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La place écrasante de la voiture dans l’espace public à Bordeaux

Selon les écologistes, les voies et les places de stationnement en surface dédiées aux véhicules motorisés représentent environ 70% de la voirie de la commune. En fait très difficile à mesurer précisément, la proportion, sans doute majoritaire, souligne toutefois une emprise de l’auto démesurée par rapport à son utilisation effective (29% des déplacements dans Bordeaux). Suite aux polémiques sur les contre-sens cyclables et les conflits d’usage entre piétons, vélos et trottinettes, plusieurs candidats aux municipales proposent de faire reculer l’occupation de la bagnole.

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La place écrasante de la voiture dans l’espace public à Bordeaux

En 2016, les Décodeurs du journal le Monde calculaient que la voiture occupait la moitié des espaces publics de Paris. Ou plus précisément, que la place réservée à la circulation et au stationnement des déplacements motorisés représentait 1419 hectares sur les 2800 ha de voirie dans la capitale.

L’enjeu est important dans une ville très dense comme Paris, où la volonté de faire reculer l’usage de la voiture est constante, notamment sous le mandat d’Anne Hidalgo, afin notamment de rendre de l’espace aux piétons et aux vélos.

Mais la question devient aussi prégnante à Bordeaux : la croissance démographique, et avec elle celle du taux de motorisation, rendent la présence de la voiture envahissante. Et tous les élus jurent qu’ils veulent favoriser les alternatives à l’automobile.

Contresens

Pourtant, la Ville tente toujours de ménager la chèvre et le chou. Si Nicolas Florian, le maire de Bordeaux propose d’expérimenter des places réservés aux covoitureurs à Mériadeck, il n’envisage pas pour l’heure de retirer du stationnement ailleurs, ou d’étendre les zones payantes.

En outre, ni lui ni Thomas Cazenave, le candidat En marche !, ne précisent pour l’heure s’ils récupèreront sur la voirie et le stationnement les espaces nécessaires pour planter les arbres promis afin d’assurer de la fraîcheur en ville.

Et après avoir vanté ses aménagements vélo, Nicolas Florian a déclaré le 17 octobre dernier, devant l’Automobile Club du Sud Ouest, que cela avait été « une erreur de laisser prendre aux vélos certains contre-sens cyclables, comme la rue du Mirail, car aujourd’hui il y a des situations très dangereuses ».

« Il serait bien que le maire de Bordeaux connaisse la loi », a réagi mardi dernier Vincent Feltesse.

Dans la rue Dandicolle à Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Condamnant ce « rétropédalage », le candidat aux municipales souligne en effet que ces contre-sens cyclables sont obligatoires dans toutes les zones limitées à 30 kilomètres/heure, et n’ont occasionné aucun blessé à Bordeaux.

« Amusez vous à supprimer le stationnement latéral des voitures rue du Mirail ou rue du Loup et la question ne se posera plus, poursuit l’ex président de la CUB. Il va falloir faire des choix de partage de l’espace public pour accompagner le fort développement du vélo ou résoudre les problèmes de cohabitation avec les piétons et les trottinettes.  Si vous voulez des trottoirs plus larges pour les prsonnes âgées, les handicapés ou les poussettes, il va falloir cette bascule. »

Instant norvégien

Soit pour le postulant au palais Rohan la suppression progressive de toutes les places de stationnent en surface dans l’intra-boulevard, pour n’autoriser par exemple que les véhicules professionnels ou en autopartage – la coopérative Citiz peine par exemple à obtenir de la métropole des places en surface.

Une telle mise au ban de la bagnole s’inspirerait de la politique menée dans certaines grandes villes, comme Oslo, mais peut s’avérer politiquement risquée. Pourtant, estime l’architecte Boubacar Seck, souien de Vincent Feltesse, « 12m2 (l’emprise moyenne d’une place de stationnement, NDLR) multiplié par le nombre de place de parkings pour des voitures restant immobiles 90% du temps, c’est autant d’espace rendu à de la végétalisation, à des terrasses de cafés, bref à de la convivialité ».

Une épave abandonnée au Grand Parc (SB/Rue89 Bordeaux)

D’autres candidats aux municipales sont sur le même créneau : il faut reconquérir du terrain sur la voiture, afin de lutter contre la pollution atmosphérique et le changement climatique.

« Nous rééquilibrerons la part de la voiture en ville, qui absorbe plus de 70% de l’espace tout en représentant 29% des déplacements à Bordeaux (et 49% dans la métropole », affirme ainsi Pierre Hurmic lors de sa déclaration de candidature.

Plus précisément, Delphine Jamet estime que « 70% de la voirie (en surface) est accaparée par les véhicules motorisés sur l’ensemble de la ville ».

