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Gilets jaunes : Alain Juppé veut éteindre la violence, des Bordelais en colère

Dix samedis de mobilisation et toujours le même scénario à Bordeaux, déplore son maire : une manifestation pacifique partant de la place de la Bourse, puis vers 17h des heurts devant l’Hôtel de Ville. Avant l’acte 11 des Gilets jaunes, et alors que le courroux des riverains s’accentue, Alain Juppé a lancé un appel solennel à la fin des violences.

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Gilets jaunes : Alain Juppé veut éteindre la violence, des Bordelais en colère

Comment sortir des actes de violence « inouïs et inacceptables » observés selon lui à Bordeaux ? Alain Juppé répond par un appel au dialogue lancé aux Gilets jaunes, notamment en organisant dans la métropole quatre grands débats dès le mois de février (ils se tiendront à Bordeaux, Talence, Saint-Médard et Carbon-Blanc à des dates encore indéterminées) ou en « facilitant toute autre initiative de débat qui verrait le jour ».

Lors d’un point presse mercredi, le maire a fait référence à la réunion publique organisée par les Gilets jaunes au Hangar 14 en décembre. Il a également mentionné le recours aux cahiers de doléances et d’espérances, qui ont déjà reçu 400 contributions à Bordeaux.

Mais Alain Juppé a voulu aussi pousser un « coup de gueule ». Entre les réparations liées au tramway et à la voirie, la restauration du mobilier urbain ou encore les heures supplémentaires du personnel de nettoyage, les dégâts causés depuis le début du mouvement étaient estimés avant samedi dernier à plus d’un million  d’euros.

Peut-on « sanctuariser » Bordeaux ?

Afin d’éviter la casse qui touche la ville à l’issue des manifestations, plusieurs propositions ont été étudiées par la mairie et la préfecture. L’idée de la sanctuarisation du centre ville a été écartée. Protéger ce périmètre nécessiterait une trentaine d’unités de forces mobiles alors que Bordeaux n’en dispose que de six (composée chacune de 70 hommes), et cela reviendrait à bloquer l’accès à tous, y compris aux visiteurs qui continuent de se promener dans les rues de Bordeaux le samedi.

À la demande des commerçants de mettre des agents de police devant les magasins, les autorités policières ont répondu qu’il était « trop risqué d’isoler les policiers qui pourraient être agressés ou pris en otage par des manifestants ». En revanche, pour venir en aide à ces commerçants, dont des milliers d’emplois sont menacés, la mise en place d’un fond de soutien pour les plus touchés est à l’étude.

Des contacts ont été établis avec « des représentants » des gilets jaunes pour mieux sécuriser les prochaines manifestations. Il leur a été demandé de fournir un itinéraire balisé susceptible de ne pas se limiter à l’hyper-centre, de fixer une durée et de mettre en place des mots d’ordre de dislocation.

Alain Juppé a regretté n’avoir « aucun interlocuteur pour mettre en place des règles du jeu dans ces manifestations », les « représentants » leur ayant simplement promis de passer le mot. Le maire espère que le message sera transmis d’ici samedi.

Renvois de (flash)balle

Trois Gilets jaunes présents à cette réunion avec le maire et la préfecture ont répondu le soir dans un post Facebook qu’ils sont « restés fidèles à [leur] position de relais d’informations et d’administrateurs techniques de la page FB », refusant donc « catégoriquement » toute déclaration préalable des manifs, et de relayer cette demande aux administrateurs des groupes.

« Nous avons tenté, en vain de leur faire comprendre que les casseurs n’étaient pas repérables, et que de déclarer les parcours en évitant Pey Berland ne ferait que déplacer le problème sur d’autres points chauds que la mairie. Nous n’avons pas manqué de rappeler aux représentants des Force de l’Ordre qu’ils avaient les moyens d’isoler et d’extraire les casseurs plutôt que de gazer dans le tas. Nous leur avons expliqué qu’il était temps de revoir leur stratégie et leurs plans d’action. Monsieur le commissaire nous a répondu qu’un Gilet jaune présent après la sommation était un délinquant. »

Ils ont en outre souligné que dans l’attente de réponses politiques à leurs revendications, leurs « rassemblements prennent de l’ampleur », et « des groupuscules politiques et des blocs identitaires sont en train de se former et de se structurer ».

