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Un plan d’urgence et trois angles morts pour les transports à Bordeaux Métropole

Le conseil de Bordeaux Métropole a adopté ce vendredi un plan d’urgence pour les transports chiffré à 776,5 millions d’euros (bien qu’il s’agisse pour l’essentiel d’investissements déjà engagés), après avoir entériné l’extension du tram vers Saint-Médard. Si la majorité des élus se réjouissent de ces décisions, certains critiquent la stratégie mobilité de l’agglo.

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Un plan d’urgence et trois angles morts pour les transports à Bordeaux Métropole

1 – Plan d’urgence ou plan com’ ?

Rue89 Bordeaux a bien tenté de poser la question. Deux fois à Alain Juppé, puis aux deux vice-présidents de Bordeaux Métropole en charge des transports, et enfin aux services, en vain. On ne saura donc pas ce qui, sur les 776 millions d’euros du « plan d’urgence mobilité », relève de projets et d’investissements nouveaux par rapport à ceux déjà lancés.

L’écrasante majorité des mesures censées se déployer d’ici à 2020 sont en effet « déjà dans les tuyaux », comme le relève en séance Pierre Hurmic, conseiller métropolitain écologiste, qui critique une « opération de com » – en soulignant l’ampleur bien réelle des projets engagés pour les trois ans à venir, à l’approche des municipales.

Les projets actés sont principalement le pont Simone-Veil (146 millions d’euros), dont les travaux ont commencé entre Floirac et la rive gauche, des 423 euros millions prévus pour les futures infrastructures – tram jusqu’à Villenave-d’Ornon fin 2018, ligne D l’année prochaine, bus à haut niveau de service (BHNS) Bordeaux – Saint-Aubin en 2020 si le Conseil d’Etat casse le jugement en référé… –, ou encore des 38 millions pour  la rocade (passage du pont François-Mitterrand à 2×4 voies, mise à 2×3 voies d’autres tronçons).

L’important n’est toutefois pas la quantité, mais la qualité, fait-on valoir à la métropole. Si les nouveaux projets inclus dans ce plan ne sont pas pharaoniques – « 100000 euros par ci, 2 ou 3 millions par là », note un vice-président –, ils sont susceptibles d’améliorer sensiblement les conditions de circulation dans la troisième agglomération la plus embouteillée de France.

« La transformation en rond-point d’un carrefour dans le quartier de Saige, à Pessac, c’est 4 minutes de gagnées le soir aux heures de pointe pour les automobilistes depuis début mars », indique par exemple Michel Labardin, vice-président en charge des transports de demain.

Ceinture et bretelles

Et le plan comporte plusieurs aménagements routiers du même tonneau, comme la suppression de 200 carrefours à feu jugés facultatifs (sur 900 dans la métropole), de nouvelles voies sur l’Aéroparc, la réactivation d’une bretelle d’accès au pont Saint-Jean pour fluidifier le trafic sur la rive droite…

Le pont Saint-Jean (SB/Rue89 Bordeaux)

Côté transports en commun, Christophe Duprat, l’autre vice-président en charge des transports d’aujourd’hui, avait déjà annoncé l’arrivée dès septembre de 10 rames supplémentaires sur les lignes A, B et C, pour renforcer un réseau vieillissant et « victime de son succès ». Après une augmentation de la fréquentation de 8,5% en 2017, celle-ci serait de 10% sur les trois premiers mois de l’année (par rapport au premier trimestre 2017).

Le plan annonce par ailleurs une amélioration du réseau des Lianes, avec de nouveaux couloirs de bus (sur l’avenue Marcel-Dassault à la sortie de Martignas pour la Lianes 11, sur la route de Toulouse pour la 5, sur les boulevards entre les barrières de Toulouse et de Bègles pour la 10).

2 – Le RER métropolitain, c’est par où ?

Parmi les mesures du plan d’urgence, la métropole affirme en outre sa volonté d’expérimenter une ligne de car express vers Libourne, dans le cadre du nouveau syndicat mixte des transports. Il acte également la création d’une nouvelle ligne de bus Bassens-Campus, à la rentrée 2019.

Ne figurant initialement pas dans le plan, cette préfiguration d’un BHNS a été obtenue par les maires de la rive droite. Suite au dernier conseil de métropole, ceux-ci se sont discrètement émus de la priorité donnée à l’extension du tram D vers Saint-Médard plutôt qu’aux liaisons circulaires.

