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Oxana Cretu, l’ambition nature d’une cheffe moldave à Bordeaux

Arrivée de Moldavie à Bordeaux comme jeune fille au pair, Oxana Cretu est à la tête du restaurant Inima (ex-Cromagnon). Sélectionnée pour cuisiner aux VIP lors des JO de Paris, cette autodidacte de la gastronomie rêve de décrocher une première étoile Michelin avec sa cuisine inventive, donnant une place prépondérante aux végétaux, dont les fleurs. Quatrième et dernier portrait de notre série d’été 2024, « Du monde en Gironde ».

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Oxana Cretu, l’ambition nature d’une cheffe moldave à Bordeaux
Oxana Cretu sur le seuil de son restaurant Inima, rue du Palais-Gallien à Bordeaux

« De tout cœur » : c’est le sens du mot moldave « inima » donné à son nouveau restaurant par Oxana Cretu. « Cela représente la personne qu’on aime dans la vie, et cette maison c’est mon deuxième bébé, après ma fille », confie la jeune femme (40 ans tout juste).

Plus qu’un changement d’enseigne du Cromagnon, le nom précédent de son établissement ouvert en 2017 rue du Palais-Gallien, c’est tout un programme pour la cheffe bordelaise, qui en passant de la bistronomie à une carte gastro, vise ouvertement une première étoile au Michelin. Avec une cuisine dans l’air du temps qu’elle souhaite « attachante ».

« Je compose avec les contraintes écologiques »

Exit l’image viandarde collant à la table au patronyme préhistorique, où l’on servait du bœuf cuit sur des pierres de sel. Place à des mets délicatement élaborés par la jeune femme à partir de fleurs sauvages, de légumes, de poissons et volailles du coin – huître jasmin fumée, seiche du Bassin et wasabi, merlu de Saint-Jean-de-Luz maturé, ortie et épine-vinette (une baie), canette du Périgord aux fleurs de cerisier, sorbet à la fleur d’amaralis…

Oxana Cretu travaille notamment avec Les Paniers sauvages, un cueilleur professionnel : « Je ne choisis pas les produits qu’il m’envoie, mais comment les mettre dans les assiettes », expose-t-elle dans son restaurant, où elle a beaucoup reçu la presse ces dernières semaines.

« Je compose avec les contraintes écologiques du moment, sans tomber dans les extrêmes. L’empreinte carbone du restaurant est allégée si on ne sert pas de bœuf. On entend beaucoup que dans 30 ans il n’y aura pas de viande pour tout le monde. Si je fais de la volaille, cela permettra peut-être à ma fille d’avoir encore du bœuf à l’avenir. »

Un héritage aussi du carême que pratiquaient volontiers ses grands-parents, orthodoxes pieux, pour lesquels « ne pas manger d’aliments d’origine animale à cette période était aussi bénéfique pour la santé ».

Le temps des forêts

Quant à la volonté de travailler avec des produits locaux, la cuisinière a « ça dans le sang depuis toujours » et ne « [voulait] pas faire autrement ». Car la Moldave a passé une partie de son enfance dans la forêt de Codreni, au sud de Chișinău, la capitale d’une république de l’URSS alors en pleine déliquescence.

« Mon grand-père était garde forestier, il vivait dans une maison de l’État au milieu des bois mais ne recevait pas forcément de salaire. On devait se débrouiller grâce à une petite ferme, en autosuffisance. J’ai vécu là plusieurs années lorsque ma mère a eu un grave accident de la route et a été dans le coma pendant des mois. Je passais mon temps à roder dans les bois, à faire du cheval ou chercher des fraises. »

La cheffe, qui vit à la campagne, au sud de Bordeaux, rend au passage hommage à cet aïeul aujourd’hui décédé :

« Intelligent et sensé, il parlait peu, était discret mais faisait avec bienveillance : il a planté plusieurs forêts quand d’autres les abattaient pour vendre le bois. Aujourd’hui, il y a en Moldavie des forêts à son nom, avec des acacias dont les fleurs sont butinés par les abeilles pour faire du miel. »

Cosmopolite

Les parents d’Oxana Cretu sont, quant à eux, des œnologues installés en Moldavie, pays éminemment agricole. Ils sillonnaient l’empire russe pour l’alimenter en vin, permettant au passage à leur famille d’avoir accès à des denrées rares pour le commun des soviétiques, des bananes par exemple.

Si le couple est de nationalité ukrainienne, son origine est, comme le nom de famille Cretu l’indique, roumaine : la région d’Odessa dont ils sont issus – et où ils habitent actuellement – fait partie de la sphère roumanophone, et la Roumanie l’a disputée à l’URSS pendant la guerre.

Cosmopolite de naissance, leur fille a logiquement eu « depuis toute jeune l’envie de visiter le monde ». Une fois le communisme et le rideau de fer tombés, cette membre de « la génération du changement, proeuropéenne », a eu la détermination de réaliser ce rêve. « Poussée aussi par les événements », raconte-t-elle :

« Lors de l’effondrement du régime socialiste, la monnaie a été dévaluée et mes parents faisaient partie des gens qui ont tout perdu. Ils avaient à la banque un montant équivalent à la valeur de deux maisons, épargné pour mon frère et moi. On a récupéré l’équivalent d’un rouge à lèvres. C’était une période compliquée : ils ne percevaient plus leur salaire et étaient payés en vin, il y avait sans arrêt des coupures d’électricité, et tous mes copains partaient sans que je comprenne pourquoi. J’ai alors compris que le moyen de m’en sortir, c’était de faire des études. »

Libre arbitre

Oxana Cretu décroche alors une bourse pour partir en Roumanie. Sa volonté initiale est de devenir pilote de ligne, mais il lui faudrait pour cela avoir la nationalité roumaine. Après un bac littéraire, elle commence des études de langues en Moldavie. Sans grande conviction : « On ne faisait pas beaucoup de français… Nous avions un prof nul et alcoolique, on devait se cotiser pour lui payer ses bières ! » Elle traîne à la fac, en informatique.

