« C’est pas franchement un succès », reconnait maître Daniel Lalanne. A l’énoncé du verdict, l’avocat de Christophe Melendez lève les sourcils et se retourne vers Marina Melendez, l’épouse du patron du bar El Boqueron, qui murmure : « Je suis dégoûtée. »
Alors que l’accusé dans l’affaire de cette agression qui a défrayé la chronique en juillet 2017, Abdellah Guessoum surnommé Chouchou, a demandé le renvoi de son procès, « fatigué en cette période de ramadan », la juge, Christine Mounier, a maintenu l’audience. Abdellah Guessoum est actuellement incarcéré à la maison d’arrêt de Mont-de-Marsan depuis mars dernier pour quatre mois ferme, suite à une condamnation pour violation de domicile et recel de biens.
Cependant, pour justifier son verdict, la juge a tenu à « relativiser le contexte » et « tenir compte de l’absence d’antécédents judiciaires du prévenu au moment des faits ». Elle avait précisé plus tôt que la consommation d’alcool ne sera pas considérée comme circonstance aggravante dans cette affaire.
Que s’est-il passé ce 5 juillet 2017 ?
Ironie du sort, les commerçants de Saint-Michel étaient réunis pour boire un verre au Boqueron après une journée de mobilisation contre l’insécurité croissante dans le quartier. Christophe Melendez ne se souvient pas de tous les détails des faits. Son agresseur, demandeur d’asile algérien d’une trentaine d’années qui navigue entre Bordeaux et Marseille, a « des souvenirs pas beaucoup plus précis » selon la juge. Après avoir déclaré qu’il était « bourré » le soir de l’agression, il s’est ensuite rétracté dans les dépositions suivantes.
« L’enquête a abouti grâce à des témoignages et aux visionnages des vidéos des caméras de surveillance, précise la juge. L’accusé a ensuite été reconnu par les témoins de l’agression. »
Contrairement à ce qui a été rapporté dans la presse, l’agression a eu lieu pendant les heures d’ouverture du bar, vers minuit, aucun témoin n’affirmant par ailleurs l’utilisation de poing américain ou autre arme.
« Le gars est passé plusieurs fois devant l’établissement, raconte Marina Melendez à Rue89 Bordeaux. Il a voulu rentrer dans le bar et nous l’en avons empêché car nous refusons de servir les dealers de la rue. Il y en a qui veulent un café, d’autres charger leurs téléphones. Nous, on veut qu’ils s’en aillent du quartier ! »
Un échange verbal d’une « extrême tension » a eu lieu rappelle maître Daniel Lalanne, donnant lieu à ce qu’il a qualifié de « violences délictuelles » et un coup d’une « force phénoménale ». Alors qu’aucun lien avec la mobilisation de la journée n’a été établi, le tenancier du bar étant le porte-parole de l’association des commerçants de Saint-Michel, le procureur a requis 6 mois ferme pour des « faits graves » et des « violences gratuites ». La juge en a décidé autrement. maître Daniel Lalanne espère que le parquet fera appel, seul espoir pour réviser la décision.
Alain Juppé « ne mesure pas la gravité de la situation »
Car le verdict tombe comme un coup de massue pour l’équipe du Boqueron. C’est aussi un coup dur pour l’ensemble des commerçants de la rue des Faures qui expriment à nouveau leurs inquiétudes.
Dans un courrier adressé à Alain Juppé daté du 19 mai que Rue89 Bordeaux a pu consulter, Marina Melendez tire à nouveau la sonnette d’alarme, particulièrement en cette période de ramadan où « les gens sont plus énervés ». « J’ai bien peur que vous ne mesuriez toujours pas la gravité de la situation » lui écrit-elle. La liste des incidents dressée dans le courrier est longue. Elle explique :
« Jeudi dernier, suite à une altercation, la police a envoyé du lacrymo qui a envahi le bar. Vendredi après midi, il y a eu une bagarre et samedi un coup de couteau en pleine journée, et tout ça au pied de la caméra de surveillance de la ville. Comment est-ce possible qu’on laisse faire ça à Bordeaux en 2018 ? »
Cette caméra de surveillance, installée en septembre 2017, a bien dissuadé les dealers de la rue et rassuré les commerçants. Mais ce fut de courte durée. Les angles morts ont très vite été repérés et le trafic de drogue s’est réorganisé. Agés de 15 à 30 ans, les dealers sont une trentaine à se relayer et s’envoyer des sms si des policiers sont repérés à proximité.
« On n’est pas pris au sérieux »
« Si la police voulait vraiment faire quelques chose, il y aurait déjà des résultats », se résigne Savas du Bazar Istambul, l’épicerie d’en face. Il avait, lui aussi, adressé un courrier à la police fin décembre 2017 pour les mêmes raisons. Il confie :
« Dès que les riverains se sont plaints des skates dans les quartiers chics, on a vite trouvé une solution. On a l’impression que tous les quartiers ne sont pas logés à la même enseigne. »
Loubna, du café Excuse My French, ajoute :
« On n’est pas pris au sérieux ! D’un côté, on signale les incidents et rien ne se passe, d’un autre côté, on nous traite de balances, et en plus, il y a des jours, avec tous ces problèmes, les clients ne viennent pas et ça se ressent sur le chiffre d’affaires. »
Ceux qui tiennent le Boqueron depuis plus de 20 ans constatent avec amertume « la dégradation du climat depuis deux ans », « dans une ville qui se veut la plus belle du monde ». Mais Marina Melendez ne lâche pas l’affaire. Son courrier, également envoyé à la préfecture, vient s’ajouter à « une pile de courriers, mails, photos, vidéos… » d’alerte aux autorités. Sans trop d’effets jusqu’ici.
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