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24 heures avec les étudiants du campus Victoire pour fêter un mois d’occupation

Que se passe-t-il dans une fac occupée ? Qu’y font les étudiants ? Quels sont leurs attentes, leurs rêves et leurs utopies ? J’ai passé 24 heures avec eux le soir où ils ont fêté leur premier mois d’occupation. Et leurs revendications sont loin de faiblir.

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24 heures avec les étudiants du campus Victoire pour fêter un mois d’occupation

Le 1er Mars, une première occupation dans un amphithéâtre de la Fac de la Victoire. Sans résultat. Le lendemain, une nouvelle occupation, nocturne cette fois-ci, s’organise. La vice-présidente tente une négociation bien plate. Le président, lui, envoie la police.

Les élèves s’agglutinent dans les hauteurs de l’amphithéâtre, pensant que les policiers n’oseront pas les pousser de si haut. Bah si. Ils ont balancé les étudiants de si haut.

Certains partent à l’hôpital où les attendent leur garde-à-vue. À la fac, commencent les contrôles d’identité et beaucoup d’élèves sont interdits d’université en dehors des heures de cours, que ce soit à la cafétéria ou dans les salles d’études.

C’en est trop : le 8 mars, les élèves déclarent l’occupation illimitée de la fac. Elle se tiendra jusqu’à obtenir des réponses aux exigences des étudiants.

Le vendredi 6 avril, un concert est organisé pour fêter ce premier mois d’occupation. C’est le jour que j’ai choisi pour venir voir ce qui se passe dans une fac occupée.

Patte blanche

Mais avant de venir exposer mon projet d’article au nez d’étudiants en colère et de prendre en photo leur quartier général, il faut que je me présente à l’assemblée générale pour obtenir leur accord. Elle est organisée en amphithéâtre.

On énumère au début les points à aborder puis chacun prendra son tour de parole selon des modalités très strictes. Mais cette rigueur est vite balayée par des « réponses rapides », ça répond du tac-au-tac et très vite on ne s’entend plus.

Je me rends très vite compte que ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole. Je n’ai assisté qu’à une seule AG mais on m’a confié que c’était souvent ainsi. Et que très peu de filles prenaient la parole. Les joies de l’autogestion.

Bref, entre messes basses énervées, et prise de paroles imprévues, quelques punchlines soutenant la cause sont scandées et sont suivies de vagues d’applaudissements.

C’est à mon tour de me présenter et proposer mon projet : écrire un article sur 24 heures passées ici. C’est une demande délicate et ça se voit dans la trentaine de regards tournés vers moi. Ils n’aiment pas les photos, ni les caméras (à cause des contrôles d’identités qui ont eu lieu, certains élèves sont fichés), ils ne veulent pas de mauvaise publicité et surtout pas de place à l’ « ennemi ».

En effet, j’ai appris qu’une journaliste du Journal du Dimanche s’était également invitée dans les locaux en vue d’écrire un article. Ses notes ont été déchirées et elle a été mise dehors. Je sens la réticence de certains quant à ma présence ici. Mais après les avoir assuré de ma bonne foi et de ma parfaite neutralité, et à la faveur d’un vote à main levée, je suis acceptée à l’unanimité (moins les quelques-uns qui dormaient au fond et n’ont donc pas voté).

Donc l’occupation se tient ici 24h/24, 7j/7. Ils sont une quarantaine à dormir sur place, dans les dortoirs. Une kitchenette a été aménagée dans une salle à côté du hall. La nourriture est stockée dans des cagots et dans un frigo. Ces denrées proviennent de la récupération ou sont achetées avec les sous de la caisse commune. Il y a un petit coin vaisselle avec tous les produits nécessaires. Le ménage des locaux est fait par les étudiants. Petite pensée à celle qui passait la serpillère dans les salles d’eaux.

Un escalier mène à la salle d’étude, réservée aux élèves qui souhaitent continuer de plancher. Eh oui, il ne faut pas oublier que les examens sont maintenus. Il y a aussi deux amphithéâtres où ont lieu les ateliers, les AG et les conférences d’un programme alternatif.

Et pour finir, il y a la cour. Le reste est fermé.

Programme alternatif

Combien de temps comptent-ils maintenir l’occupation ? Officiellement, jusqu’à ce que leurs exigences soient entendues.

