Les loyers ont augmenté de 16% à Bordeaux entre 2010 et 2018, bien plus que l’inflation. Les prix à l’achat ont quant à eux quasiment doublé sur la même période – de moins de 3000 à près de 5000 euros le m2 – et continuent à grimper, certes de façon plus modérée, mais continue.
Parallèlement, le phénomène Airbnb a restreint l’offre de logements dans le centre-ville. Conséquence : les ménages les plus pauvres, les familles monoparentales ou encore les étudiants y ont de moins en moins droit de cité.
Pour tous les candidats déclarés à la mairie de Bordeaux, la politique de l’offre ne marche pas – l’augmentation de la quantité de biens à la vente ne freine pas celle des prix. Il s’agit d’accroître l’intervention publique dans ce secteur. Comment ? Voici les débats en cours.
1 – Construire, stop ou encore ?
Le constat est unanimement partagé, y compris par le maire de Bordeaux :
« On n’a pas de problème d’offre car on construit beaucoup de logements (2000 par an, NDLR), mais de structure de l’offre, indique Nicolas Florian. L’offre locative est notamment insuffisante car le phénomène Airbnb a vampirisé le marché dans le centre-ville. »
Dans un état des lieux sur la situation du logement présenté lundi dernier aux élus municipaux, la Ville fait le constat suivant :
« Il est évident que l’augmentation des prix à Bordeaux (et dans l’agglomération) est désormais beaucoup trop importante pour rester accessible. La politique de production systématique de logement accessible doit donc être poursuivie et renforcée en faveur de l’accession sociale et abordable. »
L’accession abordable est destinée à des ménages répondant des plafonds de ressources, de 2 500 € par mois pour une personne seule à 5 000 € par mois pour une famille avec 2 enfants.
300 millions d’euros sur la table
Des quotas de 20% et 35% de logements à prix maîtrisés sont actuellement imposés dans les opérations d’aménagement de la Ville, permettant la création de 1600 logements commercialisés à prix abordable depuis 6 ans (soit 250 par an).
Un rythme insuffisant pour Thomas Cazenave : le candidat la République en marche (LREM) à la mairie de Bordeaux propose de construire 7000 logements à la moitié du prix du marché – actuellement de 4444 euros le m2 dans le neuf.
Il consacrerait un investissement de 300 millions d’euros à cette opération, et créerait pour la piloter un office foncier solidaire (OFS). Un tel organisme achète des terrains dont il reste ensuite propriétaire, percevant ensuite un loyer (via un bail réel solidaire) des propriétaires des bâtiments qui y sont construits ; cela prévient par la suite toute tentative de spéculation foncière.
Portes ouvertes
L’idée de Thomas Cazenave est, affirme-t-il, inspirée de l’exemple lyonnais. Elle n’en demeure pas moins assez floue, voire enfonce quelques portes ouvertes. Proposer des logements à 2500 € le m2, c’est déjà la feuille de route de la Fab, qui pilote l’opération 50000 logements.
En outre, un OFS est déjà en cours de création par plusieurs bailleurs sociaux, avec la participation à sa gouvernance de Bordeaux Métropole. D’autres sociétés HLM vont instaurer un BRS (bail réel solidaire) comme Gironde Habitat sur le territoire d’Euratlantique
Par ailleurs, la Métropole, qui dispose de la compétence habitat, vient de lancer une révision de son plan local d’urbanisme (PLU). Les logements aidés, locatifs ou en accession sociale et abordable à la propriété, devront atteindre « a minima 50% de la superficie de toute opération de plus de 2 000 m2 (ce qui équivaut à 30 logements) ».
Le logement social cale ?
Reste qu’une des premières propositions de Renouveau Bordeaux, le mouvement local macroniste, consiste à favoriser l’accès à la propriété pour la classe moyenne. Lors d’un rendez-vous avec la presse, vendredi dernier, c’est une question qui l’a poussé à évoquer le logement locatif social :
« Oui, bien sûr qu’il faut continuer à construire des logements sociaux, a répondu Thomas Cazenave. Nous proposons d’ailleurs d’imposer réellement, sur les 1800 logements neufs par an construits à Bordeaux, un tiers de logements sociaux, un tiers de logements abordables et un tiers de logements libres. Mais dire qu’on atteindra en six ans à Bordeaux l’objectif de 25 % de logements sociaux (contre 18,49% actuellement, NDLR) me semble très difficile et peu réaliste. »
La mairie de Bordeaux affirme au contraire que cet objectif sera atteint en 2025, grâce à un rythme de construction supérieur à 1000 logements sociaux par an (davantage, donc, que la répartition que souhaiterait mettre en place Thomas Cazenave…).
