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Privés d’amphis, profs et étudiants veulent revenir sur les bancs

Ce mardi 26 janvier marquait une journée de mobilisation nationale des étudiants, réclamant une reprise des cours et demandant des actions contre la précarité et l’isolement. À Bordeaux, plusieurs mobilisations ont émaillé la journée. Rencontre avec certains de leurs acteurs.

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Les étudiants se sont mobilisés place de la Victoire pour réclament la réouverture des Universités

À Bordeaux, les différents syndicats ont choisi d’occuper le terrain tout au long de la journée plutôt que de gonfler les chiffres par une manifestation commune. Des actions qui entrent dans le cadre de la journée de mobilisation nationale de ce mardi 26 janvier, pour demander la reprise des cours en présentiel et dénoncer la précarité psychologique et économique des étudiants. Place de la République le matin, place de la Victoire l’après-midi, Rue89Bordeaux est allé à leur rencontre pour leur donner la parole.

Alors que les manifestants se rassemblent place de la République, mardi matin, pour une manifestation initiée par les enseignants et à laquelle plusieurs dizaines d’étudiants sont venus se greffer, Lola attend que le cortège s’élance. Étudiante en première année de sociologie, elle est venue manifester son sentiment d’injustice quant à sa situation.

« Les lycéens peuvent aller en classe, les centres commerciaux sont ouverts tous les samedis. Et nous, on n’a toujours pas le droit d’aller en classe. Je trouve ça injuste. Je suis en première année et je ne suis allée qu’un mois à la fac. L’année dernière, je n’ai déjà pas vraiment passé mon bac puisqu’il y avait le contrôle continu. Au final, j’ai l’impression d’être confinée depuis un an. J’habite près de Pau, c’est ma première année à Bordeaux et en fait, je n’y suis jamais, puisque j’ai passé le confinement chez mes parents cet automne. J’ai l’impression de ne pas avoir de vie étudiante. Pas seulement les soirées, ce n’est pas le plus important. Ce sont surtout les cours… J’ai au moins la chance de ne pas avoir beaucoup de difficultés financières, mais je connais certaines personnes dans ma licence qui ne pourront pas revenir parce qu’ils ont été obligés de rendre leur logement. »

« Ça va être une catastrophe sur le marché du travail »

Les manifestants s’élancent et remontent le cours d’Albret. Parmi eux, Amélie et Théodore, respectivement étudiants en master 2 d’archéologie et d’archéométrie. Si elle n’oublie pas les difficultés d’intégration pour les étudiants en licence, Amélie craint aussi pour sa future insertion sur le marché du travail.

Amélie et Théodore ont manifesté pour la reprise des cours à l'université
Amélie et Théodore ont manifesté pour la reprise des cours à l’université Photo : JJ / Rue89Bordeaux

« On ne nous écoute pas. On minimise toujours l’impact de la crise sur les jeunes. On dit que tout ce qu’ils veulent, c’est boire des bières. Mais c’est bien plus que ça. C’est horrible de se lever le matin en se disant qu’on n’a plus d’avenir. Bien sûr, on comprend les conditions sanitaires, mais on veut des solutions concrètes. J’aurais détesté vivre ça pendant mes premières années d’études. Ça va être une catastrophe sur le marché du travail. Je suis déjà diplômée d’un master 2 que j’ai fini l’année dernière. Il aurait normalement pu m’assurer une reprise en thèse, mais tous les projets ont été bloqués. J’ai été contrainte de reprendre une année d’étude. Ça me fait très plaisir parce que je continue ma passion, mais c’est une année de plus où je demande l’appui financier de mes parents, alors qu’à mon âge, je devrais être autonome financièrement. Une année de plus, dont je me dis qu’elle ne sert peut-être à rien parce qu’il n’y aura pas forcément plus d’opportunités au mois de juin. Je termine mes 6 années d’études et je n’ai aucun avenir devant moi. »

« On sent le décrochage des étudiants par leur silence »

Un peu plus à l’arrière du cortège, les enseignants emboîtent le pas des étudiants. Des enseignants du primaire, du secondaire, mais aussi du supérieur. Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire de l’antiquité grecque à l’université Bordeaux-Montaigne, est particulièrement remonté contre les tâtonnements du gouvernement.

