Ils habitent avec vue sur mer à la Pointe de grave, ou au milieu des pins derrière la plus haute dune d’Europe. Leurs résidences au bord de l’océan font rêver et pourtant, depuis quelques années, les résidents du littoral ont la vie dure. Entre les tempêtes à répétition, l’érosion dunaire et la lente mais non moins certaine montée du niveau de la mer, rien ne va plus.
La carte interactive de l’organisation scientifique américaine Climate Central permet ainsi de visualiser ce que serait littoral aquitain avec une élévation du niveau des mers d’1,1 mètre (prévision du GIEC) à 2 mètres (étude de Climate Central parue dans Nature). Et le constat est alarmant.
Érosion du littoral, tous concernés ?
Selon l’étude Eurosion menée par la Commission européenne en 2004, environ 1/4 du littoral métropolitain est en effet touché par ce phénomène d’érosion du trait de côte. Entre 5 000 et 50 000 logements pourraient ainsi être atteints par le recul du littoral en 2100 en France selon le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Le tout représente une valeur foncière estimée entre 0,8 et 8 milliards d’euros.
Or pour l’heure faute d’un outillage juridique et financier adapté, l’avenir du bord de mer et de ses habitants est en stand-by. Les risques liés à l’érosion n’étant pas critiques, les pouvoirs publics n’ont en effet pas pour l’instant la possibilité d’avoir recours de manière anticipée à une procédure d’expropriation pour « risque naturel majeur » sur les côtes sableuses et donc de détruire préventivement les biens menacés.
Le Premier ministre a donc missionné Stephane Buchou, député de Vendée, pour préparer un rapport interministériel préalable à une loi très attendue par les élus locaux. Il doit être remis ce jeudi à Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique.
Lors de journées d’études de l’Association nationale des élus du littoral qui se tenait à Bordeaux au mois d’octobre dernier, cela a occupé une partie des échanges entre experts et les maires de nombreuses stations balnéaires. Des outils de surveillance à la biodiversité, en passant par les stratégies de financement, les débats ont été parfois houleux.
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Avis de tempête sur le cadre légal
En particulier lorsque s’est posée la question de la « solidarité financière » avec les communes confrontées au problème d’érosion. Conscients de l’urgence climatique et de la nécessité de trouver rapidement de nouveaux financements pour y faire face, les édiles locaux ont prêché en grande majorité pour une répartition nationale de l’effort au travers de l’évolution du « fond Barnier », actuellement financé via une cotisation à hauteur de 12% du montant des polices d’assurance habitation.
Prétextant « le risque de non acceptabilité de la mesure », par la population générale qui pourrait voir le montant des polices d’assurance flamber, l’État, représenté par Stéphane Buchou, semblait cependant freiner des quatre fers.
L’indemnisation des catastrophes naturelles est en effet encadrée par la loi Barnier de 1995. Institué après les inondations de Vaisons-la-Romaine en 1992, le texte avait été profondément renforcé dans son volet littoral, suite à la tempête Xynthia de 2010. Il prévoit ainsi l’organisation du fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit Fonds Barnier) chargé d’aider les victimes d’expropriations suite à une catastrophe naturelle.
Cependant, comme l’a rappelé la Cour des compte en 2017 dans un rapport sur la gestion du fonds, il est destiné à la réinstallation de personnes vivant dans des zones où leur vie est directement menacée. Certains aléas climatiques considérés comme prévisibles ou assurables (neige, gel) sont donc exclus du dispositif. Ce fut ainsi le cas pour l’érosion dunaire menaçant l’immeuble du Signal, à Soulac (Gironde).
Éviter la jurisprudence
Pris dans un vide juridique, les propriétaires se sont ainsi vu interdire l’accès à leur bien immobilier pendant des années, sans pour autant en avoir été expropriés en droit. Construit à 250m du rivage dans les années 1970, le bâtiment était frappé par un arrêté d’interdiction d’occupation depuis janvier 2014 suite à un risque d’effondrement lié à l’érosion de la dune sous ses fondations.
