1 – La Cité du Vin, « c’est votre Tour Eiffel »
Avec la venue du président de la République, la communication autour de la Cité du Vin est assurée. Plus d’une centaine de journalistes sont présents pour couvrir l’événement, jusqu’au New York Times qui a dépêché une journaliste émerveillée :
« C’est votre Tour Eiffel ! »
La visite pour les journalistes se fera « au pas de course » indique notre guide.
« Et bien sûr pas de question », rajoute-t-il, car pas le temps.
A 8h donc, les journalistes pénètrent dans les lieux. C’est l’heure où des sommeliers rangent leurs dernières bouteilles, d’autres reçoivent des consignes pour être à la hauteur sur les vins de Bordeaux, les hommes et femmes de ménage polissent les portiques d’entrée, les chiens policiers effectuent une dernière ronde dans le bâtiment. Bref, la tempête pour que tout soit calme.
Courbes
Pas question de jouer aux musées traditionnels avec des collections permanentes, Sylvie Cazes, présidente de la Fondation pour la culture et les civilisations du vin, prône le « Museum », à l’anglo-saxonne donc.
D’abord le travail des architectes, Nicolas Desmazières et Anouk Legendre, ne laisse pas indifférent. A l’extérieur, ils « ont imaginé un lieu évocateur empreint de références identitaires : le vin qui tourne dans le verre, le mouvement enroulé du cep de vigne, les remous de la Garonne », indique le dossier de presse. D’autres parlent de carafe à vin voire, moins poétique et plus sarcastique, de godasse, de foie surplombé d’un intestin, ou carrément d’étron.
A l’intérieur, le lieu garde ses courbes avantageuses, le bois et surtout les écrans et tablettes numériques sont à l’honneur, quoique dans une ambiance un peu sombre.
Il y a des « ateliers » de dégustations avec une thématique trimestrielle, un « cinéma 360 degrés » thématique également sur les marchés du monde où le vin sera goûté et les mets locaux seront évoqués par des odeurs artificielles, un salon de lecture.
Poly-sensoriels et e-vigne
Surtout, la Cité du Vin table sur son parcours permanent de 3000 m². Ici, on ne parle pas de salle d’expos mais de « modules » qui sont « poly-sensoriels » insiste notre guide. Chacun a son utilisation du numérique : des paysages viticoles projetés au sol, des globes interactifs lient le vin au patrimoine, au climat et à l’économie, ailleurs les paysages se transforment sous les doigts des visiteurs, des bouteilles géantes s’ouvrent sur des tables tactiles et des diffuseurs de parfums ou encore un espace – pour adulte – parle vin, art et érotisme.
L’audioguide – ici on dit un « compagnon de voyage » – se pose sur les esgourdes, mais orienté vers l’extérieur, pour que vous puissiez parler avec votre compagnon de voyage physique (autrement dit amis, familles, voisins…). Tout ça pour 20 euros accompagné d’une dégustation sur le belvédère. Les radins ou fauchés pourront se contenter des parties ouvertes à tous, c’est-à-dire le rez-de-chaussée (avec boutiques, bars et caves aux 12000 bouteilles) et le premier étage, où se trouve le salon de lecture ou une terrasse, dont la vue est moins épatante, il faut bien le dire, qu’au 7e et dernier étage, où se trouve le restaurant panoramique.
En ce 31 mai, Alain Juppé parle d’un « jour faste ». Son Guggenheim, il le voulait depuis 1995. Le président de région Alain Rousset, parle de la Cité comme d’une « évidence ». Ce sera le « phare de l’œnotourisme » indique Bernard Farges, président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB). Un phare de 55m de haut qui devrait attirer 450000 visiteurs, aura coûté 81 millions d’euros et s’illuminera tous les soirs de 22h30 à minuit jusqu’au 22 juin.
2 – Pesticides, du hors-sujet au problème
La Cité du Vin est devenue ces dernières semaines la cible des militants anti-pesticides, qui regrettent que l’utilisation des produits phytosanitaires ne soit pas expliquée dans les différents parties du lieu. Depuis les alertes lancées par les Erin Brockovich girondines Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran, les intoxications d’enfants à Villeneuve-de-Blaye et le reportage de Cash Investigation, les accusations se sont multipliées, jusqu’à la projection récente du slogan « Stop Pesticides » sur la façade de la Cité quelques jours avant cette inauguration.
La Confédération paysanne regrette d’autre part le manque de viticulteurs invités à l’inauguration, et surtout que l’opération de communication essaie faire oublier « les casseroles pleines de pesticides ».
Lorsqu’on rapporte ces propos à Olivier Bernard, le président de l’union des grands crus de Bordeaux tempête :
« C’est un petit angle ça ! Le petit angle des petits opposants ! Aujourd’hui, on inaugure une Cité magnifique qui va faire rayonner Bordeaux et quand on me parle des produits phytosanitaires : hors-sujet, monsieur ! »
Pourtant, le 25 avril 2016, le président du CIVB Bernard Farges avait déjà traité le sujet en annonçant – à la surprise générale – que les pesticides seraient bientôt bannies des vignes. Les élus en ont remis une couche ce mardi.
