Quelques heures après son ouverture, une trentaine d’avis étaient ce lundi déjà consultables sur le site de l’enquête publique environnementale. Quelques uns s’affirment en faveur des aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux, qui prévoit notamment la création d’une troisième voie entre la gare Saint-Jean et Saint-Médard-d’Eyrans.
« Tout ce qui peut contribuer à l’amélioration de la desserte ferroviaire, à la multimodalité et à la sécurité est forcément une bonne chose », affirme par exemple Pascal Bonnel, habitant de Miramont-de-Guyenne (commune non directement concernée par le projet).
« Il est vraiment dommage que cette LGV n’avance pas plus vite, car les enjeux sont déjà là », estime également Jean-François Lesaffre, vivant près de la gare à Bordeaux :
« Les TER sont saturés et souvent annulés ou en retards, une troisième voie permettrait de soulager et d’améliorer le service. […] A titre d’exemple tous mes stagiaires venant du sud rechignent à prendre le train alors que tous mes stagiaires d’Angoulême prennent le TGV. Une LGV vers Toulouse et Dax permettrait de soulager la circulation, par un service rapide et fiable ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. De ce fait beaucoup de personnes dont moi se retranchent sur la route. »
« Huit ans de perturbations pour les TER »
Mais la grande majorité des avis déposés sur le site se montrent hostile à ces aménagements, présentés par SNCF Réseau. Certains évoquent le coût et l’ « inutilité » d’un projet à 10 milliards d’euros (la LGV Bordeaux-Toulouse) pour « gagner 20 minutes », ou encore son impact pour les riverains :
‘Les travaux vont créer pendant 8 ans des perturbations sur les communes et engendrer des nuisances. Le TER sera réduit alors que les besoins de mobilités locales sont en pleine expansion », signale Sophie, de Saint-Médard-d’Eyrans .
« Je suis furieuse car on a une taxe en plus alors que nous, personnes qui vivons entre les deux lignes, on n’utilisera jamais la ligne LGV !, explique Charlotte Van Doosselaere, habitante de Saint-Côme, dans le sud Gironde. On ne fera jamais 1h de route en plus pour aller à Bordeaux et prendre ce train, on continuera a utiliser l’ancienne ligne. »
Beaucoup fustigent l’impact sur l’environnement, et déplorent le fait qu’il n’est « pas prévu de compenser les habitats de certaines espèces comme la Cistude ou le Vison d’Europe ». Ces espèces « disparaitraient si ce projet se concrétisait », signale Alain Turlet, de Cadaujac, commune traversée par la future ligne.
« Aux portes de Bordeaux, nous avons une chance inestimée d’avoir ces espèces en voie d’extinction, protégeons les ! »
Pas de réunion publique
« Je suis opposée à ce projet qui va détruire toutes ces zones humides et classées Natura 2000. Comment [les] compenser ? Pensez-vous réellement que sur des zones lambda , vous pourrez reconstruire des zones humides avec leurs espèces protégées ? », s’inquiète aussi Ophélie, de Saint-Médard-d’Eyrans.
Plusieurs critiques portent aussi sur les conditions de cette enquête publique : sa période « inappropriée », du 13 juillet au 15 août (initialement prévue entre le 24 juin et le 23 juillet, elle a été décalée en raison des législatives anticipées), sa durée « trop courte pour étudier les documents », et l’absence de réunion d’information.
« Cela manifeste un mépris total pour la population », a jugé lors d’une conférence de presse la semaine dernière à Bègles, Pauline Dupouy, du collectif LGV NINA (ni ici ni ailleurs), pour lequel les AFSB sont « un cheval de Troie des LGV Bordeaux-Toulouse-Dax ».
« Nous avons donc rédigé une lettre signée par plusieurs dizaines d’élus (dont 4 sénateurs, 4 députés et 10 maires, y compris celui de Bordeaux) pour demander la prolongation d’un mois de l’enquête, permettant ainsi d’aller jusqu’à mi-septembre, et que soit prévue l’organisation de réunions publiques. »
Interrogée sur ces sujets, la préfecture de la Gironde répond à Rue89 Bordeaux que de telles décisions sont à la discrétion du président de la commission d’enquête publique – en l’occurrence Gérard Charles, officier retraité. Mais que dans tous les cas, la consultation ne pourrait être prolongée que de 15 jours.
Saut de mouton
Certains aspects du projet sont pourtant sensibles, notamment la question du bruit pour les riverains des voies. C’est pour ce motif que le conseil municipal de Bègles a récemment voté une motion contre un « saut de mouton » – un pont pour les lignes de chemin de fer enjambant d’autres voies –, révélé par le dossier d’enquête publique sur les AFSB.
