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Pourquoi le vélo a conquis Bordeaux (et ce n’est pas le Far West)

L’utilisation du vélo a bondi de 50% depuis 2015, et représente désormais 80000 cyclistes quotidiens, soit 12% des habitants de Bordeaux Métropole (19% des Bordelais). Cela ne va pas sans quelques problèmes de cohabitations avec les piétons – au point qu’Alain Juppé parle de Far West… -, et pourtant le nombre d’accidents est en baisse. Ces conflits d’usage viennent surtout de part encore très importante réservée à l’auto dans l’espace public.

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Pourquoi le vélo a conquis Bordeaux (et ce n’est pas le Far West)

Et si vous changiez de pompe ? Diffusé sur les réseaux sociaux lors des débats sur la hausse du prix des carburant et le blocage du 17 novembre, ce slogan suggérait en deux images de passer de la pompe à essence à la pompe à vélo. A priori provocatrice pour ceux qui sont obligés d’avaler des kilomètres tous les jours en voiture, l’idée est devenue une réalité pour plus de gens qu’on ne l’imagine.

Exemple : lors de la présentation de son bilan du « plan d’urgence mobilité », Bordeaux Métropole a présenté les résultats stupéfiants des nouvelles pistes cyclables à Mérignac, dans la zone de l’Aéroparc. Ces voies ont été construites en urgence, suite à la mort d’un cycliste sur ces axes routiers embouteillés, et à la mobilisation des « vélotaffeurs », de plus en plus nombreux  à monter en selle pour aller au turbin dans ce quartier très mal desservi par les transports en communs.

350 voitures portées disparues

Seulement un mois après la mise en place de ces aménagements, l’été derniers, les services de la métropole ont comptabilisé 637 cyclistes par jour sur l’avenue Marcel-Dassault, dont près du quart d’entre eux ont abandonné la voiture pour se mettre au vélo. Sur l’avenue Beaudésert, ce sont même 62% des 333 cyclistes quotidiens recensés qui sont passés du volant au guidon. Par ailleurs, Thales, le plus gros employeur du secteur, relève être passé depuis la rentrée de 100 à 168 cyclistes dans l’entreprise (sur 2600 collaborateurs).

La simple amélioration des conditions de sécurité a donc conduit à la « disparition » dans ce secteur de près de 350 voitures. Et ce pour réaliser des trajets domicile-travail qui n’ont rien d’anecdotique :

« Les distances de déplacement des cyclistes enquêtés sont relativement longues (généralement supérieurs à 5km), là où la part de marché de la voiture est la plus importante », relève Nicolas Fontaine, directeur général de la mobilité à Bordeaux Métropole.

C’est d’autant plus encourageant quand on sait que 41% des trajets en voiture dans l’agglomération bordelaise font moins de 3 kilomètres.

17% des Bordelais pédalent tous les jours

Les effets des nouvelles pistes à Mérignac peuvent être comparés, toutes proportions gardées, à la fermeture du pont de pierre, qui a permis d’éviter 3150 franchissements de la Garonne en voiture, avec 12000 cyclistes quotidiens (en septembre), dont 11% d’anciens automobilistes. A l’arrivée, en ajoutant les 7000 piétons (et les 100 joggers), le vieux pont bordelais est emprunté par davantage de monde que lorsqu’il était ouvert à tous les véhicules.

Son exemple a sans doute contribué à l’explosion de la pratique du vélo dans la métropole : +9% de pratique en octobre par rapport à l’année précédente, +50% depuis 2014. 17% des Bordelais utilisent désormais le vélo comme leur mode de déplacement principal, et 80000 habitants de la métropole s’en servent tous les jours !

A Bordeaux comme à Copenhague, la capitale danoise dont s’inspire la cité girondine, où plus de la moitié des déplacements s’effectuent à vélo, ce succès s’explique parce que « le vélo est le moyen le plus rapide d’aller d’un point A à un point B », soulignait Alain Juppé lors de la journée de l’a’urba sur la Charte de la mobilité.

Les feux sont au vert

C’est aussi le mode de déplacement le plus pratique et le moins cher, ajoute Ludovic Fouché, président de Vélo-Cité :

« Les difficultés pour stationner une voiture à Bordeaux, trouver une place, payer le parking, ont motivé beaucoup de gens. Tous les gens qui sont passés au vélo se rendent compte qu’ils vont au moins aussi vite qu’en voiture, même si c’est moins vrai pour les déplacements de périphérie à périphérie. Ce développement est confirmé par la sensation de voir en ville des groupes de 5 à 10 vélos attendre aux feux rouges. »

Enfin, quand ils attendent… A plusieurs reprises ces dernières semaines, Alain Juppé s’est insurgé contre le « far west » que serait devenu Bordeaux, et invite la métropole à appliquer un code de la rue, destiné à favoriser les plus vulnérables dans des espaces partagés. Car ceux-ci seraient livrés à l’ « anarchie » de hordes de deux-roues (vélos, trottinettes) roulant indifféremment sur les trottoirs ou la chaussée, à toute berzingue, et sans égard pour les piétons ni les voitures.

Dans la rue Dandicolle à Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

« Haine irrationnelle »

Dans une tribune diffusée la semaine dernière, la conseillère municipale Delphine Jamet réagit à ces propos, et dénonce un « discours ambiant contre les usagers de la bicyclette souvent alarmiste », voire « empreint d’une haine irrationnelle ».

