Avant de quitter Hahei pour prendre l’avion qui les ramène au bercail, Louise, Henri et leur fils de 9 ans descendent pour un dernier tour sur la plage de Te Whanganui-A-Hei, font un dernier plongeon dans les eaux turquoises de la Cathedral Cove, et écrivent sur la plage de sable en grand : « Thanks Merci NZL. »
La famille bordelaise, contrairement à beaucoup de Français restés coincés à l’étranger pour cause de crise sanitaire mondiale, de fermeture de frontières et de « lockdown » (confinement en anglais)… regagne la France le cœur serré et des souvenirs plein la tête du pays au long nuage blanc, la Nouvelle Zélande. Bien sûr, tout ne s’est pas passé comme prévu, une aubaine !
Plutôt hémisphère sud
Fin de l’année scolaire 2019, les deux enseignants d’un lycée bordelais décident de prendre un congé formation de six mois pour l’année suivante. Leur envie réciproque est de « s’améliorer en langue anglaise dans le but d’enseigner dans des classes internationales » :
« On ne voulait pas seulement mieux parler l’anglais, explique Henri. On voulait savoir parler en anglais d’histoire, de géographie, d’économie… à un niveau Sciences Po. On aurait pu aller dans des pays de l’hémisphère nord : Angleterre, Irlande… Mais sur cette même période, il y avait d’un côté l’hiver et d’un autre côté l’été dans l’hémisphère sud. On a choisi la Nouvelle Zélande. »
La suite se passe de la manière la plus ordinaire. La maison bordelaise est louée pour supporter le coût du séjour à l’étranger, les cours de CM1 sont prévus à domicile avec en parallèle une inscription dans une école à Auckland, un appartement en location à Onehunga, quartier populaire au sud de la ville.
Le couple suit quelques conseils d’amis du pays et se repose sur un contact : l’ancienne tenancière néozélandaise d’un bar bordelais, The Down Under. Il s’installe rapidement dans ce pays d’Océanie où il espère retrouver le rugby et le vin : « la France à l’autre bout du monde ! »
« Quand tu te retrouves dans notre cas, la sociabilisation se fait de deux manières, abonde Henri. On s’est investis dès le départ et de façon très forte dans l’association des parents d’élèves, fortement impliqués dans l’école. Et pendant le temps libre, on a fait du sport : footing, yoga, natation. Non seulement on s’est fait des amis, mais j’ai aussi laissé 8 kilos là bas ! »
Le flou sur le monde
Début mars, « le flou s’abat sur le monde » avance l’enseignant bordelais qui raconte les nombreuses incertitudes qui jalonneront les premiers jours de crise sanitaire.
« On n’a pas pris la mesure de la catastrophe parce qu’on ne pouvait pas tout bien comprendre. Le pays décide le confinement mais les vols étaient affichés et prévus. On a contacté un voyagiste qui nous a même vendu les billets pour la France. Normal ! On a juste décidé de laisser tomber notre semaine au Japon pour rentrer directement. Sans plus. »
Ce sera la seule tâche noire de l’aventure chez les All Blacks : ce voyagiste peu scrupuleux encaisse leurs 2000€ et fait balader ses clients, rejetant la responsabilité sur la compagnie aérienne. Côté ambassade de France, « on nous a dit de nous débrouiller par nous-mêmes ». Les Bordelais comprennent vite qu’ils ne pourront être de retour à la date espérée et qu’ils doivent gérer la suite.
La première bonne nouvelle vient du gouvernement local, « exemplaire » : « prolongation de l’ensemble des visas jusqu’à fin septembre ». Ensuite, leur bail arrivant à terme, la famille doit quitter son appartement d’Auckland, ce qui pose quelques problèmes financier, explique Henri :
« Il y a un vrai problème de logement dans cette ville (de 1,6 million d’habitants, NDLR), où les locations sont chères. Et au même moment le locataire de notre maison à Bordeaux devait partir ! On ne voulait pas vraiment rester dans cet appartement de ville pour passer le confinement. »
Esprit Whānau
Inespéré, des parents d’élèves, confinés dans la capitale néozélandaise, proposent gracieusement à la famille bordelaise leur maison au bord de la mer. Cette dernière s’installe rapidement à Hahei, « dans le Coromandel », une région hautement touristique, mais déserte par ces temps de Covid-19.
« On est arrivé dans un village de 300 personnes, précise Henri. Tout le monde se connaît, alors notre arrivée a été forcément remarquée. Il y a eu tout d’abord un peu de suspicion en lien avec le coronavirus et cette maladie qui inquiétait le monde entier. Nous avons été interpellés par une dame âgée et on lui a dit que nous étions dans le pays depuis octobre. Ce qui l’a rassurée et tout le village a été ensuite au courant. »
La suite se déroule dans un esprit Whānau, (terme maori qui signifie famille élargie) :
« Tu te rends vite compte que la culture locale est pétrie de références maories. La faible densité du pays et la culture rurale provoquent un communautarisme d’entraide. »
Ainsi, devant les portes des habitations, des denrées sont mises à disposition contre, pour qui le souhaite, un modeste paiement à glisser dans une boite à proximité. Les « feijoas » (fruit local), les poissons, et autres aliments se trouvent dans le village. La pêche aussi est abondante : « footing sur la plage, baignade, et pêche pour avoir le repas du jour ! »
Continuité pédagogique
Avec « cette générosité spontanée » et « une discipline naturelle » dans ces temps de crise, la famille bordelaise voit passer les jours au rythme des levers du soleil sur l’océan Pacifique. Un rendez-vous cependant les ramène quotidiennement à « la réalité d’ici », les cours en ligne :
« En principe, notre congé professionnel était terminé. Autrement dit, en avril, on devait reprendre le travail en France. Du coup, on a repris… mais en ligne et à l’autre bout du monde. On se levait à 2h du matin pour retrouver nos élèves. On avait la chance d’avoir un bon débit internet. Le président du groupe Vodaphone NZ (opérateur télécom, NDLR) avait une maison à côté ! »
On est évidement loin des récits de galère rapportés par de nombreux français bloqués à l’étranger. Pas d’attente interminable dans les aéroports, mais « des plages désertes, bondées de touristes habituellement ». Pas de défiances et crachats des autochtones, mais des « des rencontres et des nouvelles amitiés ». Pas de gymnases avec des touristes entassés dormant à même le sol, mais « coincé au paradis » !
Mais quand on demande si la famille est nostalgique de son confinement, la réponse est mesurée :
« On a quitté une France en colère, des manifestations, des blocages, de la casse… et on a débarqué dans un pays inconnu où l’entraide est spontanée et mise à l’épreuve par une crise mondiale. Tout n’est pas rose, certes. Il y a une forme non dite d’apartheid. Mais il faut remarquer et reconnaître la générosité quand elle est là. »
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