Localement, ils souhaitent la démission de José Manuel Tunon de Lara (président de l’Université de Bordeaux), l’annulation des partiels, et la validation du semestre pour tous avec 15 de moyenne en prime.

Et bien sûr, le refus de la sélection dans les universités.

Peu de résultat et peu d’espoir pour le moment. Le jour même de ma présence, Manuel Tunon de Lara a envoyé un mail assassin aux élèves, les accusant de violences et de menaces, et refusant catégoriquement la validation des semestres et l’annulation des partiels. Bon.

Ce monsieur n’a pas la cote ici. Du fait de ses nombreuses réprimandes et censures qu’il a exercées sur la voix de ses élèves, ainsi que l’intervention policière musclée qu’il a autorisée dans son établissement et qui a causé plusieurs hospitalisations.

Faux selfie du président de l’Université de Bordeaux (DR)

Pour information, j’ai appris l’euphémisme « intervention musclée » lors de l’atelier sur la « Langue de bois » en rhétorique, qui a été organisé dans l’après-midi avec un petit groupe d’élèves. En effet, ces débats, ateliers et conférences sont organisés dans une pédagogie studieuse et un bel esprit de groupe. J’ai même appris qu’un cadre de Rue89 Bordeaux avait donné une conf sur la désinformation. Grosse pression.

Les élèves prennent place dans les amphis, décorés à l’occasion : tag de protestations sur les tableaux noirs et les murs, bandes de sécurité suspendues au plafond, tracks et flyers pour la lutte éparpillés partout, des chiens qui se baladent et des oiseaux qui volettent dans la pièce.

Finalement, quoi de choquant ? C’est un cours normal, entre étudiants. Sauf que cette fois-ci, cigarettes, kebabs et boissons sont autorisés et on peut s’assoir avec toute l’aisance qu’on veut sur les tables.

Rêves et utopies

L’atelier de discussion qui a suivi portait sur les inégalités en AG : en quoi les gens timides ou mal à l’aise à l’oral sont désavantagés lors d’un système de prise de parole publique et de vote à main levée. Perspicace.

Je pars récolter des témoignages et visiter un peu les lieux. Mais les locaux sont assez vides. Les gens vont et viennent, font acte de présence, retrouvent quelques copains, puis repartent.

L’amphi Elie Gintrac reçoit un programme alternatif (LS/Rue89 Bordeaux)

Les barricades de chaises attendent patiemment contre les portes de l’entrée. Des affiches et cartons de protestations pendent mollement sur les murs. C’est une heure creuse, on dirait. Je cherche à discuter avec des étudiants, mais je ne tombe que sur des gens qui ne sont pas d’ici. Ils sont d’une autre université et ils viennent par soutien, aider ou « zoner ».

Dehors, ça bronze au soleil. J’arrive à discuter avec quelques étudiants. Certains m’exposent volontiers, et avec dynamisme, leurs convictions. D’autres, plus méfiants, toisent mon téléphone en se demandant si je suis en train de filmer ou d’enregistrer.

Mais on arrive tout de même à parler rêves et utopies : une université libre et différente ; une université ouverte qui assure l’obtention de papiers aux étudiants étrangers et la prise en compte des étudiants handicapés ; une augmentation des budgets ; un système autogéré performant…

Bien sûr, ce sont des souhaits plus vagues et généraux (contrairement aux exigences locales qui sont strictes). Ils dépendront des idées politiques de chacun. Les AG bordéliques l’ont bien montré : unification ne fait pas unanimité, la finalité politique est un champ large et la neutralité ne l’est jamais vraiment.

Inter-luttes

Pour canaliser un peu toute cette énergie, des AG « inter-luttes » prennent place une fois par semaine dans l’enceinte de l’université. Cheminots, salariés de Ford, étudiants se réunissent pour la cause commune. Même l’ami Poutou vient participer. Et apparemment, ces AG sont plus équitables et mieux organisées que les AG classiques.

Mais pendant que la révolution se trame dans l’Université, que fait l’administration et la présidence ? Eh bien, les cours sont délocalisés, de même que les partiels. L’administration surveille l’établissement de loin et le Président enrage par mail. Apparemment, ils viennent de temps en temps « voir si tout va bien ».