Elle fait référence à de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux (ou suite à un article de Sud-Ouest), et que tout cycliste entend fréquemment : « Ils nous enquiquinent avec leurs vélos. Quant aux cargos ils seront moins à la mode quand un parent aura vu la tête de ses bambins écrasée sous un bus juste devant lui » ; « il faut être fou pour faire du vélo en ville », « il y a de plus en plus d’accidents »…

Autant d’assertions fausses, indique Delphine Jamet, qui a épluché les chiffres de la sécurité routière (lire encadré ci-contre), relevant par exemple qu’aucun vélo-cargo n’a été accidenté à Bordeaux Métropole. Selon les statistiques de la métropole, 4% des accidents de piétons viennent de conflits avec des cyclistes, 74% avec une voiture ou un utilitaire. Outre la collision à un carrefour, « le scénario le plus récurrent est le piéton distrait », absorbé par ses écouteurs ou son smartphone, souligne Bordeaux Métropole.

« Le principal problème qui remonte du côté des automobilistes, poursuit Ludovic Fouché, c’est que beaucoup de cyclistes ne respectent pas les feux rouges, sont mal éclairés et se mettent en danger. Ce phénomène n’est pas nouveau et traduit un problème de conception et d’aménagement de la rue. Il va falloir que celle-ci soit davantage partagée, et non plus réservée à 80% à la voiture. On voit par exemple que des rues sont mises un peu abusivement à 30 km/h : cela permet d’éviter d’y réaliser des pistes cyclables, mais on n’y fait pas respecter les limitations de vitesse. Et des  axes très fréquentés par les vélos, comme le cours de la Somme, n’ont aucun aménagement cyclable. »

Vélorue dans les brancards

Le président de Vélo-Cité reconnaît les efforts de nombreuses communes, qui multiplient les pistes et les contre-sens cyclables, tentent de mettre fin aux discontinuité cyclables, et créent des maisons du vélo grâce au Plan de la métropole.

Bordeaux, qui a inauguré récemment sa première « vélorue », rue Dandicolle – à double sens pour les vélos, et sens unique pour les voitures, tenues de ne pas dépasser les deux-roues -, reste en tête de peloton. Au delà des boulevards, cela reste compliqué, estime Ludovic Fouché :

« Cet axe reste une grosse barrière, au sens propre du terme. En intra-boulevards, nous sommes à 15% de cyclistes, au delà on chute à 4%. Cela reste une barrière psychologique, les gens ont peur d’y rouler à vélo. Nous sommes cependant optimistes car son aménagement est une priorité de la métropole. Cela traine un peu mais nous savons que des bureaux d’études sont au travail. »

Pour Vélo-Cité, le plus difficile reste de réussir les liaison entre communes de la première couronne et le centre-ville de Bordeaux. L’association a identifié quelques priorités, dont la liaison vers le campus qui pourrait  être l’objet de la première « autoroute à vélo » bordelaise, c’est-à-dire un itinéraire clair, continu et protégé des voitures plusieurs kilomètres.

Dans la rue Dandicolle, première vélorue de Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Points noirs

D’autres axes sont dans la mire des cyclistes, notamment le trajet Bordeaux-Mérignac-aéroport, jalonnés de quelques points noirs dont la place Mondésir, ou encore la route de Toulouse.

« Cet axe structurant est totalement dépourvu de pistes cyclables, rappelle le président de Vélo-Cité. Soit il est embouteillé et les vélos prennent des risques pour remonter les files, soit le trafic est fluide et les voitures roulent facilement au dessus de 50 km/h. On a l’intention de se mobiliser pour faire bouger les choses. »

Problème : il est moins facile de faire bouger les pouvoirs publics sur la route de Toulouse que sur l’Aéroparc, embraye Ludovic Fouché :

« L’Aéroparc avait rapidement été identifié comme une zone dangereuse, il bénéficie du contexte d’une opération d’intérêt métropolitain, de budgets dédiés, et le territoire concerné est principalement sur deux communes, c’est plus facile. La route de Toulouse est à cheval sur quatre communes (Bègles, Gradignan, Talence,  Villenave-d’Ornon) et se trouve à la périphérie de chacune, elles ne se sentent pas toutes concernées. »

Détours et campagne

Il en va de même pour le franchissement vélo de la Garonne après la suppression de la passerelle du pont François Mitterrand, sans solution de rechange apportée par l’État : le détour jusqu’au pont Saint-Jean infligé aux cyclistes semble davantage préoccuper les communes de la rive gauche (Bègles, Bordeaux) que celles d’en face (Bouliac, Floirac). Vélo-Cité défend désormais un projet de passerelle traversant l’île d’Arcins, sous réserve que cette île privée  bascule dans le domaine public et puisse être ouverte aux visiteurs.

Panneau Vélorue (SB/Rue89 Bordeaux)

Mais toutes les infrastructures n’y suffiront pas : il faut aussi agir sur les mentalités. Dans cette optique Vélo-Cité salue la volonté du président de la métropole d’instaurer le code de la rue

L’élue Delphine Jamet estime de son côté « urgent de lancer une campagne de communication à la hauteur des enjeux, non anxiogène et qui rappellerait les règles (sas vélo, zone 30 et contre-sens cyclables, zones de rencontre où la vitesse est limitée à 20 km/h…) et les bénéfices des mobilités actives ». Des règles que les automobilistes tout autant que les cyclistes devraient se saisir.


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