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Municipales : le béton a envahi la campagne électorale à Mérignac

Batailles de visions, de chiffres. L’urbanisme est LE sujet qui fait débat à Mérignac, deuxième ville de Gironde où la présence de huit liste rend le scrutin des municipales très incertain. La plupart des candidats attaquent le maire socialiste sortant sur un le rythme de construction « effréné » qui aurait frappé la ville sous sa mandature. Alain Anziani dénonce les « mensonges » de ses adversaires, affirmant qu’il a été l’un des premiers élus de la métropole à mettre le holà aux appétits des promoteurs. Reportage fact-checking.

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Municipales : le béton a envahi la campagne électorale à Mérignac

« Je peux être battu sur la question de l’urbanisme ».

La phrase est signée du maire sortant (PS) Alain Anziani. L’homme, 68 ans, brigue un deuxième mandat à la tête de Mérignac, deuxième plus grande ville de Gironde, avec plus de 70 000 habitants. 

Alors, vraie inquiétude ou simple stratégie politicienne ? Une chose est sûre : l’urbanisme, et plus largement la question du logement, fait causer, divise, entre critiques appuyées et batailles de chiffres, ici comme dans plusieurs villes de Bordeaux Métropole. “Et quelle que soit l’étiquette politique du maire en place”, précise Jean Petaux, politologue à Sciences Po Bordeaux :

“Cette critique partagée s’inscrit dans le rejet du Bordeaux millionnaire [l’ambition partagée par Alain Juppé et Vincent Feltesse de faire passer l’agglomération bordelaise à un million d’habitants en 2030, NDLR] qui est aujourd’hui complètement rangé dans les tiroirs”.

« On fait et ensuite on résout les problèmes et non l’inverse »

A Mérignac, en se baladant dans différents quartiers, la question d’un urbanisme galopant revient souvent sur la table. Danielle, en train de siroter un grog, dans un bar du centre-ville :

 “Ça a bétonné à mort. Derrière, il y a un manque d’infrastructures et de places de stationnement. L’avenue Aristide-Briand, par exemple, est touchée par un stationnement sauvage.”

Elle résume :

“On fait et ensuite on résout les problèmes et non l’inverse.” 

A ses côtés, Catherine vit dans le quartier de Capeyron. Si elle apprécie le lieu, la place Jean-Jaurès notamment, avec ses “petits commerces, ses gens jouant à la pétanque”, tout n’est pas tout rose.

“Mérignac souffre d’un manque d’harmonisation en matière architecturale, contrairement à Pessac, qui dispose de très jolis quartiers.”

Au cœur du centre commercial Yser, un gérant de presse, à la voix qui porte haut, lance, en sortant dehors :

Sur le parking du centre commercial Yser (DR/Rue89Bordeaux)

“On ne voit que des grues !” 

En ce moment, à l’instar d’autres commerçants, les finances ne sont pas au beau fixe. Motif ? Le parking privé, réservé à leur clientèle, serait pris d’assaut par les nouveaux habitants du coin, suite à la réhabilitation du quartier.

“Il y a des parkings souterrains, mais il faut payer. Le parking, ici, est gratuit. Du coup, on perd des clients. C’est une véritable galère. J’ai dû perdre entre 15 et 20 % de mon chiffre d’affaires en un an.”

Le boucher, en face, livre le même message : “Ce matin encore, deux clients n’ont pas pu se garer. Le parking, c’est important pour le commerce.”

L’an dernier, l’Arpram, l’association des habitants du quartier nord de Capeyron (environ 200 foyers adhérents), a adressé une lettre au maire :

« L’objectif, ce n’était pas de nous en prendre au maire ou à sa politique, mais de le sensibiliser à cette problématique, avait déclaré Loïc Geslin, le président de l’association, en juin 2019, dans les colonnes de Sud Ouest. Les promoteurs se pensent en terrain conquis (…) Leur unique obsession est de construire toujours plus, pour gagner un maximum d’argent. »

Contacté par Rue89Bordeaux, le président rappelle d’emblée que l’association est « neutre sur le plan politique ». Selon lui, un autre problème émerge depuis peu: celui des marchands de biens. « Ils construisent au moins cher possible dans les quartiers nord de Capeyron en ne se préoccupant pas de ce qui se passe autour. Ils veulent simplement faire du fric. »

Après avoir longtemps hésité – il a été condamné en 2015 pour abus de biens sociaux dans une entreprise qu’il dirigeait, jugement partiellement invalidé en cour de cassation -, Thierry Millet (DVD) repart pour une nouvelle campagne. L’urbanisme, c’est un peu le cheval de bataille pour celui qui siège dans l’opposition au conseil municipal depuis quatre mandats. L’homme distribue les cartons rouges au maire sortant :

“M. Anziani est responsable d’une urbanisation débridée, excessive, et ne l’assume pas. Il met tout sur le dos de la métropole, du PLU. C’est évident qu’il a laissé les clefs de la ville aux promoteurs immobiliers.” 

