Fin novembre 2019, le 115 reçoit entre 250 et 300 appels par jour. Mais comme le révèle alors Rue89 Bordeaux, la plateforme téléphonique ne peut attribuer que 5 à 20 places d’hébergement d’urgence dans des centres et foyers affichant déjà complets.
Une polémique surgit alors entre Alexandra Siarri, adjointe à la mairie de Bordeaux, déplorant le nombre de refus par le 115 – plus de 200 dans la nuit du 19 au 20 novembre -, et la préfecture de la Gironde. Celle-ci indique que sur 1625 places d’hébergement d’urgence ouvertes, une centaine restait disponible la même nuit.
Depuis la fin de l’automne, les chiffres du 115 n’ont pas bougé, et le débat opposant les collectivités locales à l’État reste entier ; les premières reprochent au second de ne pas assumer toutes ses obligations dans l’accueil d’urgence des sans-abri, et dans l’hébergement pérenne des demandeurs d’asile – moins d’un sur deux en bénéficie en Gironde.
Une fière épine du pied
La tension a atteint un sommet l’été dernier, lors de la vague d’expulsion de squats. Bien connue depuis le démantèlement de la « jungle de Calais », en 2015, Fabienne Buccio, fraîchement nommée préfète de la Gironde, martelait sa volonté d’en « démanteler le plus (grand nombre) possible ». Résultat : des centaines de nouvelles personnes à la rue en pleine canicule, et des élus locaux désemparés.
Car les militants à l’origine de ces ouvertures de bâtiments tirent une belle épine du pied des mairies, en sortant des centaines de personnes de la rue. Au printemps dernier, on recensait 150 squats en Gironde (dont 90% à Bordeaux) accueillant 1500 personnes. Aujourd’hui, Médecins du monde estime à un millier les occupants des squats de la métropole, et à plus de 2000 tous ceux des habitats illégaux (bidonvilles, tentes…)
Leurs démantèlements ne font que déplacer le problème, estiment les associations qui les suivent : après l’évacuation du campement de Bordeaux Lac, où vivaient notamment des réfugiés syriens, certaines des personnes évacuées ont trouvé refuge à la Zone libre, un nouveau squat dans une ancienne maison de retraite à Cenon, à la limite de Bordeaux.
Pour un accueil digne
Si les maires de l’agglomération renvoient l’Etat à ses responsabilités, ils ne restent pas les bras croisés. La métropole vient notamment de mettre sur pied une Mission Squat, chargée d’évaluer les besoins de leurs occupants (hébergement, scolarisation des enfants…), et d’appuyer leurs démarches d’insertion. Trois communes – Bordeaux, Bègles et Mérignac – sont également candidates à l’accueil d’espaces temporaires d’insertion (ETI), inspirés d’une expérience conduite à Strasbourg auprès de familles Roms.
Mais des associations et collectifs leur demandent d’aller plus loin. Réunis sous la bannière des Etats généraux des migrations, 21 d’entre eux (Médecins du monde, La Cimade, RESF…) interpellent en Gironde les candidats aux municipales pour qu’ils s’engagent à prendre des mesures concrètes « pour assurer un accueil digne à toute personne précaire ou en situation d’exil ou de migration ».
Elles leur soumettent 33 propositions, du respect de l’engagement pris par le Président de la République (« personne à la rue, français ou étranger ») à une carte municipale de résident favorisant l’accès aux services municipaux, en passant par la « réquisition à l’amiable des logements vacants », afin de permettre l’occupation temporaires de biens en accord avec leurs propriétaires.
Propositions au scanner
Cette mesure rejoint en partie les idées avancées par quelques candidats à la mairie de Bordeaux, qui promettent de lutter contre la vacance du parc de logements. Cela va de la réquisition pure et simple défendue notamment par Philippe Poutou (NPA) à l’accompagnement des propriétaires vers la mise en location défendue par Thomas Cazenave (République en marche). « Mobiliser les trop nombreux logements vacants » (11000 à Bordeaux) serait aussi l’une des missions du « service public de l’habitat solidaire » voulu par Pierre Hurmic (EELV).