Stéphane Pébarthe, maître de conférences à l'université Bordeaux-Montaigne, manifestait pour la reprise des cours à l'université
Stéphane Pébarthe, maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, a défilé pour une reprise des cours en présentiel Photo : JJ / Rue89Bordeaux

« On est laissés à l’abandon d’une manière scandaleuse et inégalitaire, puisque les classes préparatoires, qui concentrent les enfants des catégories les plus favorisées, travaillent en classes entières depuis septembre. La situation d’aujourd’hui est une production directe des politiques qui ont précédé l’épidémie. La crise sanitaire, ce n’est que la mise à nu du système tel qu’il a été détruit depuis 30 ou 40 ans. En tant qu’enseignant, on sent évidemment le décrochage des étudiants. On le sent surtout par le silence, en fait, quand les étudiants ne répondent plus. Et puis tout est désorganisé. D’un côté, on dit aux étudiants ‘Venez pendant deux heures, on va travailler en petits groupes en respectant les consignes’. Mais juste avant et juste après, ils ont un cours sur zoom. Il faudrait organiser l’emploi du temps pour qu’ils aient le temps de prendre le tram et venir sur le campus. Mais comme le ministère gère à vue, personne ne peut s’assoir autour d’une table pour discuter concrètement. Et maintenant, on a la menace d’un nouveau confinement, donc plus personne ne voit pourquoi on devrait organiser ce retour pour quelques semaines à peine. »

« La vie sociale fait partie de la vie universitaire »

L’après-midi, un peu moins d’une centaine d’étudiants étaient mobilisés place de la Victoire, répondant à l’appel de la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes). Sit-in, chorégraphies et slogans, les étudiants entendaient montrer leur capacité à se rassembler tout en respectant les consignes sanitaires. Florian est en reprise d’études, en première année de sociologie. Lui aussi témoigne de la difficulté de suivre son enseignement à distance.

Florian a participé au rassemblement place de la Victoire pour la reprise des cours à l'Université
Florian a participé au rassemblement place de la Victoire pour la reprise des cours à l’Université Photo : JJ / Rue89Bordeaux

« Depuis octobre, on est pleinement en distanciel, avec des cours sur zoom. La reprise des activités universitaires a été annoncée cette semaine, mais ici, à la Victoire, en sociologie, les conditions matérielles ne le permettent pas et, surtout, les annonces sont tombées au dernier moment. Les examens aussi, on les a passés à distance. Ça a posé plein de problèmes pédagogiques pour des matières où ce n’était absolument pas compatible. Au premier semestre, une partie de la méthodologie n’a pas pu être assimilée. On envoyait juste des devoirs, les professeurs nous répondaient avec des notes et des remarques, mais si on avait été en TD, il y aurait eu un véritablement accompagnement pédagogique. Là, beaucoup d’étudiants sont largués, bien plus que les années précédentes. Moi, je suis en reprise d’études, mais dans ma promo, il y a beaucoup de jeunes qui sortent du lycée. C’est une nouvelle vie, parfois dans une nouvelle ville. Toute cette partie vie sociale, elle fait partie de la vie universitaire. Elle est nécessaire, à côté des études, notamment pour le moral des étudiants. Et elle est complètement abandonnée. »

« La jeunesse, c’est le moment où on se construit le plus »

Pendant le sit-in, Lise et Marie, étudiantes en troisième année de mathématiques, brandissent leur pancarte où l’on peut lire « Nous sommes l’avenir, laissez-nous revenir ! ». Pour Lise, cette période est particulièrement compliquée pour les étudiants de première année, qui ont besoin des rencontres que permet habituellement la vie étudiante pour se construire personnellement.

Amélie et Lise étaient présentes place de la Victoire pour réclamer la réouverture des Universités
Amélie et Lise étaient présentes place de la Victoire pour réclamer la réouverture des Universités Photo : JJ / Rue89Bordeaux

« Avec le couvre-feu, on a cours de 9h à 18h. Le soir, si je dois faire des courses, je suis parfois obligée de louper des cours. L’isolement est très compliqué. On a des moments où on se dit ‘Ça va aller’, mais d’autres où on se demande ce qu’on va faire de notre vie, des moments où on doute de notre orientation. On se demande pourquoi on fait tout ça alors que nos diplômes risquent d’être dévalorisés. Je pense que le pire, c’est pour les L1. Ils arrivent ici, quittent le lycée, le foyer familial, ils se retrouvent seuls dans un appartement, à ne pas pouvoir s’intégrer … Et le contact social, c’est une énorme part dans notre construction personnelle. On va travailler dans une équipe plus tard, on sera amenés à côtoyer plein de gens et moi, après le premier confinement, je me suis rendue compte que j’avais peur du monde, que je n’avais pas envie de sortir, que j’avais peur de parler. C’est très compliqué, après avoir passé énormément de temps seul, de retrouver du lien social. Et la jeunesse, c’est le moment où on se construit le plus. On quitte le lycée, on quitte toutes les étiquettes qu’on pouvait avoir et c’est le moment où on arrive à se trouver vraiment, à se développer en tant que personne. »


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