« Une énorme spéculation foncière« 

Sylvie Cassou-Schotte, présidente du groupe écologiste à la Métropole et adjointe municipale (EELV), a fait partie de la majorité plurielle durant deux mandats. Et elle « assume parfaitement » – « Nous avons pu négocier des projets » des promoteurs.

Ancrée dans la commune depuis plus de 35 ans, celle qui mène une liste 100 % écologiste, adresse cependant les bons et les mauvais points. 

“La ville présente des atouts avec 55 000 emplois, des ressources. On peut être fier d’avoir une économie très saine.” 

Revers de la médaille, Mérignac serait, à l’écouter, confrontée aux « limites d’un culte de croissance effrénée », avec à la fois une « énorme spéculation foncière, tout comme au sein de la métropole », et un “harcèlement des promoteurs immobiliers sur des propriétaires.”

Elle enfonce le clou :

“Mérignac est l’une des villes où les promoteurs réalisent le plus de rendement financier dans l’achat d’un bien ou d’un terrain. On les a laissés faire ce qu’ils voulaient.”

Nous avons tenté de joindre le groupe Pichet, bien implanté dans la ville. “Le groupe ne pourra pas répondre à vos sollicitations”, nous a-t-on simplement répondu.

« Les élus doivent être aussi bons que les promoteurs »

Bruno Sorin, 59 ans, dirigeant d’une société de conseil, a été investi par La République En Marche (LREM). “Je n’ai jamais fait de politique”, précise-t-il à Rue89Bordeaux. En début d’année, l’homme a adressé une carte de “meilleurs vœux de ville bétonnée”. 

“Les immeubles ont poussé comme des champignons. Le maire a fait n’importe quoi en matière d’immobilier. Anziani doit assumer son bilan. Chez lui, tout ce qui est mal fait n’est pas de sa faute.”

Il poursuit :

“Les promoteurs savent utiliser les lois. Les élus doivent être aussi bons qu’eux. Je veux redonner de l’âme aux dix quartiers de la ville, les redynamiser en réinstallant des places de village en concertation avec les habitants. Je ne ferais peut-être qu’un seul mandat, mais je freinerai toute cette frénésie immobilière. Je veux un grand stop au bétonnage” conclut-il en visant en particulier le projet Marne-Soleil.

Même topo pour Hervé Caramona, candidat du Rassemblement National (RN). A 50 ans, ce pompier bordelais espère atteindre le second tour. Outre la question de la sécurité, il dénonce un “urbanisme excessif” sur les ondes France Bleu, le 11 mars.

“Je souhaite ralentir l’urbanisme, arrêter les constructions au-delà de deux étages, voir en concertation avec les habitants ce qui est réalisable. La ville de Mérignac nous dit qu’il y a un besoin de constructions. Il faut voir si elles sont vouées à être habitées par les acquéreurs ou s’il s’agit d’opérations de défiscalisation pour être louées par la suite.”

Alain Anziani, une casquette de bétonneur ? 

« Les candidats sont obligés de critiquer le bilan du maire sortant, lâche Alain Anziani à Rue89 Bordeaux. En face de moi, j’ai sept adversaires »,.

Alain Anziani brigue un second mandat (Flickr/CC)

Alain Anziani justifie de concentrer les constructions de logements, notamment sociaux, dont la population à besoin, dans certaines zones d’aménagement concertée, a fortiori celles déjà urbanisées comme Mérignac-Soleil, où seront même créés des espaces verts. A un internaute qui lui indique sur sa page facebook qu’il ne votera pas pour lui à cause de la création de 3900 logements dans une zone où le trafic automobile est saturé, il répond :

« Aimez vous ce passage de bitume et d’enseignes sans espaces verts ni équipements de l’actuel Marne-Soleil ? Je préfère installer de la nature (sic), 10 000 arbres, deux parcs, un groupe scolaire et il est vrai des logements, là où l’habitant se verra proposer un tram plutôt que sa voiture. »

