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« Les groupuscules identitaires échangent entre eux et avec les élus locaux d’extrême droite »

Journaliste et cofondateur du site d’analyse Indextreme, Ricardo Parreira était récemment à Sciences Po Bordeaux pour présenter son travail. Alors que le campus continue d’être un terrain de confrontation entre groupuscules identitaires et militants antifascistes, il décrypte le fonctionnement de l’extrême droite locale pour Rue89 Bordeaux.

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« Les groupuscules identitaires échangent entre eux et avec les élus locaux d’extrême droite »
Ricardo Parreira lors de sa conférence à Sciences Po Bordeaux. 22/11/2024

Rue89 Bordeaux : Quels sont les principaux groupes d’extrême droite actifs à Bordeaux et dans sa région ? Comment se différencient-ils ? 

Sur les deux dernières années, six groupes locaux ont été identifiés par divers médias et activistes. Il existe une certaine porosité entre ces groupuscules, qui se connaissent, dialoguent et échangent entre eux. Les plus en vue sont la Bastide bordelaise et l’Action française.

Le mouvement Aurée, de type identitaire et poujadiste, est centré sur une ligne idéologique liée aux mouvements sociaux comme les Gilets Jaunes, avec une posture identitaire et raciste. Le groupe semble inactif depuis mars 2023, et il est difficile d’évaluer le nombre réel de ses militants.

Du côté des facultés, on retrouve des antennes bordelaises de la Cocarde étudiante et de l’UNI (Union nationale inter-universitaire), deux syndicats étudiants. L’UNI est relativement ancien (fondé en 1968), tandis que la Cocarde est beaucoup plus récente (fondée en 2015). Ces deux syndicats sont implantés sur le campus de l’université Bordeaux-Montaigne, où ils militent régulièrement.

Enfin, du côté des mouvements intégristes, l’une des antennes de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est implantée à Bordeaux, avec une autre située dans la région, à Saint-Macaire. Concernant cette secte catholique intégriste, le média StreetPress a révélé, à travers plusieurs enquêtes, le véritable visage de cette fraternité : violences sexuelles, notamment pédocriminalité, pressions financières exercées sur les fidèles, violences faites aux femmes (violences conjugales, séquestrations) et même des « exorcismes sauvages ».

Extrait de la présentation Indextreme Photo : RP/Indextreme

Quels sont les plus actifs ?

La Bastide bordelaise reste le principal groupuscule d’extrême droite à Bordeaux. Fondé en 2022 par d’anciens militants de Génération Z (le mouvement jeunesse d’Éric Zemmour), après la dissolution de Bordeaux Nationaliste, certains membres ont basculé d’un groupe à l’autre ; le Menhir, le local du groupe dissout, a d’ailleurs été récupéré par la Bastide bordelaise. Leur leader, Yanis Yva, se revendique du fascisme italien.

Ce mouvement, qui compte aujourd’hui entre 10 et 20 membres, adepte de l’action violente, est à l’origine de l’attaque d’une conférence LFI à l’université Bordeaux-Montaigne en décembre 2022. Cela n’a pas empêché ses militants de présenter une liste aux dernières élections législatives. Leurs tracts étaient siglés d’une croix celtique, un symbole néonazi très répandu au sein de l’extrême droite extra-parlementaire.

Naturellement, dans une métropole de la taille de Bordeaux, l’Action Française et les légitimistes tentent aussi d’occuper le terrain. Ces derniers adoptent une posture extrêmement conservatrice, voient la modernité comme une « apocalypse » et prônent le rétablissement de la monarchie et de la royauté en France, incarnant ainsi une nostalgie réactionnaire. C’est aussi un groupe profondément antisémite, en raison de son histoire et de ses origines.

Localement, leurs activités principales sont le tractage et les actions de communication, mais aussi l’organisation de conférences via leur branche « Cercle Léon de Montesquiou », qui porte le nom d’un militant de l’organisation mort pendant la Première Guerre mondiale.

