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30/04/2024 date de fin
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Trains de nuit : Bordeaux peut toujours rêver

Le collectif « Oui au train de nuit » prévoit une action ce dimanche à la gare Saint-Jean pour demander des liaisons Est-Ouest, notamment entre Bordeaux et Nice. Mais le gouvernement rechigne à investir, malgré le succès des lignes nocturne relancées, et un rapport préconisant la réouverture d’une vingtaine de liaisons. Alors qu’un Paris-Berlin va démarrer, la façade atlantique est aussi la grande oubliée des futures liaisons transfrontalières. La faute aussi aux travaux pour la LGV…

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Trains de nuit : Bordeaux peut toujours rêver

S’endormir dans un train parti de Bordeaux, bercé par le tadac-tadoum des wagons sur les rails, et se réveiller près de 1000 kilomètres plus loin, à Nice, Lyon ou Genève : ce grand come-back de liaisons ferroviaires est-ouest était sérieusement envisagé dans un rapport au gouvernement, rendu public en 2021, qui évoquait la (ré)ouverture de 25 lignes.

A cet occasion, Jean Castex, alors premier ministre, avait lui promis une dizaine de lignes à l’horizon 2030. Seulement trois fonctionnent à ce jour : Paris-Nice, L’Occitan (Paris-Toulouse-Rodez-Albi) et le Pyrénéen (Paris – Lourdes – Latour-de-Carol – Cerbère). La prolongation de cette ligne vers Dax et Bayonne est attendue en décembre, ainsi qu’une quatrième destination (Aurillac) depuis Paris.

Un succès sans lendemain ?

Aucun train de nuit reliant les régions entre elles, sans passer par la capitale, n’est donc à ce stade dans les tuyaux, et aucun financement n’est prévu pour remplacer un matériel vieillissant indispensable au seul maintien des lignes actuelles.

Malgré le succès du service actuel, souligné par la directrice d’Intercités à la SNCF, aucune ligne intérieure (et aucune liaison internationale) ne s’arrête actuellement, ni ne s’arrêteront dans un futur proche, à Bordeaux.

C’est dans ce contexte que le collectif « Oui au train de nuit » (OuiTdN) mobilise actuellement les citoyens et les élus locaux, et a annoncé une action ce dimanche en gare Saint-Jean. Il réclame la création de lignes de nuit vers Nice, et au delà l’Italie, ainsi que vers Lyon et Genève.

https://twitter.com/ouiautraindnuit/status/1698424862170116526

« Ces transversales entre les régions passent sous les radars alors qu’un train de nuit est pertinent dès qu’il faut plus de 6h de voyage, estime Quentin Marsal, militant de Oui au train de nuit. Jusqu’en 2010, il y avait encore des trains sur ces liaisons qui étaient très fréquentées, faute d’alternative confortable. Et cela peut mieux fonctionner encore, à condition de franchir une marche supplémentaire. »

5 millions de voyages en 2030 ?

Le rapport sur les trains d’équilibre du territoire (TET, opérés par la SNCF grâce à une subvention de l’Etat) calculait en effet qu’un train de nuit Bordeaux-Nice pourrait transporter 282000 voyages/an, contre 150000 sur cette même ligne par le passé. Il y en aurait 124000 pour la liaison vers Genève, contre 70000 précédemment.

Toujours selon ce rapport, réalisé par la DGTIM (direction générale des infrastructures, des transports et de la mobilité), plus de 1,5 millions de voyages par an pourraient s’effectuer dans les corridors est-ouest (Bretagne-Alpes du sud, sud ouest – Alsace-Lorraine). Au total, les liaisons ferroviaires pourraient passer de 700000 voyageurs aujourd’hui à 5 millions en 2030 – à titre de comparaison, le trafic actuel des trains Intercités (de jour et de nuit) est de 10,5 millions.

Le réseau intérieur Intercités de nuit tel que projeté dans le rapport de la DGTIM Photo : DR

Mais à une condition sine qua non, insiste la DGTIM : une « organisation massifiée », avec un regroupement de trains dans des gares carrefours, et une combinaison de liaisons pour mutualiser sur tous les tronçons. Par exemple, un Lyon-Marseille se rattachant au train arrivant de Bordeaux pour continuer jusqu’à Nice.

