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Contre les violences policières, « c’est important de montrer nos têtes »

Révoltés par les récentes violences policières sur de jeunes français, quatre girondins organisent ce dimanche leur (première) marche contre les bavures. Portraits des premiers concernés par les discriminations.

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Contre les violences policières, « c’est important de montrer nos têtes »

Ils n’avaient pas prévu ça. En allant à la préfecture pour déclarer leur marche contre les violences policières, les quatre organisateurs pensaient réunir « entre 15 à 30 personnes voire 100 au maximum » raconte Jean-Michel, l’un d’entre-eux.

Seulement, entre temps, leur évènement rallie de plus en plus de monde sur Facebook : 600 personnes disent y aller et 1200 sont intéressées. Même s’il faut rester méfiant, ces chiffres sont un indice de la mobilisation sur ce sujet brûlant.

Jean-Michel, son frère jumeau Matthieu, et leurs amis David et Mélody, se demandent bien ce qui va les attendre dimanche à 16h quand leur marche va débuter. Ils ont entre 21 et 26 ans, sont vendeurs, abonnés aux boulots d’appoints et étudiants, n’ont jamais été dans aucun parti, syndicat ou association.

« On aurait été blanc, ç’aurait été différent »

Aujourd’hui ils se bougent pour que cessent les bavures policières. La mort d’Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise lors de son interpellation le 19 juillet 2016 est un premier déclic pour Matthieu :

« J’étais vraiment énervé de voir ça. Je trouvais injuste le traitement par la justice. La famille se débrouillait bien et mobilisait les artistes. Je pensais que la police se calmerait. »

Son frère se désespérait alors de voir des marches de soutien un peu partout, mais jamais à Bordeaux. Après la grave blessure de Théo à Aulnay-Sous-Bois lors d’un passage à tabac par des policiers le 2 février, ils décident d’agir. David, ami depuis 2010 et leurs années en BTS technico-commercial à Marmande, est dans le coup. Mélody, qu’ils ne connaissent pas, les rejoint.

David, Jean-Michel et Matthieu organisent (avec Mélody) la marche contre les bavures policières (XR/Rue89 Bordeaux)

Cette marche citoyenne espère réunir tous les soutiens aux victimes de ces injustices et tenter de garder un message « positif » répète Jean-Michel qui s’en prend à une justice à deux vitesses :

« On ne veut pas que ce qui s’est passé pour Théo nous arrive. Et pourquoi ceux qui ont fait ça à Théo ne sont pas en prison en attendant leur procès ? Des noirs ou des arabes l’auraient fait à un policier blanc, ils auraient déjà une peine ! »

Le 9 février, son frère se rend à la première manif à Bordeaux réclamant « Justice pour Théo ».

Les visages masqués et les slogans anti-police ne l’ont pas enchanté. Pas plus que de voir que, parmi la centaine de manifestants présents, les noirs se comptaient sur les doigts de la main. Et encore moins d’avoir appris que le cortège en était venu à caillasser le commissariat de police de la rue du Cerf-Volant. Il déplore :

« Ils mettent tous les policiers dans le même panier. Chez les civils, tu as des bons et des mauvais et dans la police c’est pareil ! »

Les multiples histoires de contrôles ou de rapport avec les forces de l’ordre dans leur vie quotidienne sont le reflet de ces nuances.

Gros ovaires et fouille au corps

Il y a quelques mois, Jean-Michel et Matthieu ont été vite désignés par les gendarmes comme les coupables idéaux d’une rixe lors d’un match de leur club de foot avant que les témoignages contredisent cette version et les disculpent. En revanche, la gendarmerie a refusé leur dépôt de plainte.

« On aurait été blanc, ç’aurait été différent » se désole Jean-Michel qui se souvient qu’à l’école à Saint-Médard-en-Jalles – où il a grandi et vit encore – lui et sa fratrie étaient les seuls noirs. Avec son frère, il raconte aussi les barres de rires avec d’autres policiers faisant passer des contrôles d’alcoolémie sur la route de Lacanau, ou encore s’être pris en photo avec d’autres en Ariège.