« Mes oncles m’ont conseillé de me marier, de faire des études d’avocat ou médecine. Comme ce n’était pas mon premier choix, et que je suis le mouton noir dans la famille, j’ai décidé de partir en France, directement en LEA (langues étrangères appliquées) à Bordeaux. À un moment où on venait d’accéder à la liberté, et qu’on comprenait que le libre arbitre existait vraiment, le choix de ce pays s’imposait. »

L’acclimatation n’est toutefois pas évidente pour la jeune fille. Elle débarque en Gironde en 2009 comme jeune fille au pair, et s’occupe de deux enfants, tout en apprenant le français.

« Il y avait beaucoup de grèves contre la réforme de l’université, une partie de la fac était à l’arrêt, et mes études interrompues. Je voulais faire du design mais ne savais pas trop comment procéder, j’ai fini par aller dans une école privée. Et puis, j’ai mis du temps à m’adapter à Bordeaux. C’était compliqué de rencontrer des gens, et l’humidité constante était difficile à vivre. J’ai hésité à revenir en Moldavie. »

Entrée dans la cuisine

Mais Oxana Cretu s’accroche, tombe amoureuse d’un Français, et finit par se découvrir une passion pour la cuisine, qui la pousse à reprendre des cours à distance à l’école Ducasse.

« Je m’y retrouve plus que dans le design. J’ai travaillé dans une agence à Bordeaux, et j’ai fait quelques produits mais ce n’était pas mon truc d’être tout le temps devant un ordinateur. La cuisine est un des seuls métiers où on peut travailler à la fois avec son physique et son cerveau. »

Grosse bosseuse et perfectionniste, Oxana Cretu a aussi vu dans la cuisine une planche de salut :

« Cela m’a permis de passer des périodes complexes dans ma vie, en concentrant mon énergie sur un travail qui donne tout de suite des résultats ». 

Oxana Cretu aux fourneaux pour une collaboration avec Maxime Gilbert, chef doublement étoilés au guide Michelin pour un établissement à Hong Kong Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Dans son restaurant de quelques tables seulement, et dont elle a elle-même conçu la vaisselle, Oxana Cretu officie désormais derrière son comptoir avec une petite équipe, un second, un serveur et un sommelier d’origine italienne, tous aux petits soins.

« En Moldavie, nous n’avons pas de montagne ni de mer, alors on a toujours été attentif à bien accueillir les gens, justifie-t-elle. La cuisine c’est de la lumière, quelque chose qui doit donner le sourire aux gens dans des moments pas toujours gais. »

Sur le podium aux JO

Si la France lui a aussi « appris à râler » – elle s’emporte parfois contre les cotisations trop lourdes à ses yeux –, Oxana Cretu estime désormais avoir été « adoptée ». Alors que nous la rencontrons peu après les élections législatives, elle confie son soulagement : « La mixité fait la France. » Elle rappelle qu’au début de la guerre en Ukraine, ses parents ont pu séjourner plusieurs mois ici, avant de repartir dans leur pays.

Aussi, la cheffe se dit fière de recevoir aujourd’hui des marques de reconnaissance de son pays d’adoption. Elle a ainsi fait partie d’une sélection de 46 chefs de la nouvelle génération de la gastronomie française lors des Jeux olympiques de Paris, officiant dans les hospitalités, c’est-à-dire les carrés VIP des stades. Oxana Cretu a fait trois sessions à celui de la Tour Eiffel, avec pour mission de servir des produits locaux et emblématiques de la cuisine française.

« J’ai travaillé une crevette impériale, élevée dans l’estuaire de la Gironde, en tartare mi-cuit avec une bisque à la lavande et une mayonnaise fumée, explique-t-elle. J’ai adoré vivre de l’intérieur cette expérience, cette très belle remontée de l’image de la France dans le monde, on voyait la grandeur du pays et ce dont il est capable sur le plan culturel et médiatique. »

Étoiles dans les yeux

De surcroît, la cheffe se félicite que, dans la ligne de ces JO paritaires, les femmes cheffes aient été largement mises à l’honneur dans ce panel.

« La cuisine est une fierté, celle de mon anticipation, de faire partie des femmes qui ont investi des métiers longtemps réservés aux hommes. En tant que maman, j’ai eu peur de n’avoir rien à laisser à ma fille. C’était important pour moi de pas avoir à ses yeux l’image d’une éternelle étudiante, d’être un exemple, et de lui laisser un patrimoine. »

En attendant une étoile Michelin ?

« Ce serait grandiose et donnerait un sens à mon histoire en montrant que tout est possible, même pour une femme moldave, née en URSS de parents ukrainiens. Avec l’âge, on veut laisser une empreinte. Mais je ne suis pas obsédée par ça. Ce qui s’est passé pour moi c’est déjà beaucoup, et je ne m’imaginais jamais arriver là. »

Avant peut-être de changer à nouveau de crémerie… Car la jeune femme reconnaît avoir parfois l’envie de tout plaquer.

« C’est un des métiers les plus durs qui puissent exister, et qui demande beaucoup de sacrifices. Mon mari, qui était aussi dans la restauration, et moi, on a raté quelques épisodes de notre vie. Mon frère, aussi installé en France, ne comprend pas pourquoi je ne suis pas là aux anniversaires de ses enfants. Mais je suis contente de ce que je fais, et c’est la première fois de ma vie que ça m’arrive. »


#du monde en Gironde

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