Avec les moyens du bord

Or cette offre importante suppose du matériel supplémentaire : 594 nouveaux trains, contre 130 en circulation aujourd’hui. C’est là que le bat blesse, insiste Quentin Marsal :

« En deux ans on a multiplié par un peu moins de 2 le nombre de trains de nuit et par un peu plus de 2 le nombre de passagers. La relance a été un succès mais fait avec les moyens du bord. On a refait l’intérieur de 130 voitures, mais cela reste du matériel qui a plus de 40 ans, qui pourra aller jusqu’à 2030, mais qui ne permet pas de développer de nouvelles lignes car toutes ces voitures sont utilisées. »

Si OuiTdN, reprenant les chiffres du rapport TET, plaide pour l’achat de 600 voitures, le collectif espère que le gouvernement respectera a minima sa promesse de lancer d’ici la fin de l’année la commande de 300 voitures.

https://twitter.com/ouiautraindnuit/status/1599567425422299136

« On relance la mobilisation pour les lignes transversales car c’est en ce moment que commence à s’organiser les commandes de voitures, et c’est maintenant qu’il faut se mobiliser pou faire pencher la balance vers une augmentation des ambitions », analyse le porte-parole de OuiTdN.

Service compris

Celui-ci souligne aussi la nécessité de wagons neufs permettant d’offrir des services à bord, et d’attirer une large clientèle :

« Le panel de voyageurs possibles est très large. On peut avoir des jeunes regardant sur le prix et pas sur le confort et que se satisfont de sièges inclinables. Des clients professionnels qui préfèrent arriver directement en centre-ville et ne pas aller prendre un avion aux aurores, mais qui veulent un confort digne de l’hôtel parce qu’ils ont une réunion à 8h à leur arrivée. Il faut pour cela des voitures lits comportant des vrais matelas et des douches, ce qui manque complètement en France. »

Pour maintenir les lignes existantes et en ouvrir de nouvelles, l’Etat doit « statuer dès 2023 », sur l’achat de ces 300 voitures, indiquait le conseil d’orientation des infrastructures dans ses derniers scénarios. La balle est dans le camp du gouvernement. Il doit trancher sur un service déficitaire, subventionné par l’argent public, et qui ne devrait guère intéresser les concurrents de la SNCF lors de l’ouverture du marché des lignes de nuit intérieures, en 2028.

Train Intercités de nuit en gare de Narbonne, où passerait l’hypothétique Bordeaux-Nice si du matériel neuf est acheté Photo : Alfenaar/Flickr/CC

Mais la situation n’est pas si sombre, d’après la DGTIM : alors que l’Etat compense actuellement à la SNCF un manque à gagner de 175 millions d’euros par an pour toutes ses lignes Intercités, ce déficit ne s’élèverait d’après la DGTIM qu’à 206 millions « soit un différentiel d’environ -31M€ pour une offre bien supérieure et donc un coût par voyageur-km plus faible ».

28 fois moins polluant que l’avion

Or le gain environnemental dans la balance est important : un voyage en train de nuit pollue vingt-huit fois moins qu’un voyage en avion, a calcule l’organisation non gouvernementale (ONG) Transport & Environment, dans une étude récente.

OuiTdN a montré de son côté que, si l’Europe investit dans le train de nuit, il pourrait devenir une alternative de transport pour un passager aérien sur 2 et transporter ainsi 100 millions de passagers par an sur 350 lignes régulières en Europe.

Des entreprises privées croit en tous cas au décollage massif du train de nuit : la compagnie autrichienne ÖBB va ainsi relancer en décembre 2023 la ligne Paris-Berlin, via Strasbourg. L’opérateur transalpin Trenitalia envisage lui une ligne Paris-Madrid, mais qui passerait par Barcelone, et pas par la façade atlantique, grande oubliée des liaisons de nuit.

Et selon Quentin Marsal, le problème pourrait se renforcer avec les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux et au nord de Toulouse, conçus pour les RER métropolitains et en vue du projet de LGV Bordeaux-Toulouse.

« On coupe deux itinéraires, car les travaux sont fait de nuit sur les voies. Si on continue à fermer complètement les lignes 5 jours par semaine, ce ne sera pas tenable. On propose pour garantir un réseau de qualité de trouver d’autres solutions, par exemple de mener les travaux que sur une seule voie, ou d’avoir des itinéraires bis attractifs. On retombe alors sur un autre problème, que beaucoup de lignes ne sont pas électrifiées, et les systèmes de signalisation obsolètes. »

Un des talons d’Achille du réseau ferroviaire français.


#transports

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