« Nous sommes radicalement contre ce projet qui va impacter la quiétudes des habitants de Bègles, en provoquant beaucoup de vibrations, déclare Clément Rossignol-Puech, maire de la commune. Cela a été une très mauvaise surprise de découvrir cela : un train à 10 mètres de haut, tout Bègles va l’entendre ! Nous demandons un passage souterrain pour les voies, ou au moins des murs anti-bruits. »
Clément Rossignol-Puech rappelle que le groupe écologiste au conseil de Bordeaux Métropole, qu’il préside, est contre les LGV Bordeaux-Toulouse-Dax, mais défendait les AFSB censés permettre d’augmenter le service de RER métropolitains. Du moins jusqu’à l’étude réalisée par Transcub pour un pôle de parlementaires girondins, démontrant que la SNCF ne prévoyait pas à ce stade de faire passer plus de TER, au contraire…
« C’est vrai que nous n’avons pas changé de positionnement sur les AFSB mais nous sommes troublés par ces conclusions et voulons travailler pour en être convaincus, reprend le vice-président de la métropole en charge des mobilités. J’ai pour cela invité la SNCF pour les confronter à ces projections, mais ils ont été échaudés par une réunion avec le pôle parlementaire en aout dernier. »
Libre service
Aussi, le maire de Bègles aurait également souhaité qu’une rencontre publique soit organisée dans le cadre de la concertation. Un éclairage qui aurait pourtant été utile : selon un sondage Odoxa récemment commandé par SNCF Réseau, si 86 % des habitants des anciennes régions Aquitaine et Midi-Pyrénées se disent favorables au Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO, les lignes à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax), 81 % des 2 000 personnes interrogées reconnaissent aussi ne pas savoir précisément de quoi il s’agit.
Concrètement, celle-ci prend seulement la forme d’un registre en ligne, avec réception des avis envoyés par le formulaire ou par courrier électronique, et de permanences physiques dans les mairies de quatre communes concernées (Bègles, Villenave d’Ornon, Cadaujac et Saint-Médard-d’Eyrans). Il est possible de consulter les documents du projet sur le site internet ou lors de ces permanences.
« Je m’attendais à ce que les commissaires enquêteurs donnent des informations sur le contenu de ces documents, qui représentent des milliers de pages, mais ils m’ont répondu que ce n’était pas leur rôle. Ces rapports sont en libre-service, dans des cartons, sans le niveau d’assistance qu’on pouvait espérer », regrette Gilles Delcros, de la coordination LGV Non Merci.
Avis défavorables
La seule étude d’impact actualisée des AFSB fait par exemple 560 pages. Or ce document est capital pour comprendre les conséquences de ce projet, qui a reçu récemment un avis défavorable du Conseil national de protection de la nature (CNPN) à sa demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces végétales et animales.
Il juge que la demande « n’apporte pas encore la démonstration que le projet et ses mesures de compensation induiront un gain net de biodiversité sur les sites de compensation concernés à la hauteur des pertes générées par le projet, dans la mesure où la recherche de compensation n’est pas encore terminée ».
SNCF Réseau reconnaît en effet ne pas pouvoir éviter une dette écologique pour trois espèces : le vison d’Europe, le cistude d’Europe et le crapaud calamite. Dans un avis rendu lui aussi en avril dernier, l’Autorité environnementale avait pointé d’autres faiblesses du dossier, dont l’absence d’étude sur la nouvelle offre de transport et le report modal induits par la future infrastructure, ce qui pouvait lui valoir pour une « non-conformité réglementaire ».
Le document présenté à l’enquête publique comporte bien une analyse de ce tonneau, avec une estimation à l’année 2050 de la baisse de l’usage de la voiture liée à l’augmentation de celui du train, mais sans explication sur la méthode de calcul.
Recours de Toulouse à Bordeaux
Les opposants à la LGV espèrent bien trouver matière dans le dossier à de nouveaux recours en justice – ils attendent des audiences suite aux procédure engagées contre le plan de financement et la prolongation jusqu’en 2028 de la déclaration d’utilité publique de GPSO, le grand projet du Sud Ouest.
L’enquête publique sur les aménagements ferroviaires au nord de Toulouse – le pendant des AFSB dans la ville rose –, avait par exemple révélé aux Amis de la Terre de Midi-Pyrénées que la LGV allait prendre une voie actuellement réservée aux TER en direction du Tarn. De quoi limiter le recours au train pour effectuer la liaison vers Castres, celle la même qui justifie la construction de l’autoroute A69…
Alors que les travaux ont déjà commencé à Toulouse, les associations ont déposé un référé suspension pour éviter l’abattage d’arbres le long d’un canal latéral à la Garonne, en attendant un jugement sur le fond. Elles plaideront l’absence d’avis formel de l’Autorité environnementale sur les AFNT, et le fait que le projet final n’est pas celui présenté dans la déclaration d’utilité publique, explique Jean Olivier, coprésident des Amis de la Terre Midi-Pyrénées :
« On démontre que ces aménagements feront de Matabiau une gare quasi exclusivement LGV, avec des terminus partiels périphériques. Les gens qui arriveront pas exemple de Montauban y seront invités ensuite à prendre métro pour traverser Toulouse. Cela va créer des correspondances qui feront perdre l’intérêt d’avoir des trains type RER, sans rupture de charge, rapides, et qui permettent aux gens d’abandonner leur voiture. »
Un sacrifice des trains du quotidien que les anti-LGV redoutent de voir se produire aussi à Bordeaux
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