Sur le parvis de la cathédrale place Pey Berland, Michdina se penche pour ramasser le ballon lancé par sa sœur Souvda, et retourne se serrer contre les hanches de sa mère qui s’inquiète. Il est bientôt midi ce samedi et personne n’est encore arrivé au rassemblement.
Bonnet vissé sur la tête, Stam, 24 ans, s’approche pour les rassurer. Accompagné par les membres du collectif des expulsés, c’est lui qui conduira la jeune Mongole et ses parents vers leur nouvel hébergement.
Le cortège se rend à Cenon sur les lieux de l’ancien foyer pour personnes âgées de Ramadier, dont la réquisition doit permettre le relogement de 160 personnes, parmi lesquelles 70 enfants et une quarantaine de familles, jusqu’ici livrées à la rue et à la débrouille suite à la vague d’expulsion qui a secoué les squats de la métropole l’été dernier. En coulisse, l’opération est préparée dans le plus grand secret depuis plusieurs mois.
« 1900 personnes à la rue dans la métropole »
Avant de monter dans le tram qui les conduira sur les lieux, Malik, un demandeur d’asile soudanais de 42 ans raconte à Hamid, kabyle rieur d’une cinquantaine d’année, le chemin qu’il a dû parcourir pour arriver à Bordeaux. Les deux amis échangent en arabe, mais aussi en français que Malik apprend à raison de 4 leçons par semaine grâce aux leçons du Collectif pour les Migrants de Bordeaux :
« J’ai fui mon pays pour échapper à la guerre. Pour arriver jusqu’ici, je suis allé jusqu’en Libye, puis j’ai traversé la Méditerranée. J’ai rejoint l’Italie, la France en traversant les Alpes. Là-bas, j’ai rencontré Cédric Herrou, dans la Roya. Il m’a laissé dormir chez lui deux semaines et ensuite je suis arrivé à Bordeaux. Ici, je suis passé de foyer en foyer et aujourd’hui, malgré mon attestation de demandeur d’asile, je suis à la rue. »
Une situation qui concerne jusqu’à 1900 personnes dans la métropole selon Brigitte Lopez, du Réseau Education Sans Frontière, alors que 22 473 logements sont aujourd’hui vacants à Bordeaux.
« Parmi ceux qui sont relogés à Cenon, il y a des familles déboutées du droit d’asile, des familles à la rue, mais aussi des demandeurs d’asile qui n’ont pas eu accès à une proposition de relogement », explique-t-elle.
La préfète mise en demeure
Face à cette situation, les associations prévoient de réagir, poursuit la militante de RESF :
« On prépare une mise en demeure de la préfète pour lui demander d’appliquer la loi et de trouver un logement décent à ceux qui vivent dans des conditions sommaires. Chaque jour, le 115 reçoit 300 appels mais rien n’est proposé. »
La police en échec
Une fois arrivées à Cenon et entrées dans la résidence Paul-Ramadier, un ancien foyer pour personnes âgées, les familles peuvent compter sur le soutien des associations qui les épaulent dans leur démarche (Collectif Bienvenue, RESF 33, Médecins du monde Bordeaux, DAL33, Les Enfants de Coluche…).
Pour compléter l’installation, les membres du comité de soutien donnent un coup de balai à gauche, rassurent un enfant à droite. C’est la première fois qu’ils pénètrent dans ce lieu investi en milieu de semaine par les premières familles. Surtout, ils font obstacle à la police qui tente pendant de longues minutes de pénétrer dans les locaux, « bien que cela leur soit interdit », affirme Daniel, du DAL33 :
« Lorsque des sans-abris occupent un lieu vacant, la loi dit qu’après deux jours, cela devient leur domicile, quelque soit le lieu. Ils sont occupants sans titre et ils ne peuvent être expulsés que par voie judiciaire. »
Une procédure encore plus difficile à mettre en œuvre depuis le 1er novembre et l’entrée en vigueur de la trêve hivernale qui suspend les expulsions de logement jusqu’au 31 mars.
Devant la grille qui délimite la propriété, l’ancien candidat du NPA à la présidentielle, Philippe Poutou, discute avec les membres du comité de soutien, sous le regard des agents de police.
« Il faut encourager les réquisitions solidaires. Aujourd’hui, il y a des possibilités de relogement en s’appropriant les locaux vacants de la métropole. Les maires ont des possibilités mais ne les exploitent pas, regrette-t-il. C’est navrant de voir qu’il faille les mettre au pied du mur pour que quelque chose se passe, mais c’est comme ça, il y a ceux qui parlent et ceux qui agissent. »
« Compliqué pour la ville »
Dans la cour de la résidence Paul-Ramadier, Arminé est venue accompagner ses parents, qui ont laissés derrière eux leur Russie natale pour fuir la persécution politique. Logée par l’OFII (office français de l’immigration et de l’intégration) dans une chambre d’hôtel de la périphérie, elle se mord les doigts de ne pouvoir les accueillir. Son père Sorgis, atteint de la maladie de Parkinson, et sa mère vivent dehors, alternant les séjours de courtes durées au 115 sans pouvoir trouver de solution pérenne.
Comment vont désormais réagir les pouvoirs publics ? Une fois arrivé sur les lieux, le maire de la ville, Jean-François Egron ne peut que constater l’occupation :
« Je peux comprendre que ces gens vivent dans des conditions difficiles mais je vais tout de même rentrer en contact avec le propriétaire des lieux et la préfète. Si on s’en tient à 40 familles, ça sera compliqué que la ville s’en occupe seule », affirme-t-il.
Situé au cœur du centre commercial à l’allure défraichie de la Morlette, l’ancien foyer pour personnes âgées est aujourd’hui propriété du bailleur social Logévie. Cette société devrait bientôt déposer un permis de démolir sur la zone afin de bâtir de nouveaux logements. Mais cette situation ne décourage pas les occupants des lieux. Il y a un déjà, la Zone du dehors était elle aussi menacée par un projet immobilier ; elle résistera finalement près de 10 mois avant que ses occupants soient expulsés.
« Les associations seront là au maximum pour permettre à ces gens d’avoir des conditions de vie dignes », concluent les membres du comité de soutien.
Chargement des commentaires…