Adjointe en charge de la cohésion sociale, Alexandra Siarri critique par ailleurs l’obligation faite aux bailleurs par la loi Elan de vendre leur patrimoine :
« Cette réforme pose un certain nombre de questions. Les bailleurs sont obligés de capter du budget en vendant un certain nombre de logements. Même si à Bordeaux seulement une centaine ont été cédés sur 23000 logements sociaux… On n’est pas contre le principe, mais pas pour une vente massive. »
Entre toutes ces contraintes, où construire les nouveaux logements que la démographie bordelaise croissante réclame ? Car Thomas Cazenave préconise un audit sur les opérations d’aménagements (Brazza, Bastide Niel, Euratlantique…) afin de s’assurer d’une bonne anticipation de leurs besoins futurs en équipements publics et en desserte en transports collectifs.
Densité
Il est sur ce point un peu moins radical que son rival aux municipales Vincent Feltesse : l’ex président socialiste de la CUB (désormais sans étiquette) souhaite un moratoire sur ces projets urbains. Les deux hommes partagent le constat que les dents creuses sont insuffisamment exploitées, et que la Ville pourrait gagner en hauteur.
Tout comme Emmanuelle Ajon et Matthieu Rouveyre, du Parti socialiste. Dans leurs six propositions sur le logement faites récemment, les élus PS veulent « réinterroger l’équilibre entre conservation du patrimoine et développement des logements » :
« Il faut que la ville cesse de s’agrandir en consommant le moindre espace disponible au profit d’un renouvellement sur l’existant. Il faut permettre aux habitants actuels de faire évoluer leur logement au gré des évolutions de la cellule familiale », notamment en révisant le PLU et « les règles de la ville de pierre au cas par cas ».
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2 – Faut-il mieux encadrer les loyers et Airbnb ?
Si tous les mouvements politiques bordelais s’accordent sur le constat de la crise du logement, une vraie divergence idéologique demeure sur l’encadrement des loyers. Ceux-ci ont fortement augmenté à Bordeaux, passant de 9.1€/m2 avant 2011 à plus de 15€.
Après l’avoir voté dans la cadre de la loi Alur lorsqu’ils étaient au gouvernement, puis n’avoir finalement laissé aux métropoles que le droit de l’expérimenter, les socialistes demandent à la mairie d’instaurer l’encadrement des loyers à Bordeaux.
Les élus municipaux Verts et PS, ainsi qu’un collectif pour l’encadrement des loyers, voudraient que Nicolas Florian imite Clément Rossignol-Puech : le maire écologiste de Bègles a demandé au président de la Métropole, en charge de la politique logement, d’intercéder auprès du gouvernement pour obtenir son feu vert à une telle expérimentation.
Marché sous tension
Les loyers sont « relativement élevés au regard des revenus des ménages bordelais », reconnaît le document de la Ville sur le secteur du logement :
« Les loyers moyens se situent autour de 15,5 €/m² (soit 421 € par mois en moyenne) pour les T1 dans les zones les plus chères et peuvent aller au-delà de 20 €/m². Un T3 se loue en moyenne à 730 € par mois. »
Mais Nicolas Florian, comme Patrick Bobet, refusent de tester leur encadrement. A l’instar d’Alain Juppé qui avait une première fois enterré cette idée, ils invoquent la « stabilité » des loyers dans l’agglomération ces dernières années, et l’outil de l’encadrement des loyers à la relocation.
« Les récentes enquêtes menées par l’observatoire agréé indiquent une relative stabilité. Le loyer moyen augmente au rythme de l’indice règlementaire de révision des loyers (IRL) voire un peu en dessous. »
Cet IRL sert à calculer le plafonnement des augmentations de loyer lors de la relocation (remise sur le marché d’un bien libéré par son locataire). Cette forme d’encadrement des loyers, imposée par un décret du 27 juillet 2018, permettrait donc de contenir la hausse, estime la mairie.