Les propriétaires du Signal se sont battus pendant quatre ans, pour obtenir réparation. Le Conseil d’État a cependant jugé en août 2018 que l’érosion dunaire ne faisait pas partie des causes naturelles susceptibles de donner accès au Fonds Barnier. Ses anciens occupants ont cru en décembre dernier que l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement au projet de loi de finance en décembre dernier, leur permettrait de voir la fin du tunnel. A l’initiative de la députée LREM (ex PS) Françoise Cartron, ce texte leur octroyait 7 millions d’euros (une évaluation des Domaines) au titre de la prévention des risques.
Mais les occupants attendent toujours de savoir quand ils vont être indemnisés. L’immeuble, désormais désamianté, attend quand à lui celle-ci pour disparaitre du paysage.
« Ce sera forcement douloureux mais le jour de la démolition, je serai là, anticipe Jean-Baptiste qui a passé son enfance dans l’immeuble. Bien qu’il soit décrié pour son aspect esthétique, de l’intérieur, le Signal c’était magique. »
La procédure d’indemnisation a finalement été entérinée par Fabienne Buccio, préfète de la région Nouvelle Aquitaine en septembre dernier. Adopté à l’unanimité par la communauté de commune, le 17 octobre dernier, le protocole d’accord à été transmis à Bercy pour validation.
« Le protocole d’accord est particulièrement complexe d’un point de vue juridique, explique-t-on à la préfecture de la Gironde. C’est une situation particulière et il faut éviter de créer une jurisprudence », explique la préfecture.
Ce contrat transactionnel prévoit, contre indemnisation, le transfert des droits de propriété à la communauté de commune Médoc Atlantique et éteint toute possibilité de recours ultérieur. Les 75 copropriétaires de l’immeuble, devraient donc avoir des nouvelles sous peu. Ils tourneront ainsi la page de plus de quatre ans d’une procédure judiciaire dans un contexte législatif à haut risque.
Grain orageux au Pilat
Au pied de la plus haute dune d’Europe, on tente donc d’anticiper. La dune du Pilat recule dans la forêt, et ce phénomène de migration dunaire peut être accentué par l’érosion. Par endroits, elle se déplace à une vitesse supérieure à celle du recul du trait de côte. Or le site qui reçoit 2 millions de visiteurs chaque année et rapporte à l’économie locale près de 170 millions d’euros par an, appartient à près de 65% à des propriétaires privés.
Le 16 octobre dernier, la préfecture de Gironde a donc annoncé la tenue prochaine d’une « enquête parcellaire » en vue de déterminer la liste des terrains et immeubles situés sur ou à proximité de la dune à racheter. Ces expropriations sont possibles par la notion d’utilité publique et la nécessité de conservation du site.
Entre les ballets de parapentistes, les ascensions sauvages et les parkings surchargés, il s’agit pour la préfecture et le Conservatoire du littoral, en charge de l’opération, « d’assurer la protection des milieux dunaires et forestiers remarquables de la Dune du Pilat en reprenant la maîtrise du foncier ».
Une première vague d’expropriation a ainsi été menée dès 2016. Sur 177 parcelles identifiées, la moitié a été rachetée. Les autorités publiques souhaitent désormais l’acquisition des 178 hectares restants sur une surface globale de près de 400 hectares. Dans le respect des textes réglementaires, l’enquête publique est ouverte jusqu’à ce jeudi 28 novembre, à la mairie annexe du Pyla-sur-Mer, afin de permettre aux propriétaires de prendre connaissance du projet et de formuler leurs observations. Car si les parcelles sont majoritairement forestières, certaines comprennent d’anciennes cabanes de résiniers, réhabilitées au fil des ans et font aussi usage d’habitation.
