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Fermeture prolongée des lieux culturels : le milieu bordelais broie du noir

L’annonce du premier ministre Jean Castex de reporter l’ouverture des lieux culturels de trois semaines, ainsi que la mise en place d’un couvre-feu entre 20h et 6h du matin, a provoqué tristesse et déception chez les directeurs de salles et de musées, ainsi que chez les élus.

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Fermeture prolongée des lieux culturels : le milieu bordelais broie du noir

« Il y a quelques jours, en passant devant un cinéma du centre-ville, j’ai remarqué les affiches de films pâles et jaunies par le soleil. Ça illustre bien le monde dans lequel on vit avec une culture à l’arrêt depuis des mois », se désole Dimitri Boutleux.

Ce jeudi, l’adjoint au maire de Bordeaux en charge de la création et des expressions culturelles, ne cache pas son agacement à l’écoute des annonces du gouvernement qui fait finalement machine arrière et laisse tous les lieux culturels fermés au moins jusqu’au 7 janvier 2021, au plus tôt.

Première réaction que l’élu bordelais laisse échapper : « C’est une catastrophe. » Il convient que les annonces étaient prévisibles quand « le gouvernement espérait un seuil de 5000 cas de la covid-19 par jour pour déconfiner et qu’on en était encore très loin ».

« Même les arguments économiques n’auront pas sensibilisé le gouvernement, c’est étonnant. Nous n’habitons plus au pays de l’exception culturelle. Celles et ceux qui font la culture risquent de passer de la résilience à la résignation, avec toutes les conséquences que cela va avoir sur de nombreuses carrières. Nous allons devoir élaborer un plan de sortie de crise à la hauteur des besoins qui vont de fait s’accentuer », ajoute l’élu.

« Civisme sanitaire »

Dimitri Boutleux ne veut pas pour autant donner de précisions sur le plan de sortie de crise. « Nous allons y réfléchir » promet-il tout en citant le cas du ballet La Sylphide qui devait être présenté à partir du 15 décembre au Grand Théâtre de Bordeaux. Pour ce spectacle, l’adjoint dit « faire le maximum pour payer à tout le monde les 15 représentations prévues ».

Pas de Sylphide, donc, ni d’Affaire de la rue de Lourcine au théâtre du Pont Tournant, pas plus que de Drunk ou d’ADN à l’Utopia. « Douche froide » pour certains, comme les Amis de l’Utopia, « grande tristesse » pour d’autres, dont l’adjointe Harmonie Lecerf, les annonces du Premier ministre déçoivent. Alors que le maire de Bordeaux relativise :

« Au-delà des mesures prises, la mauvaise nouvelle c’est que nous n’arrivons pas encore à contenir l’épidémie », déclare Pierre Hurmic qui « appelle les Bordelais à poursuivre sans relâche leur effort de civisme sanitaire » et affirme que « la Ville de Bordeaux continuera à les aider à résister et à sortir de cette crise ».

« On ne fait pas partie des priorités »

« Ce n’est pas possible » lâche Sandra Patron à qui nous avons annoncé les nouvelles consignes. La directrice du CAPC évoque sa tristesse mais ne s’empêche pas de s’interroger sur « ce qu’on veut garder ouvert au public ou pas par temps de crise ».

« C’est la question du monde qu’on veut préserver. Pourquoi un musée comme le CAPC qui fait 6000 m2, et qui colle parfaitement à la logique des gestes barrières imposés par la crise sanitaire, doit fermer ? Je comprends que la situation soit complexe, mais avec de telles décisions, on a l’impression qu’on ne fait pas partie des priorités. »

Sandra Patron regrette « des mois de travail de toute l’équipe en suivant les consignes où tout le monde était à pied d’œuvres pour préparer les expositions ». La nouvelle directrice, qui devait lancer sa programmation en juin 2020 quand la crise sanitaire a stoppé net ses projets, se préparait alors à présenter le 15 décembre, jour de réouverture espérée du CAPC, sa première exposition : « Le Tour du jour en quatre-vingts mondes », « manifeste » de son projet artistique et culturel pour le musée bordelais.