Mais Matthieu Rouveyre (PS) doute de l’efficacité de cet encadrement des prix à la relocation :
« Les propriétaires ne sont pas tous au courant de cette obligation, les locataires ne sont pas toujours en position de faire valoir leurs droits, et on ne sait pas bien si des contrôles sont effectivement réalisés par les pouvoirs publics. »
Pour une police Airbnb
Aussi la gauche défend-elle le droit pour Bordeaux d’expérimenter comme à Lille ou Paris un remède qui ne peut être pire que le mal.
« La tension du marché locatif ne se mesure pas tant à l’évolution des loyers qu’au rationnement de l’offre locative privée face à une demande qui a considérablement augmenté ces dernières années », balaye toutefois le document de la mairie, visant ainsi plutôt la location saisonnière.
Pour cette raison, Thomas Cazenave est lui aussi contre l’encadrement des loyers. Selon le candidat marcheur, de nouvelles règles pourraient en outre « dissuader les propriétaires de mettre leurs logements sur le marché locatif, au profit d’Airbnb ».
Alors que Matthieu Rouveyre, fondateur de l’Observatoire Airbnb, préconise de baisser de 120 à 60 nuitées proposées à la location saisonnière pour les particuliers, le candidat macroniste rappelle qu’une telle décision n’est pas du ressort des communes. Il rejoint en revanche l’opposant socialiste sur la nécessité d’accroître les contrôles, la majorité des annonces étant illégales.
Et quand le socialiste propose de « créer une véritable police de la location saisonnière », le fondateur de Renouveau Bordeaux suggère de confier cette mission à une entreprise privée, comme pour le contrôle du stationnement à Bordeaux.
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3 – Doit-on réquisitionner les logements vacants ?
Selon l’Insee, Bordeaux compte 10590 logements vides (chiffres arrêtés en 2015), deux fois plus si on raisonne à l’échelle de la métropole. La statistique affole la gauche, qui réclame depuis des lustres l’application du droit de réquisition, à laquelle peut procéder la Préfecture sur demande de la Mairie.
Thomas Cazenave entend quant à lui diviser par deux ce chiffre, en procédant par l’incitation fiscale, puis par la contrainte si besoin. Il préconise qu’une réflexion soit menée pour permettre aux maires de majorer la taxe sur les logements vacants.
Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la cohésion sociale, assure que la Ville fait déjà beaucoup d’intermédiation auprès des propriétaires pour lutter contre la vacance.
Et si le think tank auquel elle participe, Bordeaux Demain, propose également de diviser la vacance par deux, il part d’estimations différentes. La Ville conteste en effet le chiffre avancé par l’Insee : selon elle, la vacance structurelle (plus de 1 an) représente 5099 logements, soit 3,3% du parc. Le nombre tombe à 1601 logements pour ceux inoccupés depuis 3 ans.
« Une vacance structurelle de 3% est considérée comme faible et ne se retrouve en général que dans les secteurs tendus, ce qui est le cas de Bordeaux », estime la mairie.
Débit foncier
Ce qui n’exonère pas de lutter contre ce phénomène, notamment afin de lutter contre l’habitat indigne. La mairie peut jouer de la préemption grâce à son bras armé, InCité.
Candidat indépendant aux municipales, Vincent Feltesse estime qu’elle doit davantage s’appuyer sur l’établissement public foncier (EPF) de Nouvelle-Aquitaine, chargé d’acheter des terrains pour lutter contre la spéculation immobilière.
« Les Bordelaises et Bordelais reçoivent en ce moment leurs impôts fonciers, a déclaré ce lundi en conseil municipal l’ancien président de la CUB. Ils ont pu remarquer une hausse de plus de 50% de la taxe spéciale. Celle-ci correspond au coût de l’EPF. Cet outil est utile, mais il doit être utilisé pour lutter contre la flambée des prix. Or, depuis 18 mois, la Ville n’a demandé aucune préemption notamment dans le domaine du logement. »
Pourtant, selon Vincent Feltesse, « c’est un outil d’autant plus indispensable que les prix continuent à flamber comme le rappelle la Chambre des notaires ». En février 2019, celle-ci a dressé « un constat simple et inédit : les trois plus fortes hausses mesurées, dans 81 villes françaises et sur un an, concernent des communes de la métropole ».
Sur le podium des villes qui ont vu leurs prix exploser en 2018, on trouve Pessac (+16,4%), Mérignac (+13,6%) et Bordeaux (+12,7%).
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