Il refuse clairement de porter la casquette de “maire bétonneur” :

“Oui, nous avons trop construit, mais parce que le plan local d’urbanisme (PLU) métropolitain était trop lâche. J’ai été le premier à Bordeaux Métropole à faire état d’un ras-le-bol de l’urbanisation. Très tôt, j’ai perçu que la population mérignacaise – comme dans toutes les villes de la métropole –  souhaitait une qualité de vie. Il faut du logement, mais pas n’importe comment.« 

Sur ces nombreuses critiques émises sur une soi-disant urbanisation galopante, le maire se défend :

“J’ai été l’un de ceux qui ont le plus poussé pour la révision du PLU [la révision du PLU, le PLU 3.1., a été approuvée par délibération du Conseil de la Métropole le 16 décembre 2016 avant d’entrer en vigueur le 24 février 2017, NDLR]. Depuis, je peux refuser des permis de construire qui m’auraient été imposés auparavant. Plus de la moitié des permis ont fait l’objet d’un refus. On a pris un sacré tournant ».

Refus de permis

En fait, la ville a accordé 970 permis de construire en 2017 et en a refusé 1 600. En 2018, le rapport est de 1 392 logements accordés contre 1839 refusés. Alain Anziani veut aller plus loin :

“Il faudrait une révision globale du PLU ces prochaines années. Certaines règles ne me conviennent pas. Celui-ci ne doit pas être seulement un instrument de construction et de logement. Il doit également être un instrument de paysage urbain.”

L’ancien sénateur rappelle également le vote d’une charte de l’urbanisme et de la qualité de vie, votée en juin 2018, et élaborée par la mairie à destination des opérateurs immobiliers. “J’en referai une autre lors du prochain mandat”, confie-t-il à Rue89Bordeaux. Une charte qui, rappelons-le, n’a juridiquement pas de valeur opposable, c’est-à-dire qu’elle ne contraint pas les opérateurs.

Enfin,  Alain Anziani cite, comme un pare-feu, le courrier adressé en octobre 2018 par Arnaud Roussel-Prouvost, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de Nouvelle-Aquitaine, au préfet de la Gironde. Un courrier dans lequel le président dénonçait les dangers de la politique anti-construction de nombreux maires métropolitains.  

“Les promoteurs se sont plaints de moi”

Contacté par Rue89Bordeaux, le président de la FPI “n’entend pas réagir à quelques jours du scrutin municipal. La fédération, associée à l’interprofession de la construction de la ville, a pu interpeller les candidats aux élections dans le cadre d’une conférence de presse.” 

La population va-t-elle exploser ?

Selon l’INSEE, la population de Mérignac n’a augmenté que de 1 % entre 2012 et 2017, contre une moyenne nationale de 0,4 %. Mais Thierry Millet est alarmiste :

“5321 permis de construire ont été accordés entre 2014 et 2018. La requalification de l’avenue de la Marne, c’est 1 000 logements en plus. Mérignac-Soleil, c’est 2 800 logements. A raison de deux occupants par logement, la croissance de la population est inquiétante. A ce rythme, Mérignac dépassera le seuil des 90 000 habitants prochainement.” 

L’adjoint au maire et président de la commission Transport de Bordeaux Métropole, Gérard Chausset, anciennement chez EELV et LREM, évoque le chiffre de “75 000 habitants d’ici une dizaine d’années. Ce sera tout. On a besoin d’une pause, d’une réflexion. On a aussi besoin de rassurer les gens”.

Il rappelle :

“Pour gagner un habitat à Mérignac, il faut construire au moins 200 logements. En dessous, on ne gagne aucun habitant avec les divorces, les séparations et le turn-over.”

Celui qui se trouve sur la liste du sortant socialiste Alain Anziani, est clair:

l’urbanisme, c’est un cache-sexe pour certains candidats n’ayant pas d’idées. Personne ne dit rien sur sa gestion alors que Mérignac est une ville bien gérée, très peu endettée, attractive comme Bordeaux, avec une concentration d’emplois. Il faudra en revanche à l’avenir, un rééquilibrage territorial à l’échelle du département, voire de la région. On n’a pas fait attention au phénomène de métropolisation. On s’est un peu emballé là-dessus.”

