A Bordeaux, Extinction Rebellion (XR) s’est fait connaître en interrompant les discours d’inauguration du Museum d’histoire naturelle, puis en déployant sur la CCI une banderole « Chirac reviens ! » (référence au fameux discours de l’ancien président de la République, « notre maison brûle et nous regardons ailleurs).
Et ce dimanche 7 juillet, à 14h00, sous le regard de parents affolés, une vingtaine de ses activistes ont teinté de rouge sang le miroir d’eau de Bordeaux à l’aide d’un colorant alimentaire (non toxique) pour dénoncer l’utilisation massive de pesticides dans l’industrie viticole :
« Selon Mediapart, la Nouvelle-Aquitaine est la première région consommatrice de pesticides, avec 9141 tonnes achetées, en 2017, écrit l’antenne bordelaise dans un communiqué. […] Cette action visait également à alerter le public de l’impact sur la santé des pesticides : celle des ouvrier.e.s agricoles, l’ensemble la population et particulièrement nos enfants. 132 écoles sont enclavées dans les vignes en Gironde, directement exposées aux épandages. L’usage massif de ces substances provoque des effondrements majeurs de la biodiversité : colonies d’abeilles, insectes pollinisateurs, vie des sols et même populations d’oiseaux. »
Traînée de poudre
Lancé en novembre dernier en Angleterre, faisant écho aux réflexions sur les menaces d’effondrement du vivant (sixième extinction massive des espèces, accélération du réchauffement planétaire…) et à un appel de chercheurs à la mobilisation, XR veut « dire la vérité sur le constat effrayant établi par les scientifiques ». Il invite à se soulever pour imposer « des solutions réfléchies à ces crises écologiques ».
« Il est de notre devoir d’agir pour protéger la sécurité et le bien-être de nos enfants et de nos communautés et l’avenir de la planète elle-même. (…) Nous nous déclarons être en rébellion contre notre gouvernement, et les institutions corrompues et ineptes qui menacent notre avenir », expose ainsi la « déclaration de rébellion » de sa branche française, lancée le 24 mars dernier.
Le mouvement s’est étendu comme une trainée de poudre : en Angleterre, il frôle les 40000 membres. Deux mois après son lancement en France, il comptait déjà plusieurs milliers d’adhérents et une quinzaine de groupes locaux, dont celui de Nouvelle-Aquitaine. Et l’action du 28 juin dernier a fait exploser la notoriété de XR en France – certains militants qui bloquaient un pont ont été gazés au visage par la police, suscitant l’indignation générale.
Car si XR prône la désobéissance civile pour pousser les pouvoirs publics à agir contre les crises écologiques, ses membres sont non-violents, explique Matthieu. Ce kiné de 39 ans s’exprimait lors d’une soirée de présentation du mouvement il y a quelques jours dans un café bordelais, devant une cinquantaine de personnes.
« Extinction Rebellion a parmi ses principes fondateurs de prohiber la violence physique ou morale contre les personnes. On ne séquestre pas non plus les gens : quand on bloque un bâtiment, on empêche les gens d’entrer, pas de sortir. Enfin, les dégradations matérielles sont possibles si elles font consensus dans le groupe d’action. »
Horizons
L’horizontalité, c’est une des caractéristiques du mouvement, poursuit Matthieu :
« En y entrant, j’étais assez sceptique sur le fait qu’il n’y ait pas de chef ni de porte-parole, mais ça fonctionne hyper bien. Tout le monde est le bienvenu, et chacun peut créer son groupe local et proposer ou organiser une action. »
Deux militantes bordelaises racontent par exemple comment en quelques jours elles ont préparé une action contre la « fast fashion ». Elles ont réalisé des centaines de mini-tracts alertant sur l’impact social et écologique désastreux de l’industrie de la mode, et flanqués d’un QR code renvoyant vers la page de XR, avant d’aller les glisser discrètement dans les poches de fringues soldées par les grandes enseignes. « Risque juridique : nul, car on ne dégrade pas le matériel et l’on empêche pas l’activité de fonctionner », expliquent-elles.
Chaque intervention d’Extinction Rebellion est ainsi soumise au préalable aux avocats du mouvement, afin d’alerter en amont les militants sur les répercussions possibles de leur engagement. Chez Extinction Rebellion, certains sont prêts à aller loin pour défendre leurs idées, mais d’autres ne peuvent ou ne veulent compromettre leur situation professionnelle en s’offrant un casier judiciaire…
Objectif 3,5% de rebelles
Alors tous les niveaux d’action sont proposés : ceux qui ne veulent pas risquer de se retrouver en garde à vue, puis éventuellement condamnés, sont invités à participer aux autres groupes – « artivisme » (création de banderoles, de vidéos…), « culture régénératrice » pour accompagner les camarades blessés ou sortant du poste, « message et sensibilisation » pour recruter des militants, notamment lors de ses réunions comme celle du 17 juillet prochain à Bordeaux…
Massifier le mouvement, c’est un sujet clé pour XR :
« La désobéissance civile est efficace à partir de 3,5% de la population investie dans un mouvement », expose Sagamore – son pseudo sur la base d’Extinction Rebellion, la plateforme qui permet à ses adhérents d’échanger et de préparer leurs actions.
Ses références : les actions non-violentes de Gandhi pour l’indépendance de l’Inde ou des Freedom Riders contre la ségrégation des Noirs dans les transports aux États-Unis. La désobéissance civile et pacifiste est un moyen d’action privilégiée des mouvements écologistes, avec par exemple les opérations d’ANV-Cop 21, mobilisés à Bordeaux par les décrochages de portraits du président de la République ou la lutte contre l’aménagement de la Jallère.
Et les partisans d’XR préviennent : ils tablent sur « une escalade de la radicalité » pour faire passer leurs quatre revendications, dont la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour une neutralité carbone dès 2025 (et non 2050 comme envisagé en France) l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes et la création d’assemblées citoyennes chargées de plancher sur les mesures à mettre en place.
Cercles élargis
Non violent tout en flirtant avec l’insurrection, cercle de réflexion et d’action, club à la fois très codé tout en étant ouvert et avec un fonctionnement démocratique… le mouvement séduit au delà des milieux militants traditionnels.
Lors de la soirée de présentation, il y a certes quelques « vieux de la vieille », acteurs associatifs, politiques ou syndicaux lassés de se heurter à des murs dans ces champs d’action démocratiques traditionnels. Une quincagénaire de la Sepanso raconte ainsi sa frustration face aux processus de participation associant les citoyens aux grands projets, mais qui ne sont la plupart du temps que de pure forme pour valider des décisions déjà prises.
Mais XR séduit aussi beaucoup de jeunes inquiets de l’imminence des périls, et qui ne veulent plus attendre les prochaines élections pour se mobiliser, comme Fanny, 26 ans :
« Je viens du Médoc où j’ai grandi baignée dans le glyphosate. J’ai toujours eu conscience des problèmes, mais je ne me suis engagée que l’an dernier. J’ai marché pour les Gilets jaunes et pour le climat pendant 6 mois sans avoir de réponse politique. Alors me voila… »
Et certains ont fait des choix personnels en conséquence, comme Marc (le prénom a été changé), dont c’est le premier engagement militant :
« Je ne veux pas fermer les yeux plus longtemps. Je sors d’une prépa mais je ne veux pas entrer dans une grande école qui me prendrait trop de temps, au détriment de l’action. Et à XR, j’ai l’impression que je sers plus à quelque chose que dans un parti. »
D’autres voient là un aiguillon indispensable pour contraindre les mouvements politiques, en retard d’une guerre, à agir. Sérieusement.
Chargement des commentaires…