« Tant que l’on nous répondra par l’ignorance et le mépris, ces groupes remplacent peu à peu les casseurs isolés et finiront par réellement mettre la ville ainsi que le pays à feu et à sang tout en réduisant l’économie à néant. »

Concernant justement l’éventualité d’une mobilisation nocturne, telle que la « nuit jaune » d’Eric Drouet, Alain Juppé en a appelé à la raison des manifestants :

« C’est multiplier par dix les risques de dérapage graves. Les forces de l’ordre auront plus de difficultés à se déployer la nuit et toutes sortes d’agressions seront possibles dans ce contexte là. Ce n’est pas responsable. »

Malgré les nombreuses blessures graves infligées par la police à Bordeaux, le président de la métropole a à nouveau salué la « proportionnalité » de leur réponse aux violences des manifestants, et s’en remet à l’IGPN pour sanctionner les écarts de certains agents.

Les riverains face à la casse

Le maire se fait-il l’écho de l’avis des habitants de Bordeaux ? Rue89 Bordeaux est allé à la rencontre des riverains aux premières loges lorsque les débordements éclatent en marge des manifestations. La plupart conçoivent les revendications des Gilets jaunes, mais condamnent les semeurs de trouble dont certains pensent qu’ils décrédibilisent le mouvement. Quelques Bordelais pointent aussi l’usage selon eux « immodéré » des gaz lacrymogène.

« C’est dommage que le mouvement soit perverti par certains. Quand je vois des poubelles cramer devant chez moi ou que j’entends les manifestants arriver, je reste enfermée, explique Camille*, une étudiante vivant cours Pasteur. Ce qui me dérange, plus que les poubelles incendiées, c’est que certains magasins soient touchés, que les vitrines soient brisées et l’intérieur saccagé. »

Les Gilets jaunes tenaces place Pey Berland (XR/Rue89 Bordeaux)

Pour André*, retraité vivant derrière la place Pey Berland, et ses voisins, chaque samedi est une nouvelle épreuve :

« Après les manifestations, on a le droit aux poubelles incendiées, aux pétards et lorsque les CRS envoient les gaz lacrymogènes on prend tout, même à travers les fenêtres. Le problème c’est les casseurs qui brisent les vitrines ou défont les pavés. On se demande tous les week-ends s’ils ne vont pas casser la vitre de la porte de l’immeuble. »

Cloitrés à domicile

De l’autre coté de la place, Lucie, 20 ans, partage les même inquiétudes :

« Il y a deux semaines des voitures ont été brulées dans ma rue, dans ces cas là je ne me sens pas trop en sécurité. Je travaille le samedi après-midi mais si ce n’était pas le cas je ne sortirais pas de chez moi par peur de me recevoir un pavé dans la tête ou de me retrouver dans un nuage de gaz lacrymogène. Et au moment de rentrer, je n’ose pas, ça me fait peur de passer à travers les affrontements. »

Pour beaucoup, le samedi est devenu un jour où il n’est plus possible de sortir dans la rue sans prendre de risque, surtout pour les familles qui font le choix de se cantonner.

« Je ne sors pas le samedi, c’est trop dangereux pour elle, confie Sarah*, en tenant la main de sa fille de 7 ans. Je trouve qu’il y a un usage immodéré des flashball et des gaz lacrymogènes et je ne veux pas risquer qu’on se retrouve au milieu de tout ça. »

Patricia*, mère d’un garçon de 3 ans, n’avait jamais vu un « tel déchaînement de violence ». Pour elle, être contraint de rester chez soi par mesure de sécurité est « une atteinte à la liberté de circuler » voire même « une prise d’otage ». Elle se souvient d’un samedi, où la banque en dessous de son appartement du cours Victor-Hugo avait été prise pour cible :

« Le matin on sort, mais l’après midi on reste enfermés à la maison, on regarde à la télé les voitures et les poubelles bruler en bas de chez nous. La vitrine de la banque au rez-de-chaussée a été brisée, on se demandait si nos fenêtres n’allaient pas être touchées aussi, alors qu’on a rien à voir avec cette banque. On avait peur. »

Actes amers

Voitures et feux de signalisation calcinés, vitrines marquées par les impacts de projectiles, les riverains gardent un souvenir amer de l’Acte 3, le 1er décembre, qui a fait de nombreux dégâts sur le cours Victor-Hugo.

« A côté de chez moi, la Poste a été saccagée et je trouve ça vraiment dommageable parce que c’est des gens du quartier qui y vont et c’est parfois le seul endroit où ils peuvent retirer de l’argent, s’indigne Catherine*. Je n’ai pas de scrupule pour les grandes enseignes mais toucher aux petits commerçants, je ne suis pas d’accord. Pareil pour la camionnette qui a été incendiée (sans doute accidentellement, NDLR), c’était l’outil de travail de l’épicier. »

Afin de limiter la casse, un renforcement de protection est prévu ce samedi sur les secteurs les plus touchés : cours Alsace-Lorraine, cours Pasteur et le cours Victor-Hugo.

* Les prénoms ont été modifiés.


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