Qu’en est-il de la mystérieuse « Action Directe identitaire », groupuscule à l’origine de tags racistes, notamment sur la mosquée de Pessac en mai dernier ?

Selon des groupes antifascistes locaux que j’ai pu contacter, il s’agirait vraisemblablement d’un graffeur cherchant à attirer l’attention. Cela peut être d’un militant d’extrême droite, mais cela reste très isolé. On note l’appellation utilisée : « Action Directe », nom d’un groupe anarcho-communiste actif en France dans les années 1980, à l’origine d’environ 80 attentats durant les « années de plomb ». L’extrême droite se réapproprie souvent les symboles de la gauche et de l’extrême gauche afin de créer une forme de confusionnisme.

Les tags racistes sont revendiqués par l’Action directe identitaire.

Quels sont les liens entre ces groupes et les partis d’extrême droite ?

Le cas de Romane Albanel à Pau, une responsable locale de l’UNI, illustre la porosité qui existe entre les différents courants de l’extrême droite, qu’ils soient institutionnels ou non. En 2021, elle se présente aux élections du Crous tout en militant à l’Action française, avant d’être candidate du parti Reconquête ! en 2022 pour la 3e circonscription des Pyrénées-Atlantiques.

À Bordeaux, on observe des accointances de ces organisation étudiantes avec l’extrême droite parlementaire, en particulier le Rassemblement national, mais aussi la mouvance identitaire locale. Les publications, communiqués et contenus diffusés sur les réseaux par ces deux groupes sont fréquemment relayés de manière mutuelle.

Il existe aussi des connexions plus visibles, entre des élus locaux du RN et l’extrême droite extra-parlementaire : Julie Rechagneux (députée européenne, conseillère municipale à Lormont) et Edwige Diaz (députée de la 11e circonscription de la Gironde et porte-parole du RN) notamment, qui ont été photographiées plusieurs fois en présence de militants néonazis ou identitaires.

Extrait de la présentation Indextreme Photo : RP/Indextreme

On peut observer des connexions entre certains groupes locaux et d’autres mouvances ailleurs en France. Comment et à quelles occasions ces liens se tissent-ils ?

La plupart des groupes locaux entretiennent des liens avec leurs homologues basés dans d’autres villes. L’Action française, structurée en fédérations et en sections, se réunit annuellement pour faire son bilan : en Nouvelle-Aquitaine, le dernier rassemblement s’est tenu les 15 et 16 juin derniers, réunissant les antennes de Bordeaux et de Pau.

D’autres types de rassemblement permettent de tisser des liens entre les groupes. La Bastide bordelaise, participe à la « marche tourangelle pour Saint-Martin » du groupuscule royaliste Des Tours et des Lys (situé à Tours) et à la « marche du 11 mai » organisée à Paris par le Comité du 9 mai (C9M). Cette dernière manifestation regroupe la plupart des mouvements d’extrême droite en France autour d’un « hommage » pour l’un de leurs militants [Sébastien Deyzieu, mort le 7 mai 1994 en chutant d’un immeuble alors qu’il tentait de fuir la police lors d’une manifestation du Groupe union défense (GUD), NDLR].

Mais, plus que ces réunions occasionnelles, il existe trois centres d’intérêt et de formation qui parviennent à réunir pas mal de militants issus de différents groupuscules extra-parlementaires : l’Institut Iliade, émanant de la Nouvelle Droite ; l’Academia Christiana, des identitaires « version intégriste catholique » ; et, depuis deux ans, les Active Clubs.

De quoi s’agit-il ?

Ils entrecroisent des groupes pratiquant des arts martiaux mixtes (MMA) et les pratiques des hooligans d’extrême droite. Cette mouvance joue ici un rôle de plus en plus important : on peut voir que les militants de la Bastide bordelaise tissent des liens par ce biais, notamment à Nantes avec L’Oriflamme (scission de l’Action française à Rennes), Virido Galia (Vendée) ou encore Auctorum (Versailles).