Les candidats proposent aussi des dispositifs spécifiques « aux plus vulnérables », selon les termes de Nicolas Florian, le maire sortant (Les Républicains) : il suggère d’ « installer de nouveaux lieux d’accueil d’urgence comme les pensions de famille dans chaque quartier », de « développer le réseau des lieux de cuisine et de restauration pour les sans domicile fixe » ou « des lieux d’hygiène » (bien que la municipalité ait fermé le dernier bains douches public).
Enfin, la liste Bordeaux Respire ! de Pierre Hurmic entend créer un foyer pour les femmes sans abris, tandis que Renouveau Bordeaux de Thomas Cazenave suggère de « tripler le nombre d’hébergements d’urgence pour les femmes victimes de violences, qui doivent quitter leur domicile ».
L’Assemblée locale des Etats généraux des migrations examinera avant le premier tour toutes les propositions des candidats dans le département.
Strasbourg, les limites de la « ville hospitalière »
À Strasbourg, 835 personnes ont appelé le 115 lors de la semaine du 9 au 15 décembre 2019. Moins de 250 se sont vu proposer une solution. En dépit de l’augmentation régulière de places par la Préfecture, 9 000 dans le Bas-Rhin, les estimations du nombre de personnes sans toit augmentent.
Le mandat a été marqué par la formation récurrente de camps de sans-abris sous tentes. Jusqu’à 200 personnes s’y trouvaient, jusqu’à une évacuation quelques semaines plus tard vers un gymnase pour une orientation vers les structures appropriées, parfois dans d’autres départements.
Carrefour d’immigration, Strasbourg est un point d’arrivée pour les demandeurs d’asile, notamment ceux venus d’Europe de l’Est : 3,7% des demandes françaises y sont enregistrées sur ce territoire qui représente 1,7% de la population. Le nombre de demandes, environ 4000 par an, a augmenté de 30% depuis 2014.
27 morts dans la rue
Le maire Roland Ries (PS tendance LREM) a notamment invoqué « l’humanisme rhénan » de la Renaissance pour intervenir. Principale mesure du mandat, l’ouverture de 100 places en appartements, décidée en quelques mois pour 500 000 euros par an, accompagnement social inclus. À cela, s’ajoutent deux structures municipales plus anciennes, de 115 lits chacune. Autre réalisation, celle d’un centre d’hébergement provisoire dans le cadre d’une reconversion immobilière. En 2019, la Ville de Strasbourg a dépensé 3,2 millions d’euros dans le domaine de l’aide aux plus démunis.
D’autres mesures sont moins imposantes, mais plus ciblées : 10 lits à la « salle de shoot » à l’hôpital, un accueil de jour pour les familles, l’ouverture d’une plateforme avec un intermédiaire pour rassurer des propriétaires privés.
Il n’empêche, « l’humanisme » et la « ville hospitalière » ont aussi leurs ses limites. Strasbourg a beaucoup construit depuis 2010, plus de 3000 logements par an, mais le nombre de personnes à la rue augmente. Strasbourg n’échappe pas au mobilier anti-SDF et aux grillages après l’évacuation de camps. Fin 2019, l’association Grain de Sables dénombrait 27 morts dans la rue. L’un d’eux est un réfugié Afghan de 21 ans qui s’est pendu dans le parc, où il vivait sous tente au bord de l’autoroute. Son cas a créée un électrochoc parmi les associations de solidarité.
Face à la saturation des dispositifs, les actions militantes prennent le relais. Deux grands squats hébergent 500 personnes depuis l’été, l’un dans des bureaux inutilisés en première couronne, l’autre dans un bâtiment public inutilisé d’un faubourg de la ville. Ce dernier, « l’Hotel de la Rue » et ses 250 habitants fait l’objet d’un recours par la municipalité pour « occupation illicite » par la municipalité, sans qu’une alternative n’émerge en cas d’évacuation. Davantage au rang des symboles, un « arrêté anti-mendicité » sur trois places, à la demande de riverains et commerçants du centre-ville, a fracturé la majorité en 2019, qui allait de LREM aux écologistes.
A Lyon, des milliers de personnes à la porte de l’hébergement d’urgence
Des milliers de personnes restent à la porte de l’hébergement d’urgence à Lyon. Entre le 18 et le 24 novembre 2019, 2 619 personnes ont appelé le 115 et ne trouvaient pas de places d’hébergement – sur 3170 demandes soit 17% seulement de demandes pourvues.