Et si tout va mal, qu’est-ce qu’ils font ? Rien. La seule chose qui présente un risque pour le blocus c’est la police (dits les « gardiens de la paix » ou les « forces de l’ordre » comme on l’a appris dans l’atelier « Langue de bois »). Mais les élèves ne les redoutent pas plus que ça. La police est entravée par la pression médiatique et la terrible image laissée après leur première intervention. Ils ne veulent donc pas aggraver la situation, ni leur réputation. Un fourgon passe de temps en temps devant l’université, il fait des tours sur la place de la Victoire. Et il repart.

Mais pourquoi ils ne coupent pas l’électricité ou l’eau ? Cela suffirait à gêner considérablement l’occupation. Non, ils ne peuvent pas car des logements adjacents à la fac en pâtiraient.

Une contre-société

Alors les élèves révoltés sont bien partis pour rester. Plus qu’une semaine de cours de toute façon. L’année est foutue. Maintiendront-ils le blocus jusqu’à septembre prochain et repartir pour une année ? Cela risque d’être compliqué sachant que les élèves vont partir en vacances, ou travailler. Ça risque de capoter si on est de moins en moins nombreux ici et que les flics en profitent pour récupérer les lieux.

Des anti-bloqueurs viennent aussi perturber la mise en place de l’occupation. Ça devient dur pour les étudiants de maintenir l’université ouverte et accueillante pour qui veut venir participer, tout en assurant la sécurité des locaux.

Mais si le mouvement se maintient, c’est la preuve que nous serons à l’aube d’une nouvelle ère. Certes les demandes des étudiants ne seront probablement pas exaucées cette année, mais le mouvement est lancé. C’est l’opportunité pour une grosse remise en question, un tremplin vers l’intensification de la mobilisation. Enfin, le rapport de force change envers le système éducatif plus que discutable. De plus, ce blocage, tel qu’il est à l’origine, libère du temps aux élèves. Ils peuvent agir sur d’autres fronts, venir participer aux manifestations des autres mouvements, concrétiser leurs projets de révolution.

Alors même si cet évènement là n’aboutit pas, ce n’est pas grave. Il restera gravé dans les mémoires comme l’héritier de Mai 68, 50 ans plus tard (pile-poil). Il donne les outils et le terrain pour la construction d’une contre-société, une prise d’initiative durable.

« Intervention musclée » ?

Les étudiants rejoignent donc les autres groupes pour tenter de construire la convergence des luttes. On essaye de clarifier une base d’exigences concrètes mais bon, tout le monde n’y adhère pas, et les étudiants l’admettent avec réalisme. La force de leur union ne vient pas de leur adéquation parfaite mais bien de la vitalité de chacun, sans pointer qui que ce soit du doigt.

Alors oui, le maintien des partiels affecte les étudiants. Ils ont du mal à travailler. Certains vont – au détriment de la crédibilité du combat – assister aux cours délocalisés qui ont lieu dans des salles prêtées par d’autres établissements. Chacun doit faire des compromis, doit sortir de son confort, doit faire de son mieux. Ils ne sont pas tous d’accord, certes, mais ils sont ensemble.

C’est l’heure du concert. On prépare les décorations à coup de guirlandes, de confettis et de tampons achetés chez Hema. L’entrée est à prix libre, l’alcool et le soft pas chers, façon bar associatif. Il y a plusieurs centaines de personnes de tous âges. Je bois des coups en me baladant à travers la soirée. On ne manque pas de me rappeler que je suis « la journaliste » et de me tonner « t’écriras ça dans ton article ! », etc.

Tout à coup une rumeur chuchote qu’un groupe de personnes encagoulées approcherait de la fac avec des bâtons. Je n’ai plus que 6% de batterie alors je fonce au bar pour recharger mon téléphone. Je veux filmer la scène. J’attends donc plusieurs minutes que mon téléphone charge, tout en observant la seule entrée. Quand on me demande ce que je fais, je dis que j’attends l’arrivée des méchants.

Les flics ? Ils risquent pas de venir. D’abord parce que ça ferait un scandale de plus, ensuite parce qu’on est très nombreux. Ce serait trop long à évacuer sans débordement.

Et en effet, le reste de la fête se poursuit sans « intervention musclée ». Le groupe maintient une ambiance d’enfer et lance le slogan « Tout le monde déteste la police », repris par l’assemblée.


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