« On va essayer d’avoir une présence en ligne déjà mieux développée depuis le deuxième confinement, ajoute-t-elle. Nous allons prévoir des visites virtuelles, des ateliers numériques et des web séries, mais on n’oublie pas qu’on est d’abord dans la relation, dans les échanges directs et la présence physique. »

« On vend du vent » de Haim Steinbach, dans l’exposition « Le Tour du jour en quatre-vingts mondes » au Capc (WS/Rue89 Bordeaux)

Pas optimiste

L’ « incompréhension » s’affiche également chez Sylvie Violan, directrice de la Scène nationale Carré-Colonnes :

« Pourquoi ne nous fait-on pas confiance pour accueillir du public ? C’est notre travail de garantir sa sécurité ainsi que celle des artistes et de nos équipes. Je me demande si le pouvoir n’a pas une idée du spectacle qui ne correspond pas du tout à la réalité. Alors que les gens peuvent aujourd’hui librement circuler dans les supermarchés, nos salles sont justement des espaces où il n’y a pas de circulation ! Les gens sont assis, séparés à un mètre les uns des autres, et on est prêts à réduire les jauges. Le théâtre contemporain et la danse peuvent se jouer dans un cadre intimiste. »

« Pas du tout optimiste », la responsable des deux théâtres de Saint-Médard-en-Jalles et Blanquefort, signataire en novembre d’une lettre ouverte au gouvernement, avait anticipé : la décision avait déjà été actée de ne reprendre les spectacles que mi-janvier, avec Les femmes savantes, mise en scène par Macha Makeïeff. « C’est à 20h30 le jeudi 14 et le vendredi 15 janvier, mais on se prépare à décaler au samedi en journée si le couvre-feu se poursuit », souligne Sylvie Violan.

D’ici là, la seule scène nationale en Gironde, qui a depuis sa labellisation quadruplé son budget de production, continue à présenter des pièces, à huis-clos et en streaming, ou pour les scolaires, avec 20 représentations de sept spectacles différents prévues jusqu’en mars pour des scolaires de la maternelle au lycée. Et ce « sans restriction, à part celle de ne pas mélanger les classes dans le public ». Sylvie Violan aimerait donc que les adultes puissent les imiter :

« Oui, on peut lire et regarder des films et des séries à la télé, mais chacun ressent ce besoin de créer du commun, d’être au même endroit avec d’autres gens, même à un mètre avec un masque, de vibrer ensemble, de rire (ou pas) et d’applaudir ensemble, de confronter son opinion à celle des autres. »

Faire confiance

Au Théâtre national Bordeaux Aquitaine, après une « réunion de crise » qui a suivi les annonces du gouvernement, Catherine Marnas a participé à une visio avec les directeurs des Centres dramatiques nationaux qui « ont tous pris un coup sur la tête ».

« Il y a un sentiment d’injustice, incompréhension et colère, rapporte la directrice. La situation est plus que compliquée. On monte les décors et on les démonte. On avertit le public : là on rouvre, là on s’adapte au couvre-feu, après on n’ouvre plus. Ce stop and go n’est plus tenable. […] On nous donne un nouvelle date de réouverture le 7 janvier, mais rien n’est sûr. Il faut qu’on fixe une date et qu’on s’y tienne. »

« Au pire », Catherine Marnas espère ouvrir le 20 janvier, après « ce sera difficile de maintenir les projets, de faire glisser le programme ou de reprogrammer ». En attendant, « on met nos forces là où on peut » :

« On va à fond dans le milieu scolaire avec des ateliers d’écriture, des bouts de spectacle. On continue aussi de répéter, de préparer de nouvelles créations avec nos artistes compagnons, comme Aurélie Van Den Daele qui travaille sur sa prochaine mise en scène… »

Entre compassion pour les compagnies indépendantes « qui ne peuvent montrer leurs créations » et aussi « les gens [qui] commencent à vraiment déprimer » comme le souligne Sylvie Violan, Dimitri Boutleux rappelle que le milieu culturel « a appris à vivre avec le virus » et qu’ « il est temps de lui faire confiance ».

« Il faut vraiment que ce soit la dernière annonce du genre. Moralement, tout le monde est fatigué. Les responsables des lieux culturels et leurs services viennent de passer neuf mois à tricoter et détricoter les programmes. J’étais admiratif devant le courage et la résilience de chacun. Cette fois-ci, tout le monde avait tellement envie que ça redémarre, les services comme les élus. C’est très dur. »


#crise sanitaire

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