David, qui a passé le plus clair de sa vie entre Pessac et Talence (où il vit aujourd’hui), se souvient des « stigmatisations surtout sous l’ère Sarkozy ; tu t’assoies à la gare avec ta mère, direct on nous contrôle ». Il y a aussi eu, à cette sortie de rocade, cette « femme flic qui commence à nous parler sur un ton autoritaire, sans doute pour s’affirmer en sortant ses gros ovaires pour montrer que c’est la patronne ». N’ayant rien à se reprocher, il est resté calme et est reparti peu après.

Mélody, dans sa ville d’Artigues-près-Bordeaux, raconte l’histoire de son frère cadet. Noir lui aussi, il a eu droit à la fouille au corps pendant un contrôle routier, contrairement à ses trois amis présents et blancs de peau (dont le chauffeur).

Sous les panneaux, l’Acab

S’ils dénoncent les débordements policiers, ils craignent ceux dans les rangs manifestants. Dans leur communiqué de presse, ils demandent qu’ « aucune forme de violence ne soit utilisée » lors de cette marche silencieuse où le code vestimentaire sera d’être paré d’un haut blanc pour « se différencier des casseurs » résume Matthieu sur la page Facebook.

Même si Bordeaux n’est pas une ville de casse, la manifestation sauvage ou surprise (selon les autorités ou les manifestants) de mardi soir réunissant 60 à 100 personnes s’est conclue tout de même par le caillassage du centre de recrutement de la gendarmerie, place Pey Berland. Malgré les recherches, il n’y a eu aucune interpellation. Les vitres ont été taguées et brisées, décrit Sud Ouest, et ont vite été recouvertes de panneaux en bois ce mercredi.

Sous les panneaux, l’ « Acab » tagué par les manifestants (Maïder Gérard/Rue89 Bordeaux)

Pour autant, l’expression « se différencier des casseurs » a suscité l’ire de quelques manifestants chevronnés, si ce n’est matraqués, lors de la mobilisation contre la Loi Travail et qui sur Internet s’en prennent aux organisateurs. Myriam, lourdement frappée par des policiers en 2009 et du collectif Contre les abus policiers (Clap 33), préfère prêter main forte (tout comme SOS Racisme) à ces nouvelles têtes :

« L’affaire Théo a suscité beaucoup d’émotions. On a vu spontanément à travers le pays des manifs de gens pas spécialement politisés. Au Clap, on est toujours content que des gens partent de ça. Ils ont aussi raison de faire ce choix pacifique qui est souvent le choix des familles de victimes. Et c’est très intéressant de voir les gens qui sont les plus concernés par ces violences provenant d’une police raciste – qui ne sont pas les mêmes que celles des manifs. »

Ce racisme quotidien, les quatre organisateurs le racontent sans ambages. Il n’y a pas besoin de policiers pour que leur couleur de peau devienne un handicap. On a peine à la résumer tant la liste est longue.

Matthieu, capitaine de son équipe à 14 ans, se fait « insulter de sale noir » par le père d’un adversaire. Jean-Michel, malgré ses bonnes moyennes en classe, est conduit vers un bac pro. Sa copine doit se battre pour éviter la formation en coiffure et tenter le journalisme. Un contrôleur du bus estime que la petite sœur de celle-ci n’aurait pas 3 ans mais 6 et ajoute « vous les Africains vous trafiquez vos âges ».

La « conseillère de désorientation » de David ne le voit pas chef d’entreprise mais plutôt plombier (« ça paie bien mais qui a dit que j’avais envie de réparer des chiottes ? »).

Lors d’un stage en tant que serveuse à Paris dans un restau « bien fréquenté », un homme refuse que Mélody le serve.

Après un tel lot d’humiliations énumérées, Jean-Michel exprime le dépit vécu par beaucoup :

« Si les premiers concernés n’organisent pas de manif c’est qu’ils sont découragés. Ils ont l’impression que ça ne se servira à rien. Des cas comme ça, il y en a plein. Tous ceux qui ont un peu d’autorité en profitent et toi tu n’es pas préparé. »

C’est bien ce découragement qu’ils veulent défier assure Matthieu :

« On va assumer pour créer un nouvel élan. C’est important de montrer nos têtes. »

Ce dimanche entre Pey Berland et Victoire, entre les familles, les amis et les copines, ils devraient être plusieurs centaines à se joindre à leur enthousiasme.


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