Alain Juppé a envie d’en découdre. Alors que le conseil municipal de Bordeaux doit débattre ce lundi des orientations budgétaires pour 2018, l’occasion est trop belle pour le maire de « claquer le bec » du président des Républicains, qui l’a allumé sur la gestion de la Ville. Dès le point presse, le maire plante une première banderille contre le patron de LR et ses propos « lamentables » :
« La dette par habitant de Bordeaux est dans la bonne moyenne des villes de sa strate (plus de 100 0000 habitants), à 1024 euros par habitant (contre 883 euros au 1er janvier 2017, NDLR). Je relève au passage que la ville du Puy-en-Velay, gérée jusqu’en 2016 par Laurent Wauquiez, affiche un endettement supérieur de 20% aux villes de la même catégorie (1129 euros contre 942 pour les communes de 10 à 20000 habitants). Certains ne sont donc pas fondés à donner des leçons aux autres. »
Point taux n’en faut
La mairie dégaine de son dossier de presse des diagrammes flatteurs, sur l’évolution de la taxe foncière depuis 2002 (de +9,83% à Bordeaux contre 17,11% pour la moyenne des grandes villes), et sur le taux de taxe d’habitation – qui à 32,35% situe Bordeaux « dans le trio des métropoles les moins fiscalisées de France », derrière Nice et Lyon.
Cher @laurentwauquiez le taux agrégé ville de @Bordeaux + @BxMetro (ce qui figure sur l’avis d’imposition), nous fait apparaître parmi les villes-centres les moins fiscalisées de France ! @nflorian33 Merci @alainjuppe ! pic.twitter.com/P8hjELhjf1
— Fabien ROBERT (@fabienrobert) 22 février 2018
De nouvelles recettes
La Ville escompte dégager 102 millions d’euros de taxe d’habitation, et 123 millions au titre des taxes foncières, sur 411 millions de recettes de fonctionnement. Si Nicolas Florian a promis qu’il n’ y aurait pas de hausse d’impôt, il y aura bien des rentrées supplémentaires, avec deux évolutions significatives : la réduction du taux d’abattement à la base de la taxe d’habitation, jusqu’ici dérogatoire au droit commun, passera de 18,92% à 15%, le maximum toléré par la loi.
Destinée à contrer l’effet Airbnb, la surtaxe sur les résidences secondaire augmentera de 20% à 50%, ce que préconisait l’opposition il y a un an. Alors que cet impôt sur plus de 6000 résidences rapportera près de 1,5 million d’euros, Pierre Hurmic, conseiller municipal écologiste, regrette que la mairie n’ait pas choisi d’aller jusqu’au maximum de 60% autorisé par la loi, ce qui aurait permis de récolter 500000 euros supplémentaires.
Enfin, la nouvelle politique de stationnement rapportera 3 millions d’euros supplémentaires. Du « racket », reprennent en cœur certains élus socialistes de la Ville. A peine de quoi payer le recrutement des nouveaux agents de la police municipale, estime la mairie.
Les arguments sont les mêmes que ceux avancés il y a une semaine par Nicolas Florian, l’adjoint aux finances d’Alain Juppé, pour contrer Laurent Wauquiez. Pour le maire de Bordeaux, « la fiscalité est maîtrisée » car ces taux « ne bougeront pas ». Mais la situation financière de la Ville est loin d’être idyllique, rétorque en séance l’opposant socialiste Matthieu Rouveyre :
« Vous comparez des taux d’imposition, j’espère que ça ne prend pas. Les Bordelaises et les Bordelais ne payent pas des taux, mais le produit des taux sur une base, la valeur locative d’un bien immobilier. Lille a certes le taux global de taxe d’habitation le plus élevé (45,65%, NDLR), mais sur des bases très faibles, le produit est donc moins fort qu’à Bordeaux, première ville la plus fiscalisée de France en taxe foncière et 2e en taxe d’habitation ! C’est une vaste fumisterie pour tenter de dissimuler la réalité. »
Le conseiller municipal PS va plus loin encore, accusant la mairie de « dissimuler une partie de l’endettement » en confiant « une partie du stock à la métropole » : le remboursement du nouveau stade à SBA, désormais honoré par Bordeaux Métropole, mais que paye la ville, sans que la loi ne lui impose de consolider cette dette, affirme Matthieu Rouveyre. Celui-ci se demande enfin comment la capacité de désendettement de la ville « est passée d’un coup de baguette magique de 9,8 années lors du dernier débat d’orientation budgétaire (voir page 33) à 4 années en 2018″.
