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Pourquoi la mairie de Bordeaux refuse de débaptiser l’avenue Thiers

Ce vendredi 18 mars, le Collectif Louise Michel appelle à un rassemblement à la Bastide pour que soit débaptisée l’avenue Adolphe Thiers, du nom du « boucher » de la Commune de Paris, insurrection dont on célèbre le 151e anniversaire. Il milite pour une concertation, tandis que la mairie refuse de changer les noms de rues. Elle préfère miser sur des plaques pédagogiques pour les cas les plus problématiques, comme ceux des armateurs bordelais impliqués dans la traite négrière.  

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Pourquoi la mairie de Bordeaux refuse de débaptiser l’avenue Thiers

En 1877, le maire de Bordeaux donnait à l’avenue de Paris, entre le pont de pierre et Cenon, le nom d’Adolphe Thiers, « espérant sans doute que sa notoriété comme chef d’Etat pouvait effacer le parcours politique aussi sinistre que sinueux d’un homme ambitieux, autoritaire et surtout criminel ».

150 après la Commune de Paris réprimée dans le sang par celui qui dirigeait alors le gouvernement provisoire de la France à Versailles, des habitants de la Bastide demandaient en ces termes à Pierre Hurmic de faire machine arrière : dénommer l’avenue, mais aussi l’école et le gymnase éponymes situés dans le quartier. Pour, pourquoi pas, les rebaptiser – « Louise Michel, Flora Tristan, la Commune de Paris ou… » autre, suggèrent-ils. 

Après plusieurs actions menées l’an dernier, dont une pétition qui a réuni à ce jour près de 800 signatures, leur collectif, baptisé Louise Michel, appelle à un nouveau rassemblement au début de l’avenue Thiers, ce vendredi 18 mars, date anniversaire du début de l’insurrection parisienne.

« Massacreur de peuple »

Car après avoir écrit le 11 octobre 2021 au maire de Bordeaux et aux membres du conseil municipal, ce collectif s’est étonné le 15 mars sur Twitter de ne toujours pas avoir reçu de réponse officielle. L’interpellation a été notamment relayée par l’historienne Ludivine Bantigny, qui demande à Pierre Hurmic « comment une grande avenue de Bordeaux, une ville si soucieuse d’histoire, peut encore porter le nom d’un massacreur de peuple ».

« La Ville a toujours répondu aux sollicitations reçues sur cette question », réplique-t-on côté mairie, qui nous fait suivre un courrier signé de Stéphane Gomot, conseiller municipal délégué à la mémoire et au patrimoine, et adressé le 7 janvier dernier à deux des membres du collectif d’habitants – Bertrand Gilardeau et Emmanuelle Bourgeois, celle-ci affirmant ne jamais l’avoir reçu.

Inconnu à cette adresse

Dans cette lettre, l’élu salue leur « engagement et les actions menées pour un travail mémoriel ». Mais il leur fait surtout part du refus de Pierre Hurmic de débaptiser les voies et espaces publics bordelais :

« Au delà des préoccupations pratiques de changement d’adresse pour les riverains, la municipalité a choisi de faire œuvre de pédagogie en installant, sous le nom de certains hommes et certaines femmes, des explications. Ce travail sur les plaques explicatives a d’ores et déjà été engagé sur quelques voies (notamment sur celles rendant hommage à des armateurs ou des négociants bordelais qui ont été impliqués dans le commercer triangulaire et la traite négrière) et il se poursuivra. »

Y compris pour l’avenue Thiers, indique à Rue89 Bordeaux Stéphane Gomot. Dans son courrier, ce dernier signale néanmoins que « pour les équipements publics, et plus particulièrement pour les écoles », la municipalité « partage avec vous la nécessité d’une dénomination qui porte des valeurs positives, voire qui soit source de fierté pour les enfants ».

« Aussi la municipalité et la commission de viographie (NDLR : instance municipale en charge d’attribuer des noms aux voies et équipements de la Ville) étudieront favorablement toute demande émanant de l’ensemble de la communauté éducative pour le changement de dénomination de l’école Thiers. »

L’avenue Thiers au début du XXe siècle Photo : commons.wikimedia.org

Trois moitiés

Le conseiller municipal précise qu’à ce jour, « aucune demande » n’est parvenue à la mairie. Emmanuelle Bourgeois convient que le collectif pour renommer l’avenue Thiers n’est pas encore parvenue à nouer des contacts avec la direction de l’école, et ne s’est pas approchée de parents pour qu’ils soutiennent leur revendication.

Mais cette avocate rappelle que cette condition posée par la mairie, également en vigueur pour d’autres noms d’écoles contestés, comme Paul Bert, lui aussi épinglé dans le Guide du Bordeaux décolonial coécrit par l’association PourquoiPas33, soutien du collectif bastidien), « n’a pas de fondement juridique ».

Aussi, Emmanuelle Bourgeois invite la mairie à prendre les devants pour changer le nom de l’école, a fortiori dans le cas d’Adolphe Thiers. Le collectif souligne en effet que « en dehors de tout moralisme, le bonhomme serait accusé aujourd’hui de crimes pédophiles » – surnommé « président aux trois moitiés », il avait épousé la fille de sa maîtresse, âgée de 15 ans, et entretenu une liaison avec la cadette de celle-ci.

« Cancel culture » ?

Les habitants de la Bastide comptent donc poursuivre leur mobilisation pour informer la population sur l’histoire de ce chef d’État controversé, mais aussi sur des pans de l’histoire de France – les révolutions de 1848 et de la Commune -, qui tendent à disparaitre des manuels scolaires. Emmanuelle Bourgeois affirme qu’ils continueront à exiger une concertation pour renommer cette avenue :

« Si cela n’aboutit pas, car ce serait par exemple très embêtant pour les commerçants, et que c’est argumenté, on pourrait l’entendre. Mais il faudrait au moins qu’on puisse en discuter et réfléchir. C’est étonnant pour nous qu’une mairie de gauche ne remette pas en cause cette dénomination et refuse un débat démocratique. Et ce alors que même que d’autres mairies, comme Niort, ont entrepris de renommer des rues Thiers. »

Celle de Bordeaux redoute-t-elle le procès en « cancel culture » que les franges réacs ne manqueraient pas de lui faire ?

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