Le maire de Cenon, Jean-François Egron, critique alors l’inversion de l’ordre des projets programmés par le SDODM, le schéma des transports de la métropole voté en 2016, qui plaçait la ligne Gradignan-Cenon via les boulevards, mais pour laquelle les études sont toujours en cours. C’est pourtant « une nécessité  » aux yeux de l’élu, pour ses concitoyens travaillant rive droite, et pour les 8000 voyageurs transitant chaque jour par Cenon Gare.

« C’est évident que la rive droite est mal servie par le SDODM au regard de la rive gauche, renchérit notamment Jean-Jacques Puyobrau, le maire (PS) de Floirac, interrogé par Rue89 Bordeaux. Beaucoup d’habitants ont pourtant besoin de traverser la Garonne au quotidien pour aller travailler, chercher un emploi ou étudier sur la rive gauche, et sont en difficulté. Je trouve inutile de construire un tram à 18 millions d’euros du kilomètre jusqu’à Saint-Médard, alors qu’un transport en commun en site propre, le BHNS, doit déjà desservir cette commune en 2020. Il faut tisser notre réseau en toile d’araignée, pas en étoile, sinon nous irons jusqu’aux Graves. »

Recettes de 1995

Les édiles de Floirac et de Cenon ont cependant approuvé l’extension de la ligne D, « par principe de discipline de vote dans le cadre de la cogestion de la métropole ». Ce n’est pas le cas de Vincent Feltesse. L’ancien président de la CUB a voté contre la délibération actant l’extension du tram vers Saint-Médard-en-Jalles, le 23 mars dernier :

« Sauf erreur de ma part, c’est la première fois que notre collectivité part avec un projet dont la valeur actualisée nette est négative, au moment même où la contrainte financière est plus importante que jamais. »

Pose des rails de la ligne D du tram rue Fondaudège (WS/Rue89 Bordeaux)

En effet, le bilan socio-économique du tracé retenu est pour l’heure « légèrement défavorable » : en clair, les 5000 voyageurs par jour estimés entre Saint-Médard et Bordeaux ne suffiront pas, dans l’état actuel du projet, à amortir un investissement de 81,7 millions d’euros pour 5,2 kilomètres de ligne. Mais au delà de cette critique, l’élu socialiste bordelais remet en cause « les recettes datant de 1995 » :

« On a tendance à tirer au maximum nos lignes, en se demandant si on pousse le tram jusqu’à Saint-Médard, Parempuyre, Gradignan… analyse-t-il. On pense qu’en articulant l’ensemble de ces extensions ont ferait un bond en avant. Mais force est de constater que nous n’aurons pas cet effet réseau. Peu de métropoles ont autant investi dans les transports depuis 25 ans, et pourtant nous sommes toujours la troisième agglomération la plus embouteillée de France, et la rocade est saturée, tout comme nos bus et tramways ».

Cercles

Dans la dernière livraison des « Cahiers de l’avenir » de Bordeaux Métropole des Quartiers (BMQ2020), le think tank du candidat à la succession d’Alain Juppé, comme dans ses interventions en conseil métropolitain, Vincent Feltesse plaide pour le développement de lignes circulaires. En créant des connexions entre lignes existantes dans le centre-ville (gare Saint-Jean – place de la Victoire, par exemple) et en lançant une liaison en site propre sur les boulevards et de pont à pont. Celles-ci sont indispensables selon l’élu bordelais « car des dizaines de milliers de nouveaux habitants vont arriver à Brazza, Euratlantique, Bastide-Niel, Garonne-Eiffel… »

Lianes 1 à la gare Saint-Jean (SB/Rue89 Bordeaux)

Enfin, le conseiller régional soutient un véritable RER métropolitain capable de rallier les territoires périurbains par les chemins de fer existants, et empruntant la voie de ceinture dans l’agglo. Il est revenu sur ce « vieux sujet » en conseil ce vendredi, à l’occasion de la délibération sur le syndicat mixte des transports, qui fédèrera en juin prochain les autorités organisatrices (région Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux Métropole et les autres intercommunalités qui le souhaitent) :

« Ce n’est pas parce qu’un syndicat mixte se met en place que nous aurons demain un RER métropolitain. Tout le monde pense que l’assemblée régionale va pouvoir financer largement l’augmentation de la fréquence des TER. Mais la région met 300 millions d’euros par an pour les TER, et la métropole 200 millions pour son réseau TBM, qui transporte 5 fois plus de voyageurs. Si nous voulons avoir demain un véritable RER, il faut l’instaurer dans nos priorités financières. Sinon, on pourra longtemps répéter que ce serait bien d’avoir plus de 2 trains par jour le matin à Bassens, des interconnexions à la gare de Mérignac-Arlac, ou la réouverture de la gare de Médoquine… »

Ferroviaire light

Bonne nouvelle : Alain Juppé a annoncé vendredi que la SNCF allait relancer une étude sur la faisabilité d’une telle ouverture. En revanche, le président de Bordeaux Métropole écarte toujours un financement des réseaux ferrés, qui sont selon lui de la compétence de la région. Et il l’a martelé : pas question de remettre en cause le SDODM et les projets qu’il comporte jusqu’en 2030.

