprunt sur les bras, elle décide de se lancer dans l’aventure TBM. Pendant trois mois, elle se forme à la conduite de bus et passe son permis. 

« On m’appelait mamie Simone parce que j’allais super lentement. J’avais peur en fait. Je me disais “j’ai une arme entre les mains, une responsabilité extraordinaire“. »

Depuis, Muriel Sola-Ribeiro se délecte encore de la technicité de son métier. Conduire ces bus « n’est pas donné à tout le monde », affirme-t-elle. 

« J’ai eu un mal de chien à y arriver. Maintenant, quand je passe dans les zones de travaux, que je suis à vingt centimètres du mur et que j’y arrive, je suis super contente. Il faut être habile et avoir des connaissances spécifiques. En fait, apprendre à conduire un bus c’est comme apprendre une nouvelle langue. »

Rencontres en transport 

Mais ce qu’elle apprécie, c’est « ne pas être enfermée dans un bureau » et faire des rencontres. Les passagers, leur histoire, la façon dont on peut s’attacher. Sourire aux lèvres, elle se souvient d’un groupe de jeunes passagers passionnés de transport. 

« Pour mon dernier jour sur la ligne 1 (elle travaille aujourd’hui sur la 10), ils m’ont accueilli au terminus en randognon, avec les appareils photos et tout. J’avais envie de pleurer », raconte-t-elle. 

Pleine d’humour, enjouée, Muriel Sola-Ribeiro a le sens du contact. Une personnalité que reflète son style : vernis à ongles rouge, fard à paupière pailleté, et chaussures bleues. La quarantenaire est haute en couleurs. Ses récits sont sincères, décomplexés et ponctués d’éclats de rire. 

Un tempérament chaleureux qui facilite la relation avec les clients, d’après Arcade Mehoulo, son collègue et ami. 

« Muriel aime son travail. Elle a toujours le sourire et une joie de vivre communicative. Elle parle avec tout le monde, elle a le sens de l’accueil et le souci de l’autre. Ça permet aussi de ne pas rentrer dans le jeu du client agressif et de désamorcer tout de suite une situation tendue », explique-t-il. 

Les deux collègues se croisent à l’arrêt Saint-Jean Photo : AG/Rue89Bordeaux

Conductrice et psy

Ses passagers, Muriel Sola-Ribeiro les qualifie de « kinder surprise », car « on ne sait jamais sur qui on tombe ». Certains, désagréables, n’hésitent pas à lui faire des remarques sur sa conduite, ou à lui demander de dépasser les limitations de vitesse par crainte d’être en retard. Beaucoup se confient aussi, « comme s’ils étaient chez la psy ». 

« Il y a des histoires de deuil, de chômage, de déclassement social et d’effondrement personnel. Nous les chauffeurs, on n’est rien pour eux. C’est peut-être pour ça qu’ils nous parlent. Quand je peux, j’essaie de les orienter vers des structures associatives. »

Muriel Sola-Ribeiro voit le transport en commun comme « un concentré de société ». Au volant, elle conduit, écoute, et gère les crises de quelques « agités », tout en essayant de rester concentrée. 

« Des fois t’entends de ces trucs. C’est pour ça que j’ai eu besoin d’écrire. Je me suis dit qu’il fallait que je raconte ce que je vivais, car je pense que les gens ne se rendent pas compte de ce qu’on encaisse. Certains nous méprisent même. »

Avant de créer son blog en 2019, Muriel Sola-Ribeiro racontait déjà ses histoires sur sa page Facebook. Elle les accompagne de photos du dépôt, se passionnant pour le « graphisme des bus alignés ». Ses récits ont du succès. Son manager l’encourage. Une passion qui lui a offert la deuxième place du « concours international : Keolis a un incroyable talent » en 2021. 

« La brève est une perle »

Dans ses histoires, le plus important est « d’emmener le lecteur avec [elle] ». Tant qu’elle n’est pas parfaitement satisfaite, Muriel ne publie pas. Le récit est donc soigné, et les phrases « rythmées, dansantes, évocatrices ». 

« Je gare mon bus, j’ouvre les portes et ça monte, ça monte, ça se faufile comme des saumons remontant le courant. Les passagers sont si serrés que toutes leurs têtes n’en font qu’une. » (Extrait d’une publication du 6 juin 2023, « Peut Mieux Rire »).

La brève « est une perle » qu’elle offre à son lecteur. Un goût des mots et du phrasé que la quarantenaire a toujours cultivé. Dès le collège, elle organise des ateliers de lecture et, à la faculté, des ateliers d’écriture. Munie d’un dictionnaire, sur un thème donné, elle rédige, travaille sa rédaction. 

« J’aurais aimé aller plus loin et faire Science po. Mais ce savoir ne me permettait pas de manger. Alors en parallèle de mes études en fac d’arts-plastiques, je devais bosser. La nuit, je faisais de la mise en rayon et le jour, j’allais en cours. Je n’ai pas tenu. »

Aujourd’hui, écrire lui permet de garder « une gymnastique intellectuelle » et « ça évite que mon cerveau ne s’encroute », dit-elle en riant.

Au café Le Terminus, avec son carnet et son thé Photo : AG/Rue89Bordeaux

Femme au volant

Salariée dans un milieu masculin, les brèves sont aussi un moyen de prouver que le métier de conducteur peut être pratiqué quand on est mère et mariée. Actuellement, seuls 21,7% des salariés sont des femmes chez TBM. D’ici 2030, l’objectif est fixé à 30%.

Féministe assumée, dévorant « les biographies de femmes fortes et invisibilisées », Muriel Sola-Ribeiro essuie commentaires sexistes, insultes et refus de monter dans son bus au quotidien. 

« Il y a une fierté à démontrer que c’est faisable, que je suis une femme et que ça ne pose pas problème. »

En attendant, la conductrice passionnée intervient en collèges et en lycées afin « d’introduire les notions de sécurité dans les transports et aux abords ». Un investissement dans le métier que salue Arcade, son ami et collègue :

« Ça fait plaisir à voir. Son boulot, son blog, les retours positifs des clients, ça interpelle. On aimerait avoir la même chose car on a tous besoin de reconnaissance. Finalement, c’est inspirant. »


#bus

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