Alain Rousset lance le débat, « même si on m’avait conseillé de ne pas trop en parler ». Pour le président de région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, il s’agit d’un « des problèmes de société les plus importants ». Il salue le courage du président du CIVB et fixe une perspective de 10 à 15 ans pour arriver à ce bannissement. Ce serait « la plus belle page de pub ». Alain Juppé encourage « de nouvelles pratiques culturales pour supprimer complètement les usages phytosanitaires ». Et François Hollande demande d’ »accélérer le rythme », sans plus de précisions.
3 – Campagne au champagne : « ils ont trinqué à Philippe Martinez ? »
Les journalistes des médias nationaux sont aux aguets. La photo Juppé-Hollande est attendue. Elle serait le symbole d’un combat à venir pour les élections présidentielles de 2017. Les petites phrases sont espérées. Arrivée tout sourire aux côtés de Mathieu Gallet, président de Radio France, Virginie Calmels est interrogée sur la baisse du maire de Bordeaux dans un récent sondage pour la primaire à la candidature chez les Républicains (moins 2 à 7 points qu’on soit sympathisant de la droite et du centre ou juste des Républicains) : « C’est une baisse toute relative et il part de très très haut. »
En bon socialiste fidèle au président de la République, Alain Rousset est forcément plus piquant :
« Je trouve qu’Alain Juppé gagne s’il a une ligne gaullienne. C’est son histoire. Il est totalement impensable – surtout dans une ville comme Bordeaux qui a beaucoup utilisé l’argent public comme ici pour redresser son image – qu’on dise on va économiser 100 milliards d’euros. »
Puis l’ancien premier ministre accueille l’actuel président. En s’avançant des journalistes, ce dernier lâche : « se rapprocher je ne sais pas mais en tout cas nous sommes ensemble ». Déçu, un journaliste commente à bas bruits : « On ne va pas faire la journée sur cette phrase. »
Les deux élus visitent le site entouré par une petite poignée de journalistes triés sur le volet. Au 7e étage, ils partagent même… une coupe de champagne. La photo arrive via twitter sur les portables des autres journalistes politiques présents. Ils cherchent le bon mot :
« Ils ont trinqué à Philippe Martinez et au mouvement social ? », « c’est l’image d’Alain Juppé droit dans ses bottes de 1995 et de François Hollande en 2016 ».
Dans l’auditorium Thomas-Jefferson, les amabilités sont de rigueur. Alain Juppé rappelle la venue du président pour l’inauguration du pont levant Jacques-Chaban-Delmas en 2013 puis celle de Vinexpo en 2015 : « Je vais finir par me dire que vous aimez les inaugurations bordelaises. » Le président lui répond : « Je suis prêt à répondre à toutes les invitations mais je ne voudrais pas qu’il y ait des interprétations. » De timides rires se font entendre.
Et on essaie encore de lire entre les lignes quand Alain Juppé cite Cicéron :
« Les hommes sont comme les vins, avec le temps, les bons s’améliorent et les mauvais s’aigrissent »
Pendant que les élus parlent, les journalistes politiques s’échangent un off lâché par un « proche du président » concernant le mouvement de contestation contre la Loi Travail :
« La CGT a compris qu’elle n’obtiendrait pas le retrait de la loi. »
Seulement, au même moment, le premier syndicat de France coupe l’électricité durant deux heures entre midi et 14h dans le quartier Bacalan. La Cité du Vin n’y échappe donc pas… sauf l’auditorium où s’exprime François Hollande, grâce à un générateur électrique. La Fédération Energie de la CGT revendique le geste :
« Cette action fait partie des nombreuses initiatives menées par les énergéticiens dans la période, afin que le gouvernement débouche ses oreilles et écoute enfin la voix des salariés. »
Et la secrétaire de l’union départementale, Corinne Versigny répond qu’au contraire que « la CGT a compris qu’elle obtiendra le retrait ! » tout en égrainant les prochaines dates de mobilisations : le 2 juin avec un barrage filtrant place Stalingrad, le 9 juin où le cortège des retraités sera rejoint par les salariés, le 14 juin pour une nouvelle journée de manifestation nationale.
4 – Syndicats et écolos se rejoignent
Pour profiter de l’écho de cette inauguration, les forces syndicales et écologistes tentent de faire front commun. CGT, FSU, Sud Solidaires se retrouvent ainsi près des Hangars sur les quais aux côtés des Jeunes écologistes et militants anti-pesticides de tout horizon. Un cordon de CRS les tient cependant à distance du musée.
Environ 500 personnes sont ainsi rassemblées, dont une partie venue pour un « die-in » (« ci-gît » pourrait-on traduire) en s’allongeant au sol pour symboliser les morts dus aux produits phytosanitaires.
Le rassemblement se transforme ensuite en manifestation sauvage accompagné par les camions de l’UD CGT et de Sud Solidaires. Le cortège est stoppé place Jean-Jaurès et, après négociation, l’UD CGT peut se rendre jusqu’à la place de la Bourse pour se dissoudre et appeler aux soutiens des manifestants du Collectif de lutte 33 qui après leur blocage sur la rocade ont été, pour quatre d’entre-eux, interpellés.
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