A Biscarrosse, on rentre la terrasse
Mais ce qui est possible pour la dune du Pilat ne l’est pas sur l’ensemble du littoral et un peu plus au sud, sur la côte landaise, les dunes s’effondrent aussi. Confronté à un problème de sécurité lié à l’érosion, le maire de Biscarrosse, Alain Dudon (LR) a en effet pris le 21 juin dernier un arrêté pour interdire l’occupation de la terrasse de l’Hôtel de la plage ainsi que celle d’une des célèbres « maisons jumelles » voisine.
La région Nouvelle-Aquitaine envisage de reconstruire l’établissement plus à l’intérieur des terres. Pour ce faire, la Région, l’État, la Caisse de dépôts et consignations et le groupement d’intérêt public littoral (GIP) viennent d’allouer 180 000 euros à la commune de Biscarrosse afin de mettre en place un projet expérimental de « repli » du grand hôtel.
Mais devoir plier bagage, ne satisfait pas son propriétaire, Emmanuel Kot, un promoteur immobilier parisien. Dans un article du Monde, le propriétaire de l’hôtel historique qualifie la situation de « loufoque » et réfute le bien-fondé de cette décision. Déplacer le bâti dans une station balnéaire où très peu de bâtiments sont encore concernés par l’érosion du littoral, s’apparente pour lui à une gageure.
Mais à quelques dizaines de kilomètres plus au nord, le mot « repli » sonne désormais familièrement aux oreilles des habitants de Lacanau.
Lacanau : recul vers le futur ?
Frappée de plein fouet par les tempêtes de l’hiver 2013-2014, la station balnéaire girondine avait vu sa plage totalement disparaitre en quelques semaines à peine. La commune de 5 000 habitants avait alors dû entreprendre des travaux sur les « ouvrages de protection » de son front de mer permettant de sécuriser transitoirement les bâtiments en première ligne.
Elle pensait se donner trois décennies de répit pour un coût de 3 millions d’euros. Sauf qu’à l’horizon 2100, près de 1200 logements et une centaine de commerces seraient menacés, selon des prévisions optimistes sur l’élévation des océans… D’où la véritable prise de conscience d’une partie de la population de Lacanau, dont Gregory Achiary, qui gère une installation de loisirs en front de mer.
« Avant la tempête le sujet de l’érosion était peut-être déjà abordé mais je n’y prêtais pas vraiment attention. Voir la dune devant le surf club amputée d’une bonne partie de sa façade ouest à rendu les choses “vraies”, constatables et mesurables, ce fut assez choquant. Depuis je m’intéresse de beaucoup plus près au “problème érosion” et par conséquent, au devenir de ma ville. »
En juin 2016, avec le soutien du GIP Littoral Aquitain, la commune répond alors à un appel à projet national sur la « relocalisation des activités » et des biens et adopte une stratégie locale de gestion de la bande côtière. Outre la gestion des travaux à court terme et l’intégration du risque dans son PLU, plusieurs scénarios sont alors envisagés : la construction d’un nouvel enrochement de protection active ou un « repli stratégique » d’une partie du front de mer.
La protection en dur exige d’augmenter la hauteur et la longueur de la digue existante. Outre la nécessité de travaux d’entretiens réguliers coutant 3 à 5% du prix de l’installation et un coût de construction de 32 millions d’euros, cette solution présente, de plus, l’inconvénient d’augmenter l’érosion en amont et en aval de la digue.
Repli
En cas de « repli stratégique » avec une procédure d’expropriation classique par la puissance publique, l’addition pourrait se chiffrer à plusieurs centaines de millions d’euros. Le projet de relocalisation pose en outre la question de l’artificialisation des sols et risque de se confronter à la limite des 100m non constructibles imposée par la Loi Littoral.
Ce qui se joue sur la côte aquitaine est donc l’amorce d’une réflexion essentielle, à laquelle le rapport Buchou se doit d’apporter quelques réponses Qui financera les projets de relocalisation des communes du littoral ? Pourra-t-on encore vivre demain au bord de la mer alors que le littoral continue à se densifier ?
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