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A la prison de Gradignan, « ça ne peut qu’exploser »

Agressions, tensions, jet d’excréments… les syndicats des gardiens de la prison de Gradignan dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail et la surpopulation dans les bâtiments pour hommes. Des élus promettent de transmettre les difficultés au garde des Sceaux pour le sommer d’agir.

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A la prison de Gradignan, « ça ne peut qu’exploser »
Mobilisation des gardiens devant le centre pénitentiaire de Gradignan

« Heureusement, il a eu le bon réflexe et a réussi à se protéger, mais ça a été très très violent », réagit Francis Vandenschrick. Ce surveillant en exercice depuis plus de 15 ans à la prison de Gradignan raconte à Rue89 Bordeaux comment son collègue a « failli se faire poignarder avec une antenne de radio au niveau du visage » par un détenu. Également délégué FO justice, l’agent dresse un constat avec « de plus en plus de détenus et de moins en moins de personnel ».

« On avait 136 matelas au sol hier encore. Ça veut dire qu’on met trois détenus dans une cellule de 9 m2 faite pour deux, posé par terre, là où il y a déjà un WC, un lavabo, une table. On réunit trois détenus qui n’ont aucune affinité particulière, qui sont obligés de vivre ensemble dans très peu d’espace. Donc forcément, ça crée des tensions. Et ces tensions, elles ressortent sur qui ? Sur nous, les surveillants. »

Recrutement difficile

136 matelas qui s’ajoutent aux 434 places du centre pénitentiaire Bordeaux-Gradignan, disposés pour la plupart côté hommes : « ça se concentre essentiellement sur le bâtiment A et le bâtiment B », précise le gardien. Face à cette surpopulation, le recrutement ne suffit pas :

« Recruter plus d’agents, c’est bien, mais ça ne repousse pas les murs de la prison. Avant, on était deux agents pour à peu près gérer 80 détenus sur un étage. Aujourd’hui, on est seul pour en gérer un peu plus d’une centaine. Il y a des campagnes de recrutement qui se font tous les ans par notre administration pénitentiaire mais on souffre, comme tous les autres secteurs professionnels, du manque de motivation et de main-d’œuvre. »

Sans compter « une cinquantaine d’agents qui sont en arrêt long maladie ou en aménagement de poste » précise Francis Vandenschrick. Ce qui ramène l’effectif à 90 agents selon le délégué, alors qu’il devait être de 150 grâce au renfort prévu (119 nouveaux agents) pour l’ouverture de la nouvelle aile en mai 2024, première des deux phases des travaux qui aboutiront en 2027.

Surpopulation

Mais ni le renfort en agents, ni les nouveaux bâtiments ne seraient en mesure de résorber les problèmes de la prison de Gradignan. « Ça va améliorer nos conditions de travail parce qu’on va travailler dans un établissement neuf », mais ce sera tout pour le délégué FO, même si « ce sera toujours mieux que l’établissement qu’on a actuellement, qui est complètement vétuste ».

« Déjà l’an dernier, on savait que le nouvel établissement serait sous-évalué de 200 places. Là, on va être quasiment à 900 détenus. Au bout du compte, le nouveau CP (centre pénitentiaire) fera 600 places. On est déjà quasiment sous-dimensionné de 300. Alors, imaginez en 2027 si on continue sur ce rythme de croisière-là. »

A quelques semaines de sa livraison, le premier des trois bâtiments, tout comme les deux autres sont déjà loin de satisfaire les attentes du personnel de Gradignan. Ces nouveaux équipements visaient pourtant à redresser l’image de cette prison connue pour être une des plus surpeuplées de France. La surpopulation carcérale y atteint des sommets avec 879 détenus (femmes et hommes), avec trois détenus par cellule, loin de la loi qui prévoit des cellules individuelles.

Statu quo

La situation dure, voire s’aggrave. En octobre 2022, après la visite de la contrôleuse générale des lieux de privation des libertés, suivie de celle de deux sénatrices girondines, Gironde Monique de Marco et Laurence Harribey, l’Association pour la défense des droits des détenus (A3D) et l’Observatoire international des prisons (OIP) ont attaqué l’Etat demandant au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux de prononcer des mesures urgentes de travaux pour un accueil digne des détenus de la maison d’arrêt de Gradignan.

Une semaine plus tard, le juge ordonne au centre pénitentiaire de mettre en œuvre neuf mesures urgentes pour améliorer les conditions de détention et exige des changements concrets dans le quotidien des prisonniers, dont l’équipement des cellules avec des lits décents, une répartition équitable de la nourriture, la distribution régulière et gratuite de produits d’hygiène, la proscription des fouilles intégrales (mise à nu des détenus) dans des lieux inadaptés ou encore le renforcement des moyens matériels et humains de l’équipe médicale.

« À la suite de cette ordonnance, on a essayé pendant plusieurs mois de suivre les avancées et on s‘est heurté au refus de l’administration de nous informer de ce qu’elle faisait. C’est d’autant plus problématique que nous étions requérants », témoignait un an plus tard auprès de Rue89 Bordeaux Nicolas Ferran, responsable du pôle contentieux de l’OIP.

Devant la prison de Gradignan ce lundi Photo : FO Justice

Mobilisation générale

Rien ne bouge et « ça ne peut qu’exploser », prévient Francis Vandenschrick. Après plusieurs agressions visant des surveillants, dont un jet d’excréments, « une mobilisation générale » s’est tenue ce lundi 26 février devant les portes de la prison de Gradignan, réunissant une vingtaine d’agents.

« L’administration pénitentiaire ne peut pas faire grand-chose, souligne le délégué. Elle a une obligation de la loi de prendre les détenus qui se présentent à l’établissement. Et dans l’ensemble de la direction interrégionale de Bordeaux, tous les établissements sont en bord de l’explosion. Enlever un détenu qui nous a agressés à Bordeaux pour le mettre à Mont-de-Marsan ou à Neuvic, c’est juste déplacer le problème. Parce qu’eux aussi sont surchargés. Au bout d’un moment, il va falloir que nos politiques prennent des décisions, en fait. »

Lors de cette mobilisation, Monique de Marco s’est présentée et a annoncé vouloir « saisir le garde des Sceaux [Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, NDLR] au niveau du Sénat pour lui faire remonter les difficultés que nous rencontrons au quotidien dans l’exécution de nos tâches » rapporte le représentant des gardiens.

Le député de la 6e circonscription de la Gironde, Éric Poulliat (PS), a fait savoir à Rue89 Bordeaux qu’ « une lettre sera envoyée cette semaine pour faire état des difficultés et alerter du sous dimensionnement des nouveaux bâtiments ». Ce qu’a également fait la députée de la 11e circonscription de la Gironde, Edwige Diaz (RN), qui a demandé « une réponse urgente à la mesure des difficultés ».


#Justice

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