Contrairement aux groupuscules mentionnés précédemment, les Active Clubs se distinguent par leur caractère à la fois informel et décentralisé. Leurs rencontres peuvent être organisées de manière occasionnelle ou régulière, aussi bien localement qu’ailleurs en France. Un canal Telegram national recense et partage toutes ces initiatives : à Bordeaux, par exemple, un message annonce la création d’une « antenne régionale » en juin 2023.

Cela permet à des groupes s’opposant sur le plan idéologique — royalistes et nationalistes révolutionnaires, par exemple — de se rencontrer à travers des affrontements physiques. C’est pour eux un moyen de créer une forme de « cohésion » entre des entités qui ne dialogueraient pas en temps normal. Au-delà du niveau local, les Active Clubs connectent les groupuscules entre eux et établissent des liens avec d’autres formations à l’étranger.

Tournoi de MMA organisé à Nantes le 27/07/2024. Photo : Instagram/Bastide bordelaise

Au-delà de la France, ces liens s’étendent-ils à travers l’Europe ?  

Les liens entre l’extrême droite française et la scène européenne ne sont pas un secret. Ces connexions sont mises en avant depuis longtemps, notamment à travers des plateformes comme Zentropa, un blog créé en 2006 par Xavier Eman. Ce site comprend un canal Telegram dédié, où l’on retrouve des liens vers les pages de recrutement de certains groupuscules.

Aujourd’hui, pour éviter la censure, la majorité de ces groupes diffusent leur propagande sur Telegram. Une fois que l’on accède aux canaux de ces groupes, on peut constater l’existence d’un échange permanent entre les différentes factions d’extrême droite à travers l’Europe.

Encore une fois, la Bastide bordelaise apparaît comme un exemple révélateur. En juin dernier, plusieurs militants d’extrême droite ont été interpellés par la police italienne suite à l’attaque d’un bar de gauche à Rome. Parmi eux figurait un membre important de ce groupuscule bordelais, comme l’a relevé Street Press. Alaric D. a notamment été photographié dans les locaux de Casapound, un mouvement néofasciste italien qui gagne en ampleur depuis l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni. Ce sont eux qu’on a pu voir parader en plein milieu de Rome en janvier 2024, avec près de 600 militants qui ont défilé dans les rues en réalisant des chants et des saluts fascistes.

Des membres du groupuscule de la Bastide bordelaise ont été repérés au sein d’un club d’ultras des Girondins de Bordeaux, la North Gate, par le média StreetPress. Pourquoi ces militants investissent-ils ce milieu ?

Le football a toujours été, et reste, un terrain fertile pour le recrutement. Dans certaines tribunes, la violence raciste est un phénomène courant. Le hooliganisme d’extrême droite existe depuis les années 1980 : son objectif principal est la violence, mais certains groupes vont plus loin en établissant des alliances directes avec des groupuscules d’extrême droite radicale, comme à Lyon avec les Bad Gones, ou à Paris avec les ultras du virage Boulogne. Concernant Bordeaux, le phénomène semble très récent et relativement embryonnaire, avec seulement quelques membres de l’extrême droite locale qui s’insèrent dans la tribune des ultras.

La Bastide bordelaise organise régulièrement des manifestations autour de faits divers (Lola, Philippine), en faisant le lien entre immigration et mort des « martyrs » français. Quel est le sens véhiculé ?

Pour moi, l’usage même du terme « martyrs » illustre à quel point l’extrême droite est intégriste et messianique. D’ailleurs, certains groupuscules nationaux-révolutionnaires adhèrent au concept de « jihad blanc », qui consiste, en résumé, à utiliser des méthodes terroristes pour imposer un nettoyage ethnique en Europe et établir une suprématie de la race blanche.

Tout cela, évidemment, s’articule autour de la théorie du « grand remplacement ». Ces « martyrs » sont souvent récupérés, parfois sans le consentement, voire contre la volonté, de leurs familles, dans le but de fomenter la haine contre les personnes racisées.


#extrême droite

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