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Au tribunal de Bordeaux, les « décrocheurs » de portraits de Macron plaident l’état de nécessité

Ce vendredi, huit militants écologistes étaient jugés à Bordeaux, après avoir décroché des portraits d’Emmanuel Macron dans cinq mairies du département, afin de dénoncer l’inaction du président contre le changement climatique. Le ministère public a requis 500 euros fermes d’amende pour « vol en réunion ». Leurs avocates plaident la relaxe. Le jugement a été mis en délibéré au 20 décembre.

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Au tribunal de Bordeaux, les « décrocheurs » de portraits de Macron plaident l’état de nécessité

Ils entendent dénoncer « l’inaction climatique » au sommet de l’État. Huit activistes d’Action non-violente COP21 (ANV-COP21), âgés de 21 à 63 ans, ont comparu vendredi 13 décembre devant la 5e chambre du tribunal de grande instance de Bordeaux, après avoir « réquisitionné » des portraits du président Emmanuel Macron dans les mairies de cinq communes du bassin d’Arcachon.

Les militants comparaissent notamment pour la subtilisation du portrait présidentiel à la maire de La Teste (DR)

Accusés de vol aggravé, ils reconnaissent avoir participé le 28 mai dernier à cette action de « désobéissance civile » s’inscrivant dans le cadre de la campagne « Décrochons Macron ». A l’échelle nationale 134 portraits du président de la République ont ainsi été subtilisés ces derniers mois. Le « vol en réunion » est un délit pour lequel la peine maximale encourue est de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

« Réquisition »

Représentés par Maîtres Ophélie Berrier et Nathalie Noël, les prévenus remettent en question la qualification de vol, y opposant la notion de « réquisition ».

« C’est une action symbolique. Les accusés n’ont jamais eu l’intention de se les approprier. Il est clair depuis le début qu’il y a une volonté des activistes de rendre les portraits le jour où les engagements du gouvernement en matière climatique seront respectés » explique Maître Berrier.

Manifestation ce vendredi devant le TGI (Photo Roland Kara/DR)

Un argument qui ne convainc pas la procureur qui rétorque que « si le symbole appartient à tous, l’objet appartient à la mairie ». Quant à la cour, elle s’interroge sur la méthodologie et le devenir de ces portrait dont nul ne sait où ils se trouvent en dehors des temps d’exposition médiatique.

L’avocate précise que « certains ont été confiés à des hommes politiques ». Les noms de Philippe Poutou, ainsi que du député insoumis de La Somme, Francois Ruffin, sont alors évoqués.

Le 16 juillet, les activistes d’ANV-COP21 ont remis aux ouvriers de Ford 6 portraits du président Emmanuel Macron pour les soutenir dans leur lutte contre la fermeture de Ford (ANV-COP21 / Ford Blanquefort)

« Si on reste dans cette logique ce sont donc des receleurs. C’est une blague ! Ils nous manque une partie de l’histoire ! »

Les avocates insistent donc sur l’exonération de responsabilité liée à l’état de stricte nécessité.

« Urgence climatique »

« L’extinction du vivant ce n’est pas “bientôt”, c’est du passé et du présent » lance Thomas A., enseignant, venu répondre de ses actes à la barre.

« Nous vous demandons d’entendre que nous nous sentons démunis face à des politiques qui privilégient les intérêt économiques aux intérêts écologiques. »

Un constat appuyé par les témoignages de Jean-Baptiste Sallé, climatologue du CNRS, et du député LFI de Gironde, Loïc Prud’homme. Le CETA (Accord économique et commercial global), la niche fiscale sur le kérosène dans l’aviation, ou encore la baisse de dotation de Météo-France seront ainsi évoqués.

« Les gestes individuels ne représentent que 25% du changement climatique. On ne fera pas de transition écologique sans changement de politique radicale », insiste Juliette D., médecin généraliste, également prévenue.

Collégialement les huit prévenus qui se revendiquent de l’écologie politique, tendent à démontrer « l’aspect systémique des luttes écologistes et (…) l’épuisement de tout les recours ». A plusieurs reprises les notions de vote et de recours en justice contre l’État dans le cadre de l’affaire du siècle sont abordées.

Les prévenus arrivent au tribunal de Bordeaux (Photo Xavier Foreau-Pressenza/Dr)

Certains d’entre eux ont participé aux manifestations des gilets jaunes, à des ouvertures de squats lors des expulsions l’été dernier ou encore aux mobilisations syndicales.

Tandis que le ministère public s’inquiète du jusqu’au boutisme potentiel de la démarche, les activistes réfutent que la radicalité de leur message soit synonyme de violence.

« Digne d’une enquête pour trafic de stups »

Géolocalisation, réquisition des données CAF ou Pôle emploi… Des moyens considérables, « dignes d’une enquêtes pour trafic de stups », ont été déployés pour des portraits d’une valeur de 8€, tance Me Berrier.

Une dizaine de procès similaires sont pourtant en cours partout en France. A Bourg-en-Bresse au printemps dernier, un militant a ainsi été condamné à une amende de 250 euros ferme lors du premier procès de « décrocheurs ».

Au mois de juin, le tribunal correctionnel de Strasbourg a quant à lui relaxé trois activistes. Et même sentence à Lyon, où en septembre deux militants ont été relaxés “au bénéfice de l’état de nécessité pour motif légitime”. Le parquet a cependant fait appel de cette décision.

Clément Rossignol Puech, maire de Bègles, aux côtés des militants d’ANV COP21 Dans certaines communes du département les maires ont « joué » le jeu du décrochage volontaire (ES/Rue89 Bordeaux)

« On ne cherche pas des procès à tout prix mais c’est une occasion supplémentaire de dénoncer le double discours d’un président qui ne respecte pas les accords de la COP 21, explique Remy, animateur d’ANV-COP21. Cela permet aussi mettre en lumière que partout en France des citoyens sont prêts à mettre leur liberté en jeu pour porter ce message».

Une peine de 500 euros requise

Si en cours d’audience le représentant du ministère public qualifie ce procès de « rafraichissant » au regard des affaires criminelles habituelles, il requiert toutefois une peine d’amende de 500 euros ferme à l’encontre de chacun des activistes, plus 150€ pour ceux ayant refusé les prélèvements biologiques. Le jugement est mis en délibéré au 20 décembre prochain.

Et si le tribunal de Bordeaux ne penche pas vers une sentence à la lyonnaise, les « décrocheurs » préviennent :

« On ne laissera les enjeux climatiques faire l’objet d’une récupération électorale ou de hold-up municipal. »


#justice climatique

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