Ce que défend aussi Gérard Chausset, adjoint (LRM) au maire de Mérignac, et indécrottable partisan du tram :

« La deuxième couronne de la métropole cumule les avantages, c’est là où il y a de la place et des emplois. Nous savons que la densité de population va progresser dans ces zones. La solution pour aller chercher ces gens, c’est le ferroviaire léger. Et le tram C vers Blanquefort à ouvert la voie. »

A moins que les contraintes financières ne les rattrapent : Bordeaux Métropole, tout comme la Ville de Bordeaux et celle de Mérignac, ont signé un contrat avec l’Etat les engageant à limiter à 1,35% l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement, ce qui doit leur permettre d’éviter de voir leurs dotations baisser.

3 – Quid des alternatives à la voiture ?

Comparé aux moyens déployés pour construire des ronds-points ou multiplier les voies sur la rocade, les volets du plan d’urgence dévolus aux modes alternatifs peuvent paraître modestes. Ainsi, si le principe d’un bonus mobilité, basé sur le principe Ecomobi, est acté pour favoriser le covoiturage, son budget reste à déterminer.

Ce vendredi en séance, l’écologiste Pierre Hurmic a également dénoncé la faiblesse des moyens consacrés à la marche :

« 300000 euros vont être consacré au Plan Piétons, soit 0,04% du montant global du plan d’urgence. Alors que Lille s’est donné comme objectif de faire de la marche le premier mode de déplacement métropolitain, cela aurait mérité une urgence budgétaire plus affirmée. »

Alain Juppé rétorque que la marche pèse déjà 29% des déplacements par jour, et qu’avec le vélo, 54% des trajets se font ainsi en mode actif. Et la métropole compte appuyer sur la pédale, via son plan vélo (28 millions inclus dans le plan d’urgence) : 9 millions d’euros vont être attribués aux communes pour leurs aménagements cyclables ; 9 autres millions sont prévus pour des pistes cyclables des deux OIM (opérations d’intérêt métropolitain ), Bordeaux Aéroparc et Inno Campus. Et 3 millions d’euros seront investis dans les vélos en libre-service, notamment pour les premiers V3 électriques.

Cycliste dans les bouchons de la zone aéroportuaire (DR)

Mais parallèlement, la métropole et l’Etat n’ont pas hésité à supprimer une piste cyclable, celle du pont François Mitterrand. Pour compenser, le maire écolo de Bègles, Clément Rossignol-Puech, demande « une étude pour une piste cyclable en encorbellement afin de respecter nos objectifs de part modale vélo ».

« Derrière tout ça, il y a un enjeu environnemental majeur, car nous allons dans le mur, rappelle Alain Juppé. Si nous voulons une métropole à énergie positive en 2050, il faut se mettre au travail, sans déclarer la guerre à la voiture individuelle. Il faut inciter, et non pas obliger, à utiliser d’autres modes de déplacement. »

ZCR is dead

Bordeaux Métropole veut donc pousser ses habitants à laisser la voiture au parking : outre la création de 1640 places en parc-relais dès cette année, Alain Juppé entend convaincre les exploitants des parkings de Mériadeck et du Quai des Marques, selon lui « à moitié vide », de leur donner le statut de parking-relais. Cela semble hautement paradoxal : peut-on inciter les gens à ne pas venir en voiture dans le centre-ville, tout en mettant en valeur les places disponibles pour s’y garer ?

C’est en fait très révélateur de la crainte actuellement suscitée par l’électeur automobiliste. Bordeaux, collectivité adhérante au programme « villes respirables en 5 ans », s’était pourtant engagée à améliorer la qualité de l’air d’ici 2020, et prévoyait d’instaurer pour cela une zone à circulation restreinte.

« On y réfléchit », répond évasivement Alain Juppé à Rue89 Bordeaux, ajoutant aussitôt que les Bordelais ont « une certaine sensibilité » – comprendre hostilité  – sur ce sujet :

« La collision de l’extension du stationnement payant et la nouvelle règle du forfait post-stationnement a suscité des réactions que je peux comprendre. »

Et que le maire préfère éviter au cas où il soit candidat à sa réélection, à l’issue du plan d’urgence, en 2020.


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