Car derrière les logements se pose la question des infrastructures qui, pour Thierry Millet « ne suivent pas l’évolution du nombre d’habitants ». Il déplore un “manque d’anticipation”. Marie Duret-Pujol, à la tête d’une liste citoyenne soutenue par la France insoumise, évoque un manque de pistes cyclables et de places dans les écoles :

“Cette année, 230 élèves sont arrivés en cours d’année, pour seulement 70 qui sont partis. Ce qui constitue une augmentation d’un élève par classe, d’où des classes saturées. A la rentrée prochaine, 290 nouveaux élèves (maternelles et primaires) sont attendus. Seulement cinq ouvertures de classe ont été demandées en primaire et cinq en maternelle. Enfin, d’ici 2024, nous arriverons à plus de 700 élèves. Ces chiffres, donnés par la mairie, montrent le manque d’infrastructures, et donc la nécessité d’investir dès maintenant pour accueillir ces enfants.”

Réponse d’Alain Anziani, sur France Bleu, le 12 mars : 

“On a un schéma directeur. On va créer vingt-huit classes d’ici à 2030. On prévoit les besoins qui sont nécessaires.”

“Il y a un vrai besoin en matière de logements sociaux”

Au-delà de la question du manque – ou non – d’infrastructures, la candidate EELV Sylvie Cassou-Schotte pointe un autre problème. 

“J’entends répondre aux besoins de logement, notamment en matière de logements sociaux. Mérignac compte 8 183 logements conventionnés, dont 6 290 logements sociaux, soit 23,6 % de son parc, ce qui est inférieur aux 25 % exigé par la loi SRU (Solidarité et de renouvellement urbain). Je rappelle qu’il y a eu 4 062 demandes de logements sociaux en 2018. Il y a un vrai besoin. 11 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.”  

Ce que confirme Guillaume Perchet, le candidat de Lutte Ouvrière (LO) auprès de Rue89Bordeaux. “Il manque des logements sociaux.” Et dénonce, au passage, une “hausse vertigineuse des loyers”.  En effet, lorsque la progression des prix est vive comme sur Bordeaux, la pression de la demande se diffuse sur les communes environnantes (Mérignac, Pessac…) et y tire les prix vers le haut.

Pour cet habitant de Mérignac depuis plus de vingt ans, “la réhabilitation des logements, par exemple aux Ardillos au sein de la résidence des Fleurs, s’est traduite par une hausse des loyers”. Le son de cloche est similaire du côté de Philippe Minvielle, tête de liste au NPA, qui veut imposer un encadrement des loyers.

Une résidence en cours de construction.(DR/Rue89Bordeaux).

Nous avons tenté de joindre plusieurs professionnels de l’immobilier. Céline Précigout est négociatrice pour l’agence Mérignac Centre de Cabinet Bedin Immobilier. 

Les prix du marché ont augmenté ces dernières années. Il y a une surcroît de demandes à Mérignac comme dans les environs avec l’arrivée de la LGV. Il y aussi aussi le fait que Bordeaux ait été mis dans la lumière ces dernières années. »

Selon le site Notaires de France, le prix médian de vente de maisons a augmenté de 20,8% sur ces cinq dernières années. Pour les appartements, le prix médian de vente est de 2 940 euros au mètre carré. Celui-ci a connu une hausse de 30% en cinq ans.

Un climat « exécrable, virulent »

Ce dimanche, huit listes seront sur la ligne de départ, contre six en 2014. Dans une campagne où le climat serait “exécrable”, “virulent, avec beaucoup de mensonges, notamment sur l’urbanisme”, comme le déplore le maire sortant, beaucoup imaginent un second tour à quatre listes, voire cinq. Tout dépendra des scores et des alliances entre les deux tours. Une rumeur insistante spécule sur un rapprochement des listes des anciens alliés Alain Anziani et Sylvie Cassou-Schotte (EELV) au second tour. 

“La fusion est naturelle entre des sensibilités qui travaillent ensemble depuis 19 ans au conseil municipal. Nos ambitions écologiques sont similaires. Mais rien ne sera acté avant de connaître le choix des électeurs au premier tour”, commente le maire sortant à Rue89Bordeaux.

Réponse de la candidate écologiste : 

“Je ne m’inscris pas dans une recherche d’alliance pour “garder le pouvoir”, mais bien dans la garantie qui m’anime dans cette campagne de faire vivre un projet écologiste et social pour Mérignac.”


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