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5 ans après les Gilets jaunes, les services publics et la vie chère au cœur des doléances

Le 17 novembre 2018, le mouvement des Gilets jaunes surgit en France et Bordeaux en devient aussitôt une place forte. Des cahiers de doléances ont été rédigés lors des mobilisations et du Grand Débat national, et un chercheur, Samuel Noguera, les étudie actuellement en Gironde.

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5 ans après les Gilets jaunes, les services publics et la vie chère au cœur des doléances

C’est sans doute le plus spontané de l’histoire des gros mouvements sociaux en France, et paradoxalement le plus organisé. Le mouvement des Gilets jaunes a surpris la France entière par son ampleur, et aussi par ses codes : une tenue (le gilet jaune), un rendez-vous (le samedi), un lieu (le rond-point) et une récurrence (les « actes »).

Le premier acte s’est tenu le 17 novembre 2018 à Bordeaux comme partout en France autour d’une protestation contre l’augmentation du prix des carburants avec blocages de ronds-points et manifestations. Les cortèges déferlent dans les rues de Bordeaux, aboutissant parfois à des faces-à-faces violents avec les forces de l’ordre.

Un premier blessé grave à Bordeaux survient le 8 décembre, Antoine Boudinet, un manifestant de 26 ans a la main arrachée par l’explosion d’une grenade lacrymogène place Pey Berland. Le jour même, dans ce même quartier, Sophie Lacaille, originaire de Rouen, est victime d’un tir de LBD (Lanceur de balles de défense) déclenché par un CRS. Le 12 janvier 2019, c’est un pompier volontaire de Bazas de 47 ans, Olivier Béziade, qui est touché lui aussi à la tête par un LBD alors qu’il manifestait en famille rue Sainte-Catherine.

Les violences policières sous le préfet Didier Lallemand se multiplient, elles sont notamment épinglées par l’Observatoire girondin des libertés publiques. Sur le terrain, les journalistes et les photographes s’en plaignent. Les condamnations de ces violences prennent toutes les formesmêmes les plus inattendues.

53 actes

Au fil des 53 actes, plus ou moins suivis entre 2018 et 2019, les revendications évoluent. Les Gilets jaunes dénoncent la vie chère et la qualité de vie, les écarts entre les métropoles et les milieux ruraux, les privilèges et la verticalité du pouvoir… Ils réclament une démocratie permanente et participative, le fameux RIC : Référendum d’initiative citoyenne.

Pour répondre à la colère des manifestants, le gouvernement concède des mesures d’urgence économiques et sociales. Il lance un grand débat national sur « quatre thèmes qui couvrent des grands enjeux de la nation : la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’Etat des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté ».

En Gironde, 364 cahiers de doléances girondins d’expression libre sont produits dans le cadre de la mobilisation des Gilets jaunes et du Grand Débat national. Ils sont actuellement déposés aux Archives départementales. Depuis un an, et pour une durée de trois ans, Samuel Noguera effectue un travail de recherche sur ces documents pour le compte du conseil départemental de la Gironde.

Désenclaver les territoires

Environ 5000 contributions ont été recueillies sur les ronds-points et dans les 535 communes girondines, « partout dans le Médoc, le Libournais et l’Entre-Deux-Mers », précise le chercheur qui en a déjà épluché « le quart » :

« Il y a des cahiers issus de communes très rurales où on trouve deux ou trois contributions. D’autres cahiers, comme à Mérignac ou Bordeaux, en contiennent plusieurs centaines. »

Outre la retranscription et leur analyse prévue à l’aide des logiciels de recherche, « des entretiens avec ceux qui ont mis ces cahiers en place et avec les personnes qui y ont contribué » sont à venir selon Samuel Noguera. A-t-il déjà relevé une particularité girondine ?

« S’il y en a une, elle est liée au clivage entre les territoires les plus ruraux du département et les territoires les plus urbains, la métropole bordelaise autrement dit. Beaucoup de ces doléances notent l’enclavement de ces territoires et réclament des services publics plus performants. »

Des bureaux de postes, des services médicaux ou des moyens de transports plus efficaces, dans une région où les déserts médicaux se développent.

Une Gilet jaune devant un feu au croisement du cours Victor Hugo et de la rue Sainte-Catherine Photo : BG/Rue89 Bordeaux

Manques de services publics

« Il y a de moins en moins d’hôpitaux ou de médecins, il faut donc se déplacer jusqu’à la métropole, développe Samuel Noguera. Les doléances demandent à la fois de rendre public certaines portions d’autoroutes par exemple, mais aussi de créer des aménagements routiers et développer le transport en commun, train et bus, parfois même entre les communes. Ils s’agit souvent de retraités qui n’ont plus les moyens de se déplacer avec leur propre voiture. »

Désenclaver les territoires donc, « mais c’est difficile de dire si c’est une spécificité girondine », ajoute le chercheur. Si Bordeaux a été place forte, sous les projecteurs des médias, Samuel Noguera évoque beaucoup de mobilisations comme à Audenge, Langon, ou Libourne.

« Les rassemblements ont eu lieu à Bordeaux par souci de massification du mouvement. Il était plus intéressant de se réunir à Bordeaux parce que c’est une grande ville qui concentre la Préfecture et d’autres collectivités. C’était symbolique de se réunir place de la Bourse pour exprimer tout ça. »

Profil type ?

Difficile également de dégager un profil type, l’âge et le genre étant rarement renseignés. Les doléances ont été recueillies sur les ronds-points dès le 17 novembre 2018 « exprimées par les Gilets jaunes, souvent en une phrase comme “Macron Démission” ».

Parmi les contributeurs des cahiers initiés par l’Association des maires ruraux de France (AMRF) à partir de décembre 2018, « on retrouve des retraités inquiets pour les taux de CSG (contribution sociale généralisée) de leur retraites ». Ensuite lors du Grand débat qui démarre en janvier 2019, « le public est plus hétéroclite et plus jeune » :

« En milieu urbain, il y a des couples ou des hommes, mais aussi beaucoup de femmes, ce qui est assez inédit par rapport à d’autres dispositifs comme les conseils de quartier et les conventions citoyennes. Certaines contributions sont bien détaillées, jusqu’à 15 pages, avec des récits autobiographiques qui aident à cerner la personne », souligne Samuel Noguera.

L’extrême-droite « résiduelle »

Les doléances ne permettent pas non plus de dégager une tendance politique majeure parmi leurs auteurs.

« Dans ce qui a été dépouillé, 4% sont des revendications sur les enjeux sécuritaires et anti-immigration, et qui font référence au souverainisme ou au protectionnisme économique. Ça reste résiduel, et c’est plutôt situé dans le territoire du Nord Gironde, ce qui rejoint les résultats des différentes élections [la victoire de deux candidats RN, Edwige Diaz et Grégoire de Fournas, dans le Médoc et le Blayais, NDLR] ».

Si la référence à la vie chère revient souvent, la fin du mois est bien plus présente que la fin du monde. « Les doléances écologiques sont moins nombreuses, mais elles existent », sur l’usage des pesticides dans les vignes, par exemple, relève Samuel Noguera :

« On peut noter dans le Médoc que certains réclament une agriculture biologique, ce qu’on ne va pas forcément retrouver dans d’autres territoires du département. »


#gilets jaunes

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