La voiture majoritaire

Pour parvenir à ce chiffre, la conseillère municipale écologiste de Bordeaux a épluché les données en open data de la métropole. Elle a par exemple relevé que la part de la voirie de Bordeaux dédiée aux aires piétonnes était de 3,8%. Celle des pistes cyclables de 5,8 % et celle des couloirs de bus de 3%.  Les lignes de tramway occupent quant à elles 2,27% du linéaire de la métropole.

Par ailleurs, 27% de la voirie de Bordeaux correspond aux places de stationnement en surface, une proportion bien trop importante pour Delphine Jamet :

« A part les rues Sainte-Catherine et Porte Dijeaux ou le cour de l’Intendance, très peu de voies sont dans Bordeaux totalement interdites au stationnement, observe l’élue écologiste. Et la volonté de conserver des places sur un axe comme le cour Alsace-Lorraine rend très compliqué la cohabitation entre voitures et vélos, obligés de passer par les voies de tram pour ne pas se retrouver dans le trafic. »

Ces estimations sur le linéaire ne peuvent toutefois s’additionner – le linéaire des places de stationnement est pour une partie le même que celui des autres voiries -, et elles ne donnent pas la surface de l’espace public.

Arrogance de l’espace

Pour dégainer ces fameux 70% Delphine Jamet a dû confronter ces données à des études menées ailleurs – notamment celle sur la consommation d’espaces par les transports autour des gares du Grand Paris, estimant par exemple à 64% la part de la voirie dédiées à la voiture dans le quartier de la gare de Clamart -, et échangé avec le Cerema (centre d’études sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement).

« Bien entendu c’est empirique, mais je pense sincèrement que cela reflète la réalité, estime l’élue municipale. Sur une rue l’emprise au sol (route+stationnement) représente bien souvent plus de 3/4 de l’espace public (donc 75%). »

On dégage effectivement des proportions similaires en appliquant la méthode du « arrogance of space », qui permet de quantifier l’emprise des voies, sur quelques rues-types de Bordeaux.

La méthode « arrogance of space » appliquée à une portion des boulevards. En rouge, la place de la voiture.

A l’exception des quelques rues entièrement piétonnes de la ville ou encore des quais qui au niveau des Chartrons réservent 53,38% de l’espace aux piétons, les axes témoins envisagés sont majoritairement dédiés aux voitures : 70% sur une section des boulevards (52% pour les voies, 18% pour le stationnement), 67% dans un quartier d’échoppes (rue Mouneyra, dont 28% pour le stationnement) ou encore 54% cours du Médoc (dont 29% de voirie et 24% de stationnement).

Impasses

Mais pourquoi ne peut on parvenir à un chiffrage plus global et précis ? Car les pouvoirs publics « ne disposent pas des outils adéquats », nous répond Bordeaux Métropole.

Le stationnement dans Bordeaux

Même impasse du côté de l’a’urba, nous indique-t-on du côté de l’agence d’urbanisme de l’agglomération :

« Le SIG (système d’information géographique) donc nous disposons est un filaire de voirie (on peut donc comptabiliser des linéaires) sans indication systématique de largeur (difficile de calculer des emprises, sauf à extrapoler grossièrement en fonction du nombre de voie). Parfois sont mentionnés les trottoirs, parfois non. Sur ce point nos calculs seront donc faux. Quant au surface de stationnement automobile, les tracés ne sont malheureusement pas exhaustifs. Nos calculs seront donc forcément erronés. Si des chiffres globaux existent ailleurs, ils seront très certainement approximatifs ou le fruit d’un lourd travail. »

Titine 2

L’a’urba est pourtant en charge du guide de conception des espaces publics métropolitains, ayant entre autres objectifs de « libérer un maximum l’espace » ou « de favoriser le maillage des circulations pédestres ». En 2009, une version de ce guide fixait comme objectif d’affecter au moins 50% de l’espace public au mode actif : trottoir, piste cyclable, site propre…

Cette ambition a été abandonné quelques années après. Et l’Observatoire du stationnement, piloté par l’a’urba, a lui aussi disparu de la circulation faute de moyens.

Du côté de la mairie, on n’a pas non plus toutes les données nécessaires. Précision importante : le nombre de places de stationnement est estimé à 26862 payantes et 50 000 gratuites, soit 76 862 places représentant ainsi, environ 92 hectares, soit 13% du foncier non bâti de la ville.C’est grosso modo l’équivalent de 3 Parcs Bordelais… Il y a donc là de vraies marges de manœuvres si la Ville trouvait par exemple les moyens de pousser les milliers de ménages bordelais possédant une deuxième voiture à y renoncer.

Mais alors que le partage et la végétalisation de l’espace public s’imposent comme des thèmes majeurs pour la mandature à venir, il serait dommage que la métropole navigue à vue.

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Photo : PR/Rue89 Bordeaux

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