Depuis 2014, plus de 72 000 migrants ont perdu la vie ou ont disparu en tentant de fuir la guerre, la misère ou la répression, selon les chiffres accablants rendu publics ce mardi 29 avril par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence de l’ONU. Derrière cette statistique vertigineuse se cache une réalité tragique et souvent invisibilisée : celle de femmes, d’hommes et d’enfants engloutis par la mer Méditerranée, morts de soif dans le désert du Sahara, ou victimes de violences aux frontières.
L’année 2024 s’est révélée particulièrement dramatique, enregistrant le plus grand nombre de décès de migrants jamais recensé sur une seule année : au moins 8 938 personnes sont mortes sur les routes migratoires selon l’OIM. Un sombre record qui reflète à la fois l’intensification des conflits mondiaux, la multiplication des obstacles aux voies migratoires légales, et surtout l’impasse des politiques migratoires actuelles.
Rigueur, nuance et humanité
Alors que l’Europe et d’autres régions du monde renforcent leur contrôle aux frontières, les routes empruntées par les migrants deviennent toujours plus longues, plus périlleuses, plus mortelles. En France, la question des migrations a, de surcroît, franchi un palier depuis l’adoption en octobre 2024 de la loi Asile et immigration, dite loi Darmanin. En Gironde, celle-ci a des effets « déjà visible » s’inquiète La Cimade.
Les migrations humaines présentent cependant une réalité complexe et les journalistes ont la responsabilité de traiter ces questions avec rigueur, nuance et humanité. À l’instar de la mobilisation collective autour de la couverture de l’urgence climatique, un travail de réflexion s’engage sur les pratiques journalistiques concernant les migrations, afin d’en améliorer la qualité et l’éthique.
C’est dans cette dynamique qu’un comité éditorial, rassemblant Guiti News, le SNJ, Journalisme et Citoyenneté, et IJNet en français, a été constitué pour élaborer une Charte journalistique du traitement des migrations, sur la base d’un atelier participatif mené lors des Assises du journalisme de Tours en mars 2025.
« Ne pas à nourrir la haine ou les préjugés »
Ce travail collectif s’appuie sur les grands textes déontologiques de la profession, comme la Déclaration de Munich ou la Charte d’éthique du SNJ, et s’inspire d’initiatives existantes telles que les chartes de Rome et d’Idomeni. En complément, des entretiens avec des chercheurs, des experts des migrations et des journalistes impliqués dans des démarches similaires ont permis d’identifier les conditions favorables à une telle mobilisation.
Un sondage mené auprès de professionnels en France a également permis d’adapter les propositions aux réalités du terrain. Le 29 avril 2025, à Marseille, la Charte est officiellement lancée lors des Assises du Journalisme, avec des premières signatures dans les rédactions, les écoles de journalisme et à travers l’espace francophone.
« Comme le rappelle la Charte mondiale d’éthique de la Fédération Internationale des Journalistes dans son article 9 : “Le/la journaliste veillera à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés et fera son possible pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques”. », rappelle la présentation de la Charte de Marseille.
Comprendre les enjeux
La Charte de Marseille veut guider les journalistes vers une couverture précise, complète et respectueuse des questions migratoires. Elle établit onze principes fondamentaux incluant le respect de la dignité, la lutte contre les stéréotypes, la responsabilité professionnelle, l’équilibre entre factuel et humain, la formation continue, la communication élargie et l’évaluation régulière des pratiques. Son objectif déontologique est de promouvoir un journalisme responsable qui contextualise les migrations et donne la parole aux personnes concernées.
Rue89 Bordeaux a choisi de signer cette charte qui correspond en tous points à sa ligne éditoriale depuis plus de 11 ans. La charte, lisible intégralement ci-dessous ou accessible sur le site dédié, comporte 11 engagements clés, cernant les « défis journalistiques liés aux migrations ». Premier engagement : les aborder « de manière transversale », en précisant que « les causes des mobilités humaines sont complexes et multifactorielles », indique la Charte.
Rue89 Bordeaux s’est toujours engagé à traiter les questions migratoires de la manière la plus humaine possible, en adoptant une approche fondée sur la dignité, loin du misérabilisme ou de toute forme de dévalorisation des personnes. Cet engagement se traduit également par un travail de pédagogie sur l’apport des migrations à la société et à l’économie du pays, ainsi qu’une sensibilisation à l’importance des conditions d’accueil. Comme le rappelle la Charte, « migrant, immigré, réfugié, étranger ou demandeur d’asile n’ont pas la même signification ». Expliquer ces distinctions est essentiel pour mieux comprendre les enjeux, « en se référant aux définitions juridiques et scientifiques ainsi qu’aux catégories administratives en vigueur pour éviter amalgames et approximations ».
Informer et rendre visible
Un autre engagement consiste à « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ». C’est pourquoi Rue89 Bordeaux ne se limite pas aux communications officielles, notamment celles émanant des institutions de l’État. Nos journalistes prennent également soin d’écouter les associations et ONG impliquées dans l’accueil et l’accompagnement des personnes migrantes ou réfugiées, et s’attachent à recueillir directement la parole de celles et ceux qui vivent ces réalités.
« Exposer les mécanismes de la désinformation et des stéréotypes sur les migrations en fournissant des informations vérifiées, sourcées et contextualisées », comme le stipule le point 3 de la Charte, conduit Rue89 Bordeaux à se positionner clairement face aux discours politiques racistes ou xénophobes. Cet engagement éditorial peut avoir des conséquences concrètes : il arrive que nos journalistes soient exclus de certaines réunions publiques ou conférences de presse organisées par ces mêmes partis.
Enfin, Rue89 Bordeaux a toujours veillé à « ne pas invisibiliser les personnes migrantes », conformément au point 5 de la Charte. Cette exigence d’une couverture journalistique équilibrée des migrations a permis à votre média de mettre en lumière aussi bien l’accueil en Gironde des Ukrainiens fuyant l’agression russe, que celui des Syriens persécutés par le régime de Bachar el-Assad. La question sensible de savoir si « on fait plus pour les réfugiés que pour les SDF » a également été abordée sans détour, avec la volonté de déconstruire les idées reçues et d’apporter des éléments factuels au débat public.

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