C’est au rythme d’une micheline cacochyme qu’avance le recours de LGVEA (Landes Graves viticulture environnement en Arruan) contre la prorogation en 2022 de la déclaration d’utilité publique (DUP) des aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB). Déposée il y a environ deux ans, cette requête est toujours au stade de l’instruction et ne sera jugée que dans 6 à 9 mois.
« Cela veut dire que ce sera trop tard dans la mesure où les travaux auront été bien engagés. On ne peut pas attendre, on demande donc la suspension de la DUP et donc du chantier le temps que ce jugement sur le fond soit prononcé », explique Denis Teisseire, de Transcub.
Coup parti
Cette association est partie prenante de la requête en référé-suspension déposée le 18 novembre dernier par LGVEA et le Château d’Eyrans, qui possède des parcelles viticoles menacées par la LGV, tout comme la mairie de Saint-Médard-d’Eyrans et la communauté de communes (CDC) de Montesquieu.
Ces deux territoires sont censés être traversés à la fois par les AFSB et par le tronçon commun des lignes nouvelles Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax (GPSO, grand projet ferroviaire du Sud Ouest), qui se sépareront au sud de la Gironde. « C’est dans la continuité de toutes les actions qu’on a entreprises avec la commune et la CDC : nous soutenons financièrement ces démarches juridiques de LGVEA », justifie Christian Tamarelle, maire de Saint-Médard-d’Eyrans.
« On a toujours dit qu’on était contre ce projet inutile et financièrement indécent – 20 milliards d’euros pour GPSO, auxquels doivent contribuer des collectivités à qui on demande par ailleurs de faire des économies, pointe l’élu. Le coup semble parti, SNCF Réseau a commencé à démolir des maisons et défricher des terrains et pendant 7 à 8 ans, les populations vont être dérangées par des déviations, des poussières, du bruit et de la boue… Mais on garde l’espoir que ce chantier soit arrêté. »
Urgence et doute
Les deux conditions posées par le juge pour valider un référé-suspension – l’urgence et le doute sérieux quant à la légalité de la décision -, sont réunies aux yeux de Denis Teisseire :
« La première semble établie puisque les travaux ont déjà débuté depuis l’autorisation du préfet suite à l’enquête publique environnementale. Dès le 15 décembre, cela va entrainer des changements d’horaires, avec des trains qui vont perdre 10 minutes dans chaque sens. Quant aux motifs de doute, le juge des référés n’a pas à se substituer au juge du fond mais à déterminer si les éléments que nous apportons sont sérieux. Et nous pensons qu’ils le sont. »
Le fondateur de Transcub évoque « trois éléments difficiles à balayer » : d’abord, « le fait que SNCF Réseau a abandonné entre la DUP et le projet actuel l’idée d’une troisième voie réservée à tous les TER périurbains entre Langon et Bordeaux », pour éviter le mélange des trains lents et des trains rapides. Cette séparation n’étant plus d’actualité, la création coûteuse d’une 4e voie au niveau des gares pour permettre le croisement des trains ne l’est pas non plus, selon les associations.
Ensuite, les critères de fréquentation du porteur de projet montrent des écarts substantiels entre les prévisions pour les AFSB et la réalité actuelle, notamment en gare de Bègles : SNCF Réseau évoque 559000 voyageurs montés ou descendus en 2024 en situation de référence, alors qu’il n’y en a eu que 51657 en 2023, soit 10 fois moins. « Une progression de 280000 voyageurs prévue à la gare de Bègles pour 2024 est impossible », et « fausse l’économie générale des AFSB », tranche LGVEA.
Des « modifications substantielles »
« On démontre que la troisième voie n’est pas utile car il n’y aura pas de saturation des voies jusqu’en 2080. Ce n’est pas nous qui le disons mais SNCF Réseau dans sa réponse aux questions des parlementaires, et ce n’est plus la même musique », abonde LGVEA.
Enfin, Denis Teisseire pointe « le changement radical des modalités de financement » :
« Dans le dossier d’enquête publique, la participation des collectivités locales aux AFSB était de 107 millions d’euros, elle est passée à 360 millions, soit une multiplication par 3,4, représentant 40% du financement total. Le financement public est lui passé de 50% à 80%. C’est ce qu’on appelle des conditions nouvelles qui impliquent que le préfet aurait du faire une nouvelle enquête publique, et non prolonger la DUP de 2015. »
Les « changement sont tels qu’il faut repartir à la case départ », martèle-t-on du côté de LGVEA, qui juge « solides » ses arguments :
« Un préfet peut prolonger de 5 ans une déclaration d’utilité publique s’il n’y a pas de modification substantielle du projet. Or la jurisprudence du Conseil d’État considère généralement qu’une augmentation de plus de 30% des coûts d’un projet est une modification substantielle. Dans le cas des AFSB, cette augmentation est de 59%, de 613 à 974 millions d’euros. »
Sur la même voie que l’A69 ?
Une date d’audience est fixée pour le 3 décembre, mais pourrait être repoussée de quelques jours à la demande de SNCF Réseau et de la Préfecture. En cas d’appel, celui-ci serait effectué directement au niveau du Conseil d’Etat. Si le tribunal administratif de Bordeaux ordonne la suspension de la DUP, cela entraînerait automatiquement l’arrêt des travaux, dans l’attente du jugement sur le fond.
Si l’issue judiciaire est indécise – LGVEA rappelle avoir gagné en première instance contre la DUP des AFSB, en 2017, avant de perdre en appel puis devant le Conseil d’Etat -, les associations voient comme un bon présage le récent rebondissement dans les procédures contre l’A69 : le rapporteur public, dont les avis sont suivis à 90% par le tribunal administratif de Toulouse, vient de demander l’annulation de l’autorisation de ce projet d’autoroute très contesté entre Castres et Toulouse.
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