Détox
Selon la mairie, cette capacité de désendettement, qui mesure le nombre d’années d’épargne nécessaire à rembourser la dette (y compris les PPP, le nouveau stade et la Cité municipale) « passerait de 4 ans fin 2018 à 6,6 ans fin 2020, et ne franchirait pas le seuil de 12 ans sur la période allant jusqu’en 2022 ». Mais elle s’en rapprocherait dangereusement, à 11,7 ans à cette date…
En cause : une baisse significative de l’épargne nette, qui passerait de 39 millions d’euros en 2018 à 1,3 million en 2022. Il s’agit là des sommes que la ville parviendrait à épargner si elle maintient une politique élevée d’investissements (85 millions d’euros prévus en 2018).
« Je reprends les propos du maire, la situation est tendue, affirme l’élu PS Vincent Feltesse. Cette dégradation de l’épargne nette est même inquiétante. Merci à la métropolisation et à la mutualisation des services qui soulagent Bordeaux. Mais on peut s’inquiéter d’une prochaine mandature sans grands investissements. »
Bijou, bijou
« La caisse ne sera pas cramée, elles sera complètement carbonisée en 2020 », lâche Matthieu Rouveyre, pour qui la mairie se dirige vers « une cure d’austérité, après avoir vendu les bijoux de famille » (Gaz de Bordeaux, hôtel de Raguenau…).
« Comment Laurent Wauquiez était-il aussi bien renseigné sur les comptes ? feint de s’interroger le vice-président du conseil départemental de la Gironde, en visant la première adjointe du maire, et bras droit de Laurent Wauquiez chez Les Républicains. Nous appelons à ce que l’ambiguïté soit levée madame Calmels. Vos deux positions sont difficilement conciliables, l’un des deux ment sur la situation financière de la ville. Lequel est-ce ? »
Réponse d’Alain Juppé à cette « farce politico-partisane ridicule » :
« Je savoure avec une grande gourmandise cet axe Wauquiez-Rouveyre. L’hypothèse la plus évidente, c’est que la source, c’est vous même, et c’est pour ça qu’ils s’est planté. Il aurait été mieux inspiré de téléphoner à monsieur Florian ou madame Calmels. »
Ticket chic
S’élevant contre les « allégations d’une rare virulence, pour ne pas dire diffamatoires », Virginie Calmels réplique à son tour :
« Laurent Wauquiez ne m’a pas consulté ni avant son intervention à l’EML ni avant son émission sur BFM TV (…). Dans cet hémicycle (sic) depuis 4 ans, je ne me suis jamais désolidarisée de cette équipe et je ne vais pas commencer aujourd’hui. Je suis fière du travail accompli et Laurent Wauquiez a quand même souligné le dynamisme et le réveil de cette ville. »
L’adjointe en charge de l’économie en profite au passage pour faire reluire son bilan, « un accroissement des créations d’emploi incroyablement significatif » – près de 10000 dans la métropole. Applaudissements de la majorité et d’Alain Juppé himself :
« Je me suis fixé une règle, ne pas mélanger le locale et national. Nous avons fait parfois des choix différents, nous les avons respectés, mais ce que je demande c’est la solidarité la plus totale de la majorité municipale qui me soutient. Et je constate que Virginie Calmels a toujours été d’une parfaite solidarité (…), je voudrais l’en remercier. A aucun moment sa fidélité et sa solidarité n’ont posé problème. »
Ce n’est pas un mince exploit réussi là par l’enregistrement pirate de Laurent Wauquiez : parvenir à ressouder le ticket de la droite bordelaise pour 2020.
Un budget sous influence jacobine
« Une caisse cramée, c’est beaucoup de CO2 même si ça libère une place de stationnement », remarque astucieusement Pierre Hurmic, en référence aux deux premiers sujets abordés en conseil, le rapport sur la situation en matière de développement durable de la Ville, et le looooong et Xe débat sur la politique de stationnement.
Le conseiller municipal écologiste est aussi le seul à s’inquiéter du « mouvement de recentralisation d’un pouvoir particulièrement jacobin ». Il fait référence à la nouvelle règle d’or, qui contraint les grandes villes et établissements intercommunaux à ne pas augmenter de plus de 1,2% leurs dépenses de fonctionnement.
Celles de Bordeaux seront ainsi limitées à 1,17% en 2018. « Le principe de libre administration est malmené, et cette rigueur ne s’impose pas puisque le budget des collectivités locales doit être structurellement à l’équilibre », rappelle Pierre Hurmic. Il souligne en outre que leurs ardoises cumulées pèsent moins de 9% de l’ensemble de la dette publique.
« Je vous ai connu plus critique sur la sévérité de l’État envers les collectivités », lance-t-il à Alain Juppé. Cela n’a sans doute rien à voir avec la présence à Matignon du très juppéiste Édouard Philippe.
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