Dans la métropole de Lyon, le nombre de places d’hébergement a pourtant quasiment doublé entre 2014 et 2019, pour atteindre 5 983 lits dans le dispositif pérenne.
Conséquence, de plus en plus de SDF n’ont plus recours au 115. Selon une enquête réalisée en mars 2019 par la Mission régionale d’information sur l’exclusion (MRIE) et publiée en décembre dernier, près d’une personne sur deux n’appelle plus le 115 ou ne l’a jamais appelé.
Des enfants SDF
Depuis vingt ans, l’agglomération lyonnaise connaît des squats et des campements de migrants.
Mais la population a changé. Notamment à la suite de la mise en place de programmes d’insertion en direction des Roumains – Andatu puis I2E – le nombre des bidonvilles de Roms a diminué.
Durant ce mandat 2014-2020, ce sont les campements de migrants albanais qui se sont développés. Ces personnes sont régulièrement expulsées sans que des solutions pérennes soient apportées.
Ces six dernières années, c’est surtout le sort des enfants sans-abri qui a agité Lyon.
En 2014, au moment de la création du collectif de parents d’élèves et d’enseignants « Jamais sans toit », les militants dénombraient 194 élèves SDF. En novembre 2019, ce même collectif en annonçait encore 160.
Depuis 2014, les écoles sont régulièrement occupées pour mettre les enfants à l’abri et faire pression sur les autorités.
En réponse, Gérard Collomb a envoyé la police municipale dans les écoles, comme à la Guillotière. Puis il est parti au ministère de l’Intérieur. Son remplaçant, Georges Képénékian, a d’abord continué la même pratique avant de se raviser.
Revenu à la mairie, Gérard Collomb s’est bien gardé d’envoyer la police alors que, cet hiver, les occupations continuent.
« plan d’urgence d’accueil et d’intégration »
Héritage du Département du Rhône, la protection de l’enfance est une des compétences de la Métropole de Lyon. Or pendant de longs mois, plusieurs dizaines de jeunes migrants ont dormi dans la rue alors qu’il était de la responsabilité de la Métropole de les mettre à l’abri. L’exécutif nouvellement dirigé par David Kimelfeld allant même jusqu’à les chasser d’un de leur refuge, aux abords de la gare Part-Dieu, sans les reloger.
Plusieurs squats ont été ouverts pour les héberger dont l’ancien collège Maurice Scève à la Croix-Rousse (propriété de la Métropole de Lyon).
Pour faire face à l’augmentation de ces arrivés de mineurs isolés (1722 nouvelles arrivées en 2018 contre 483 en 2017), la Métropole de Lyon a lancé un « plan d’urgence d’accueil et d’intégration » en octobre 2018. L’objectif était de trouver des solutions au dispositif d’accompagnement de ces mineurs non accompagnés (MNA), complètement saturé.
Au 31 décembre 2019, la Métropole a pris en charge 1088 mineurs et 660 jeunes majeurs. Des chiffres stables par rapport à 2018. L’exécutif de la Métropole affirme aujourd’hui que plus aucun mineur isolé dort dehors ou en squat. Un chiffre contesté par certaines associations.
La tendance est à l’hébergement transitoire
La Fondation Abbé Pierre a fait signer une tribune pour engager les futurs candidats à respecter la « Déclaration des droits des personnes sans-abri ». A Lyon, on retrouve les candidats socialistes, écologistes et David Kimelfeld.
Cette tribune dénonce également la prolifération des dispositifs anti-SDF, la disparition des bains-douches et la fermeture des fontaines. Autant de points qui concernent directement Lyon :
– Le développement du mobilier urbain anti-SDF;
– la fermeture des bains-douches des Pentes de La Croix-Rousse en février 2016;
– Début août 2016, la fermeture de deux fontaines publiques d’un jardin du 1er arrondissement.
Aujourd’hui, la tendance est à l’hébergement transitoire ou intercalaire. C’est notamment ce qu’expérimente la Métropole de Lyon depuis cet hiver en mettant à disposition un ancien collège à Caluire pour accueillir des femmes avec enfant.
Cet hébergements transitoire est une solution adoptée ailleurs en France, notamment à Strasbourg et, surtout, à Toulouse. Un modèle dont la Métropole de Lyon version Kimelfeld souhaite s’est inspiré.
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